Plus de 300 ONG, de nombreux collectifs d’avocats de différentes nationalités se mobilisent depuis l’agression israélienne contre Ghaza pour porter plainte contre Israël devant les juridictions nationales et internationales pour crimes de guerre commis sur des populations civiles en violation des conventions de Genève. La sauvagerie de l’agression israélienne, qui n’a pas hésité à recourir à des armes prohibées telles les bombes au phosphore blanc qui ont soulevé la réprobation de la communauté internationale et l’indignation, y compris des amis d’Israël, ne peut pas rester impunie. Au risque d’enlever le peu de crédit qui reste encore aux instances onusiennes et aux instances judiciaires internationales qui sont placées, cette fois, face à un réel embarras.
Israël n’en est pas à son premier « pogrom » commis à l’encontre des populations civiles palestiniennes. L’histoire du conflit du Moyen-Orient est jalonnée de massacres et de boucheries. En dépit de leur caractère génocidaire, les massacres perpétrés par l’armée israélienne dans les camps de réfugiés de Sabra et de Chatila, à Jenine, pour ne citer que les plus récents carnages, n’ont pas inquiété outre mesure les dirigeants israéliens. Aucune enquête internationale, aucun procès n’a été intenté contre les responsables politiques et militaires israéliens durant toute l’existence de l’Etat d’Israël. L’argument de la légitime défense, avancé par les grandes puissances pour taire et légitimer les crimes commis par Israël, a volé en éclats avec la guerre contre Ghaza.
La réprobation est unanime pour dénoncer le caractère disproportionné de la riposte israélienne contre les tirs de roquettes de la résistance palestinienne qui avaient servi d’alibi à Israël pour lancer ses chars et son aviation sur Ghaza. Fort du puissant soutien des Etats-Unis, Israël s’est senti tellement protégé et intouchable qu’il ne s’est même pas formalisé pour défier chaque fois un peu plus les lois internationales, en bombardant des structures humanitaires – des écoles et des dépôts de vivres – relevant des Nations unies. Le secrétaire général de l’Onu, Ban Ki-moon, qui s’était rendu sur les lieux pour prendre la mesure des dégâts, avait annoncé sur place la nécessité de la mise en place d’une enquête internationale approfondie sur ces attaques.
Ses propos semblent s’être évanouis dans les champs de ruines, l’odeur des cadavres que l’on continue encore de retirer des décombres, la détresse et la peur des Ghazaouis quant à la menace d’une nouvelle agression israélienne qui est permanente. C’est la première et la dernière déclaration que M. Ban Ki-moon osera sur le sujet. Pour l’Onu, le dossier de Ghaza est clos. Définitivement clos.
Mais pas pour les militants des droits de l’homme – avocats, intellectuels, ong – qui refusent de céder à cette fatalité qui veut faire croire qu’Israël peut continuer à défier en toute impunité les lois internationales. Les dirigeants israéliens semblent prendre la menace très au sérieux. Sentant l’étau se resserrer autour de lui, le Premier ministre, Ehud Olmert, a décidé la mise sur pied d’une commission pour protéger les responsables politiques et militaires israéliens en cas de plainte contre eux. L’identité des chefs de l’armée israélienne qui ont planifié la guerre contre Ghaza est frappée du sceau secret-défense. Le mythe de la victimisation d’israël a-t-il vécu avec l’horreur de la guerre de Ghaza ? Même si la plainte contre Israël pour crimes de guerre n’a pas beaucoup de chances d’aboutir, la mobilisation sans pareille des hommes et des femmes épris de paix et de justice de par le monde pour enlever cette immunité de la honte à Israël est déjà en soi un puissant avertissement qu’Israël doit méditer sérieusement, à l’avenir, dans le cas d’une nouvelle aventure guerrière.
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« Les poursuites contre Israël dépendent de l’ONU »
entretien avec Daniel Voguet
Avocat au barreau de Paris, Daniel Voguet a fait partie de la délégation pluraliste qui s’est rendue dans la bande de Gaza du 19 au 23 janvier.
Comment qualifier les crimes dont Israël s’est rendu coupable dans la bande de Gaza ?
Daniel Voguet. Nous avons découvert une zone totalement dévastée. Toutes les - habitations, les exploitations agricoles, etc., ont été détruites. Des témoignages, pour l’instant non vérifiés, font état de personnes qui auraient été exécutées sommairement. Des armes interdites contre les populations civiles, notamment au phosphore, ont été utilisées. S’agissant du bilan humain, l’immense majorité des morts et des blessés est constituée par des habitants qui ne participaient pas au combat, en particulier des femmes et des enfants. Les combattants ne représentent qu’une partie infime des victimes. L’objectif affirmé par Israël de détruire le Hamas n’est donc pas atteint ni même crédible. C’est la population qui était visée. Tout ceci constitue un crime de guerre. Voire un crime contre l’humanité, s’agissant des exécutions sommaires, si elles étaient prouvées. Le gouvernement et l’armée israélienne sont responsables et doivent être jugés. Mettre un terme à l’impunité dont jouit Israël depuis des décennies est une nécessité politique si la communauté internationale veut retrouver sa crédibilité.
Comment peut-on poursuivre Israël ?
Daniel Voguet. Actuellement, l’obstacle est de nature politique. Dans la mesure où les cadres légaux semblent manquer, ces poursuites - dépendent de l’ONU, et en particulier des membres du Conseil de sécurité, qui doivent se doter des moyens juridiques de juger Israël. Ce pays n’ayant pas ratifié le traité instituant la Cour pénale internationale, il faut, pour poursuivre les responsables devant cette cour, une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU, et la France, pays des droits de l’homme, se doit de la présenter. Dans un premier temps, elle doit également demander une enquête impartiale ainsi que le souhaitent les représentants de l’ONU sur place. Car la décision d’Israël de procéder à sa propre enquête ne peut être satisfaisante et impartiale, évidemment.
Un autre outil juridique évoqué est celui de la compétence universelle.
Daniel Voguet. Oui, cette compétence consiste à pouvoir juger, dans un autre pays que le sien, une personne qui a commis un crime à l’étranger. Chaque pays peut le faire quand les règles de procédure nationale le permettent. C’est le cas par exemple en Grande-Bretagne et en Espagne, où cela a déjà été fait à plusieurs reprises. En France, les règles de procédure actuelles ne - permettent pas de juger des étrangers présumés coupables de crimes commis à l’étranger sauf pour ceux ayant la double nationalité. Or, il semblerait que des Israéliens présumés coupables de crimes de guerre aient la nationalité française. Le ministre de la Justice devrait donc demander au parquet d’enquêter.
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