D’un côté, le monde. De l’autre, Israël et les républicains américains. Voilà à quoi se réduit le front du refus après l’accord sur le nucléaire iranien, arraché à Vienne, le 14 juillet. Bien sûr, certains pays arabes sunnites, à commencer par le rival régional de l’Iran, l’Arabie Saoudite, s’inquiètent aussi de la décontamination diplomatique de Téhéran et de ses nouvelles perspectives d’expansion. Mais Israël semble bien isolé dans ses critiques publiques, répétées en boucle, contre un accord qui renforce à ses yeux la menace iranienne sur son existence même. « Parfois, le monde entier peut avoir tort », a expliqué le premier ministre Benyamin Nétanyahou, le 21 juillet.
Cette solitude à l’extérieur contraste avec le soutien au pays dont bénéficie M. Nétanyahou sur cette question. En dehors de rares voix comme celle du centriste Yaïr Lapid, qui dénonce une débandade de la diplomatie israélienne, une union sacrée s’est constituée. Le chef des travaillistes, Isaac Herzog, utilise la même sémantique que M. Nétanyahou au sujet de l’Iran, parlant d’« empire du mal » et d’un « tigre sorti de sa cage », menaçant le Moyen Orient. Cette union sacrée se retrouve d’ailleurs face à un autre danger extérieur : la montée en puissance en Occident des appels au boycottage et aux sanctions contre Israël, en raison de la poursuite de l’occupation en Cisjordanie.
Les critiques israéliennes contre l’accord de Vienne se focalisent sur plusieurs points : les procédures trop longues pour les inspections ; la possibilité de poursuivre les activités de recherche et développement sur les centrifugeuses de nouvelle génération ; l’absence de démantèlement des installations nucléaires et d’interdiction d’enrichissement de l’uranium, contrairement aux promesses américaines initiales ; enfin, la levée des sanctions. Elle débloquera des sommes colossales, soulignent les dirigeants israéliens, que le régime iranien emploiera pour financer ses activités terroristes, via ses sous-traitants, en Syrie et au Liban (Hezbollah), dans la bande de Gaza (Hamas) ou au Yémen (Houtis).
Ces critiques ne sont pas toutes infondées, mais inaudibles. Inaudibles, parce qu’Israël n’a jamais proposé d’alternative réaliste, préférant dénoncer un Armageddon. La menace iranienne est le fil directeur depuis 20 ans de la vision du monde de M. Nétanyahou. En vérité, l’Etat hébreu aimerait que l’Iran ne développe aucun programme nucléaire, ni militaire ni civil, et qu’il continue à subir des sanctions renforcées tant que le loup n’aura pas mué en agneau inoffensif. À ces attentes impossibles s’ajoute une tactique dommageable. Benyamin Nétanyahou a porté un coup rude à la relation stratégique, existentielle même, entre son pays et les États-Unis, en s’invitant dans la politique intérieure américaine. Cela lui a valu d’être tenu à l’écart des négociations à Vienne.
Myopie politique
« Bibi » a misé sur le pouvoir législatif contre la Maison Blanche. Son discours sur la menace iranienne devant le Congrès, début mars, a aggravé le fossé le séparant de l’administration Obama. Les relations entre les deux leaders sont polaires. Bien entendu, tous deux assurent qu’il ne faut pas personnaliser le différend. Mais nombre de responsables israéliens, diplomates ou militaires, s’inquiètent des conséquences à long terme de cette confrontation. D’autant qu’ils jugent l’accord bien moins mauvais que prévu, en privé.
Que va faire Benyamin Nétanyahou, maintenant que l’accord a été signé ? « Bibi » est un survivant, doté d’un instinct rare, mais il souffre aussi d’une myopie politique, qui le rend incapable de développer un plan de bataille au-delà de trois mois. L’étroitesse de sa majorité parlementaire (61 sièges sur 120) aggrave ce symptôme. Son horizon, c’est l’adoption d’un budget sur deux ans d’ici la mi-novembre, sous peine de condamner sa coalition. Sur le dossier iranien, le premier ministre a lancé l’offensive via sa courroie favorite : les grandes chaînes américaines. Mais ses chances de convaincre une majorité de sénateurs semblent limitées, et le dégât potentiel considérable.
Le véritable enjeu pour Israël réside plutôt dans ce qu’il peut obtenir en retour. Les États-Unis veulent donner à Israël de nouvelles preuves d’amitié. « Je suis prêt à aller plus loin que toute autre administration dans le passé », a déclaré Barack Obama au New York Times. En vertu d’un accord qui expirera en 2017, Washington fournit une aide militaire annuelle de 3 milliards de dollars à Israël. L’Etat hébreu espère la faire passer à 4,5 milliards. Sa priorité est de se doter de nouvelles capacités balistiques offensives et défensives. Mais pour l’heure, il se refuse à évoquer publiquement toute négociation. « Si l’accord [de Vienne] est si bon et garantit que l’Iran n’aura jamais la puissance nucléaire, résume le vice premier ministre, Silvan Shalom, pourquoi aurait-on besoin d’une aide quelconque ? »
Dans cette partie serrée, Israël cherche aussi à donner des gages de bonne volonté sur la question palestinienne, alors que la pression internationale se renforce. Le gouvernement se dit prêt à reprendre les négociations avec Mahmoud Abbas, abandonnées depuis 15 mois. Huit mille nouveaux permis de travail en Israël ont été accordés à des Palestiniens de Cisjordanie, explique M. Shalom, qui évoque un « retour aux années 1980 ». Les biens et les personnes circulent plus aisément vers la bande de Gaza. Mais cette gestion du conflit ne change pas fondamentalement l’équation. Sur l’Iran comme sur le conflit avec les Palestiniens, Israël semble replié sur ses certitudes. Dans une solitude inquiétante.