Mahmoud Abbas a annoncé ces dernières semaines son retrait de la direction de l’OLP et le "parlement" de la centrale palestinien, qui ne s’est pas réuni depuis très longtemps, devra alors en principe lui trouver un successeur ce mois-ci. Pour beaucoup d’analystes, cela préfigurerait son retrait à court terme de la tête de "l’Autorité palestinienne" (AP), cet oxymore, symbole de l’impuissance de cette institution. Ce départ programmé semble logique puisque "Abou Mazen" est, suite au décès de Yasser Arafat fin 2004, et depuis dix ans (janvier 2005) le dirigeant Palestinien reconnu internationalement, et il a atteint l’âge symbolique de 80 ans. Pour autant, est-ce qu’un nouveau chef, même plus charismatique, changera véritablement la donne, à savoir l’incapacité des Palestiniens, y compris ceux du Hamas, à modifier un rapport de force très défavorable et l’arrêt de la colonisation, qui n’a jamais cessé même aux plus belles heures du "processus de paix", c’est-à-dire lorsque les travaillistes Rabin, Pérès et Barak se trouvaient à la tête du gouvernement israélien (1992-1996 puis 1999-2001). Aujourd’hui, quatre solutions s’offrent aux Palestiniens : la lutte armée, l’action judiciaire, la campagne de boycott, la rupture (temporaire ?) des Accords d’Oslo.
Aucune n’est parfaite, mais pour ce qui est des trois premières, elles ont peu de chances d’aboutir, à court terme en tout cas et ne sont pas réellement susceptibles d’ébranler la toute puissance israélienne. En effet, la lutte armée, récusée par ailleurs par Abbas car jugée contre-productive, n’a aucune chance de réussir puisque les forces combattantes palestiniennes ne peuvent en rien être comparées à celles du Hezbollah par exemple, parfois considéré comme un exemple à suivre par le Hamas, le mouvement chiite bénéficiant par ailleurs de l’appui constant du Jihad Islamique palestinien, bien implanté à Gaza. La formation libanaise peut être approvisionnée à l’infini par l’Iran en armes performantes, dispose de son propre réseau de communication, en fibre optique le plus souvent, et bénéficie d’un très large soutien au sein de sa communauté, sans compter qu’elle peut s’abriter derrière des populations civiles, parfois acquises au camp anti-iranien ce qui rend délicat leur anéantissement, tout ceci formant un ensemble d’atouts dont ne disposent pas les Palestiniens. L’action judiciaire, en particulier devant la Cour pénale internationale (CPI), est une autre modalité de la lutte privilégiée par Abbas, puisque non violente, peu coûteuse et à l’impact potentiellement désastreux en terme d’image pour les autorités israéliennes. Le problème est que voir des dirigeants politiques ou des hauts gradés israéliens arrêtés, transférés et jugés à la Haye reste hypothétique pour plusieurs raisons (Israël, comme son allié américain ne sont pas membres de la CPI, seuls les dirigeants africains ont été jugés à ce jour, comment arrêter les personnalités mises en cause, recul de l’idée de compétence universelle .... ), et quand bien même cela aboutirait, en quoi cela amènerait Israël à rendre les territoires palestiniens sous contrôle, y compris Jérusalem-Est ? En effet, les décisions de la CPI n’impliquent pas l’envoi de forces armées pour mettre fin aux crimes imputés, et passé l’indignation internationale, la question redeviendra secondaire. Reste le boycott, sous toutes ses formes (évoqué lors de "Paris plages" cet été) la plus "violente" étant sa forme économique, mais là encore, il est peu probable tant que les principaux partenaires économiques d’Israël le soutiennent (on n’imagine pas les Etats-Unis être à l’avant-garde de cette initiative !), sans compter que l’Etat hébreu devrait d’ici peu être en partie ou en totalité autosuffisant en hydrocarbures. Là encore, les chances de réussite de cette stratégie semblent hypothétiques : peut-être que dans un demi-siècle il en sera autrement, mais en attendant cela ne représente au mieux que quelques coups de canifs, et pas des coups de massue.
