Pour Benoît XVI, c’est le voyage de tous les dangers. En effet, le pèlerinage du pape en Terre sainte, qui commence aujourd’hui en Jordanie, va se dérouler dans un contexte de fortes tensions. Politiques, bien sûr. Mais aussi religieuses. Sous le pontificat de Benoît XVI, les relations avec les juifs et les musulmans se sont en effet crispées. Après l’affaire Williamson, après la décision de maintenir la prière pour la conversion des juifs dans la messe en latin du Vendredi-Saint, après le discours de Ratisbonne, le pape allemand ne peut pas se permettre le moindre faux pas. Il faut ajouter à cela des tensions nées de la participation du Vatican à Durban II, un sommet boycotté et décrié par Israël. Au cours de son voyage, qui prendra fin le 15 mai, Benoît XVI va prononcer 24 discours, dont 16 en Israël et en Cisjordanie. Il présidera en outre quatre messes.
Les pièges ne manquent pas. L’un des plus évidents est lié au fait qu’il va marcher sur les traces de son prédécesseur. A peu de chose près, Benoît XVI accomplira en effet le même pèlerinage que celui de Jean Paul II en 2000, premier pape à avoir effectué un voyage officiel en Israël. La comparaison sera inévitable. Tout comme le pape polonais, il se rendra sur le mont Nébo en Jordanie où, selon la tradition, Moïse aurait vu la Terre promise avant de mourir. Il visitera le mémorial de la Shoah Yad Vashem à Jérusalem. Il ira sur l’Esplanade des mosquées où il rencontrera le Grand Mufti de Jérusalem. Le programme de son pèlerinage, décidément très chargé, prévoit en outre une visite au Mur occidental, à Bethléem, à Nazareth, et au Saint-Sépulcre, ainsi qu’un entretien avec les deux Grands Rabbins de Jérusalem. Il sera toutefois le premier pape à visiter le Dôme du rocher, troisième lieu saint de l’islam.
« Il ne faut pas s’attendre que Benoît XVI répète les gestes de Jean Paul II », dit le père jésuite suisse Jean-Bernard Livio, de retour d’un voyage de quinze jours en Terre sainte et bon connaisseur de la région. En 2000, Jean Paul II avait conquis les juifs et les Israéliens. Sa prière devant le Mur occidental de Jérusalem les avait profondément émus. « Benoît XVI est un intellectuel et il n’a pas le charisme de Jean Paul II, poursuit Jean-Bernard Livio. Ses interventions risquent d’être celles d’un professeur, alors que les gens ont besoin de gestes et de paroles chaleureux dans le contexte actuel. Mais Benoît XVI a une grande qualité : la modestie. Il pourrait davantage souligner la souffrance des Palestiniens que ne l’avait fait Jean Paul II, par exemple. »
Le pape est attendu avec une certaine méfiance en Israël. Rédacteur en chef du quotidien Jerusalem Post, David Horovitz, après avoir fait un éloge appuyé de Jean Paul II, décrit ainsi Benoît XVI comme le pape de la désunion. Dans une tribune parue fin mars, il souligne le bref passage du futur pape, de nationalité allemande, dans les Jeunesses hitlériennes en 1941. Il met également l’accent sur la levée de l’excommunication d’un évêque négationniste et l’« énergique soutien » de Benoît XVI à la béatification de Pie XII, un pape auquel il est reproché d’être resté silencieux sur le sort des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. David Horovitz signale encore la rencontre prévue avec le Grand Mufti de Jérusalem, critiqué pour avoir affirmé dans plusieurs interviews qu’Israël exagère le poids de la Shoah. Selon le rédacteur en chef du Jerusalem Post, le pape sera soumis « à un examen implacable durant sa visite. Chaque arrêt ou changement dans son itinéraire, chaque petite phrase ou geste seront étudiés à la loupe. »
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Bien que le Saint-Siège ait souligné le caractère exclusivement religieux du voyage du pontife romain, le programme prévoit des « visites de courtoisie » au chef de l’Etat d’Israël et au président de l’Autorité palestinienne, ainsi qu’une « rencontre » avec le premier ministre Benyamin Netanyahou. Comme l’a remarqué récemment Fouad Twal, le nouveau patriarche latin de Jérusalem, le voyage du pape aura immanquablement une dimension politique, et il faut s’attendre à des tentatives de récupération venant de toutes les parties.
