Quand les Etats-Unis sont en désaccord avec un pays arabe ou musulman, ils envoient leur aviation, ou leurs chars. Ou les deux. Le pays en question est placé dans la liste des Etats terroristes et une terrible pression diplomatique s’exerce sur lui. Il est soumis à embargo, la presse se déchaîne contre lui, les organisations de droits de l’homme découvrent des charniers et des lieux de torture. Les dirigeants sont naturellement qualifiés de dictateurs, et on découvre qu’ils sont riches, qu’ils ont des comptes à l’étranger, alors que leurs peuples meurent de faim.
Le Conseil de sécurité de l’ONU sert souvent de relais pour préparer l’hallali. Les Etats-Unis préparent la réunion, fournissent les preuves du crime, y compris quand il n’existe pas, ramènent des fioles de dangereux produits chimiques, mènent la charge et tentent de se faire désigner pour exécuter la sentence. Cela se termine le plus souvent dans le drame et les larmes, avec des conséquences irréparables pour le pays concerné. Egypte nassérienne, Irak, Syrie, Libye, Soudan, le Fatah pendant plusieurs décennies, le Hamas aujourd’hui : beaucoup de pays et d’organisations ont subi cette épreuve. Peu d’entre eux ont survécu. Leur chute obéit à un processus bien rodé, adapté à leur réaction.
Celles-ci ne varient guère : soit le pays mis sous pression glisse vers la radicalisation jusqu’à l’affrontement et l’effondrement, soit il émet des signaux pour engager des négociations et se soumettre. Il peut enfin tenter de maintenir un statu quo dramatique, jusqu’à l’épuisement.
Mais quand les Etats-Unis sont en désaccord avec Israël, la donne change. Dans ce type de situation, les dirigeants américains expriment leur « irritation ». Ils peuvent même aller jusqu’à bouder Israël et gronder ses dirigeants. Ils font des déclarations pour affirmer leurs divergences avec Israël, mais soulignent que l’intérêt même d’Israël commande une autre approche, une autre démarche.
Et quels que soient les griefs retenus contre les dirigeants israéliens, toute déclaration commence par les rituelles motions de soutien : disponibilité des Etats-Unis à soutenir l’allié israélien, à poursuivre l’aide militaire et financière, à tout faire pour assurer sa sécurité et maintenir sa suprématie militaire.
Au Conseil de sécurité, la situation est devenue caricaturale. Le veto américain bloque toute velléité de sanctionner Israël, à un point tel que des hommes politiques occidentaux, peu enclins à supporter la cause palestinienne, ont fini par être excédés par l’alignement systématique des Etats-Unis sur la politique israélienne. Avec l’arrivée de M. Barack Obama, le ton américain envers Israël a changé. Ce n’est plus l’alignement aveugle, comme au temps de M. George Bush. Le nouveau chef de la Maison Blanche affiche deux positions sur lesquelles insiste la presse du monde entier. Il prône une solution à deux Etats, ainsi que l’arrêt de la colonisation en Palestine. Selon la secrétaire d’Etat Hillary Clinton, M. Obama « veut voir un arrêt des colonies. Pas certaines colonies, pas les implantations sauvages, pas d’exceptions pour croissance naturelle », a-t-elle insisté.
Quelle réponse a reçu cette déclaration américaine, énoncée sur un ton très ferme ? Elle a été balayée d’un revers de la main. Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a qualifié la position américaine d’« inacceptable ».
Son ministre des Transports Israël Katz est dans la même ligne. « Le gouvernement israélien actuel n’acceptera en aucune façon que la colonisation soit gelée », a-t-il dit.
Que va-t-il se passer maintenant ? Que fera M. Obama face à ces positions israéliennes tranchées ? Va-t-il découvrir qu’Israël possède de véritables armes de destruction massive ? Dira-t-il qu’Israël constitue une menace pour la paix internationale ? Ou bien se contentera-t-il de consoler les Palestiniens et de leur demander d’accepter une partie de leurs droits, tout en soulignant qu’Israël aura fait d’énormes sacrifices ?
« Washington va gronder Israël », ironise un analyste, qui rappelle quelques antécédents relatifs aux positions, qualifiées de novatrices, affichées par M. Barack Obama. Concernant la solution à deux Etats, cet analyste rappelle qu’une promesse a été faite en ce sens par M. George Bush pour 2005. Il n’y a pas eu d’Etat, mais il y a eu Ghaza. Et l’Etat palestinien avait simplement servi à préparer la destruction de l’Irak.
Quant aux colonies, le Washington Post s’est amusé à en faire un bref historique, soulignant que tous les présidents américains ont demandé à Israël d’y mettre fin, avant de fermer pudiquement les yeux. En 1980 déjà, Jimmy Carter avait qualifié les colonies d’« obstacles à la paix ». Il y avait alors 61.500 colons dans les Territoires occupés. Deux ans plus tard, avec l’invasion du Liban et les drames de Sabra et Chatila, Ronald Reagan estimait que les colonies n’étaient « en rien nécessaires à la sécurité d’Israël », mais le nombre de colons avait entre-temps dépassé les cent mille, avant de grimper à 479.500 aujourd’hui. Le Golan, lui, est toujours occupé. On n’ose imaginer ce qui se passerait si un demi-million d’Irakiens s’installaient de force en Galilée !
Quel que soit le contenu du discours qu’il s’apprête à prononcer ce jeudi au Caire, M. Obama ne pourra faire l’impasse sur cette réalité, faite d’un demi-siècle d’injustices, d’accumulation de haines et de rancoeurs, avec un soutien sans faille pour Israël et des promesses creuses pour les autres. Ce qui avait permis à Israël de mener publiquement un crime anti-palestinien, en bénéficiant du soutien tout aussi public de toutes administrations américaines.
Certes, la volonté de M. Obama d’établir des relations meilleures avec les Arabes, et avec les musulmans de manière plus large, est certes novatrice. Tout comme sa volonté de replacer la question palestinienne au cœur de la crise du Proche-Orient. Mais le passif est si grand qu’un discours ne suffira pas pour effacer un demi-siècle d’injustices, ni pour rétablir une confiance impossible. Même la création d’un bantoustan pour les Palestiniens ne suffira pas. Il faudra que M. Obama prouve concrètement qu’il est différent des autres, différent par exemple de M. George Bush, qui avait lui aussi annoncé en fanfare un Grand Moyen-Orient, avant de sombrer dans le crime.
Et dire que M. Bush nous avait menacés de démocratiser le monde arabe !