Les Palestiniens peuvent aussi décider de ne rien faire, et attendre : attendre que la démographie joue en leur faveur, que le boycott fasse ses effets, que l’évolution interne propre à la société américaine (et qu’incarne en partie Obama) à prendre de plus en plus ses distances avec son principal allié au Proche-Orient, parce que les hispano-américains (sans oublier les afro-américains) qui représenteront bientôt un américain sur trois seraient jugés comme plus réceptifs aux thèses palestiniennes et à une politique étrangère plus équilibrée ; attendre qu’un dirigeant travailliste revienne au pouvoir (mais aura-t-il une majorité absolue ? ). Mais cette stratégie du pourrissement, incertaine, est dangereuse puisqu’elle risque de faire basculer une partie de plus en plus importante de la jeunesse palestinienne dans les bras d’Al Qaïda, Daech ou toute autre organisation extrémiste hostile par principe à toute négociation (ce qui n’est pas le cas du Hamas, quoi que l’on dise sur ce point) pour ne pas parler du danger que cela représente pour les communautés juives dans le monde qui risquent d’être de plus en plus assimilées à la politique israélienne, avec des conséquences potentiellement dangereuses sur le vivre ensemble et la cohabitation des cultures et des religions.
En revanche, il existe une autre option, non violente, et dont les effets seraient immédiats : la rupture des accords d’Oslo, avec l’abandon par les Palestiniens de leur "Autorité" ou ce qu’il en reste, puisqu’il convient de rappeler que cette dernière ne s’étend guère au-delà de Ramallah : outre Gaza, qui lui échappe totalement, et Jérusalem-Est qui n’est pas concernée bien que reconnue comme illégalement occupée par Israël, (même par les Américains), la Cisjordanie est divisée en trois zones, A, B et C. Seule la première, minuscule, est "contrôlée" par Mahmoud Abbas et ses partisans, et encore, puisque si nécessaire l’armée israélienne peut y pénétrer ; la zone B est sous contrôle mixte, et la zone C, la plus vaste, qui comprend notamment la vallée du Jourdain, frontalière de la Jordanie et peu peuplée est sous contrôle total d’Israël.
Mais pourquoi alors cette hypothèse, qui fait son chemin, reste pour le moment improbable ? Parce que l’habileté des dirigeants israéliens est d’avoir saisi dès le départ que nombre de responsables palestiniens étaient sensibles à l’illusion du pouvoir et à ses prébendes, et qu’ils préféraient s’y accrocher plutôt que de renoncer avec dignité. D’ailleurs Arafat n’a-t-il pas lui-même montré l’exemple en acceptant "les accords d’Oslo" (et le statut de "président" qui y est associé) sans graver dans le marbre que la colonisation, qui a ruiné le processus de paix, aurait dû s’arrêter au moment où ils furent signés. Il convient de préciser en outre que les ressources dont disposent l’AP (en grande partie issues de l’aide internationale) permettent au Fatah, le parti de Mahmoud Abbas, principale composante de l’OLP, de s’acheter de nombreux obligés au sein de la population palestinienne, d’où les réticences à bouleverser le statu quo. Finalement, si rien ne bouge, et puisque la communauté internationale a refusé de reconnaitre les résultats des élections libres qui avaient donné une majorité au Hamas, il n’existe aucune sanction électorale à terme pour les Palestiniens modérés de l’OLP, ce qui fait bien l’affaire d’Israël et paradoxalement du Hamas !
Certes, en rendant le contrôle total des territoires palestiniens aux Israéliens, certains avanceront que la situation économique des Palestiniens s’aggravera, mais elle n’est de toute façon guère brillante, et cela ne sera en fait que temporaire puisque ce nouveau statut deviendra très rapidement intenable pour Israël, et lorsque le blocage est total, il est parfois nécessaire de faire un pas en arrière pour pouvoir ensuite mieux avancer. Mais si les Palestiniens veulent, pour une fois, se montrer habiles, alors il leur suffira de préciser qu’au moment où il sera constaté, sur une période de quelques mois ou d’un an, que la colonisation a totalement cessé, alors ils seront prêts à reprendre immédiatement le processus de négociation. Ceci fera porter sur Israël l’entière responsabilité de la situation qui prévaudra en Cisjordanie, tout en lui ôtant une partie de la respectabilité acquise grâce à Oslo qui avait permis une normalisation avec nombre d’Etats dont la Jordanie, la Turquie, l’Inde, le Vatican... Inutile de dire que le prestige de l’Autorité palestinienne, et de ses composantes politiques associées en sortira fortement grandi face au Hamas. Il appartient au successeur d’Abbas de rester dans l’Histoire ou dans ses oubliettes...
Pierre Berthelot est chercheur associé à l’IPSE et à la FMES, consultant et enseignant