Benoît XVI, qui n’a pas fait preuve d’un grand flair politique jusqu’à maintenant, saura-t-il éviter les obstacles qui ne manqueront pas de surgir ? « Le voyage du pape est perçu comme étant trop pro-juif par les Arabes, souligne Jean-Bernard Livio. Le fait qu’il rencontre le président israélien paraît normal. Mais pourquoi va-t-il rencontrer Benyamin Netanyahou, qui plus est à Nazareth, la ville la plus arabe d’Israël ?
C’est très mal perçu, non seulement par les Israéliens musulmans, mais aussi par les Israéliens arabes chrétiens. Par ailleurs, les musulmans n’ont pas oublié le discours de Ratisbonne. Les gestes d’apaisement du pape, notamment lorsqu’il s’est rendu en Turquie, n’ont pas calmé les esprits. » Aux yeux des musulmans, le programme de Benoît XVI pourrait paraître déséquilibré, du fait de la grande place accordée au dialogue judéo-chrétien. En Israël, le dialogue islamo-chrétien occupera en effet une portion plutôt congrue du voyage du pape. C’était déjà le cas en 2000 lors du pèlerinage de Jean Paul II.
Cependant, la situation des Palestiniens s’est nettement dégradée depuis, et les espoirs de paix dans la région se sont envolés pour longtemps. La sensibilité exacerbée des Palestiniens pourrait ainsi mal s’accommoder d’un trop grand déséquilibre dans le dialogue interreligieux. Leur crainte ? Que le voyage du pape, d’ores et déjà interprété à l’étranger comme une tentative d’apaisement des relations entre l’Eglise catholique et le judaïsme, profite à Israël sur le plan politique. De fait, les Palestiniens seront aussi très attentifs à ce que dira – ou ne dira pas – Benoît XVI à propos de la création d’un Etat palestinien. Ces dernières années, le pape a déjà réclamé avec fermeté la création d’un tel Etat.
Cependant, le nouveau gouvernement israélien a refusé jusqu’à ce jour de s’engager dans ce sens, prenant ostensiblement ses distances avec la promesse faite par l’ancien premier ministre israélien Ehoud Olmert en novembre 2007 à la conférence d’Annapolis. Si Benoît XVI devait « oublier » de réclamer à nouveau la création d’un Etat palestinien dans ce contexte, les Palestiniens pourraient voir dans cette omission du pape une manière d’entériner la politique ultra-nationaliste du gouvernement israélien.
Comme Jean Paul II en 2000, Benoît XVI devra peut-être aussi affronter les tirs croisés des Israéliens et des Palestiniens concernant Jérusalem. Les uns et les autres revendiquent en effet la Ville sainte comme capitale indivisible pour eux seuls, et pourraient se servir de la visite du pape pour réitérer et justifier leurs prétentions territoriales. Un piège dans lequel Jean Paul II n’était pas tombé, s’en tenant rigoureusement à la politique traditionnelle du Saint-Siège. Celle-ci refuse de reconnaître l’annexion de Jérusalem-Est par Israël, et se montre favorable à un statut spécial internationalement garanti pour les lieux saints.
Enfin, Benoît XVI devra tâcher de ne pas décevoir les chrétiens, qui ne se réjouissent pas tous – loin de là – de sa venue. Beaucoup soulignent que ce n’est pas le bon moment. En effet, nombre d’entre eux sont soumis à des vexations administratives et fiscales de la part des autorités israéliennes, et estiment que Benoît XVI n’aurait dû venir que pour entériner un accord mettant fin à ces discriminations. Ils ne comprennent tout simplement pas ce que le pape vient faire en Israël, et craignent, eux aussi, que ce voyage ne profite finalement qu’aux juifs et aux Israéliens.
De plus, la petite minorité des chrétiens de Gaza se sent oubliée. Les services de presse du Vatican ont malencontreusement annoncé que le pape « s’abstiendra » d’aller à Gaza, un terme qui les a blessés. Et il n’est pas certain qu’ils seront autorisés à se rendre à Bethléem où le pape célébrera une messe. Dès aujourd’hui, c’est dans un champ de mines que Benoît XVI s’aventure…
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