"Le peuple a fait tomber le régime ! Le peuple a fait tomber le régime !", scandait une foule en délire sur cette place-symbole alors que certaines personnes s’évanouissait sous le coup de l’émotion [1]. Don Quichotte, s’adressant à Sancho Pança, lui disait : « La liberté, Sancho, est un des dons les plus précieux que le ciel ait faits aux hommes. Rien ne l’égale, ni les trésors que la terre enferme en son sein, ni ceux que la mer recèle en ses abîmes. Pour la liberté, aussi bien que pour l’honneur, on peut et l’on doit aventurer la vie. » Les Egyptiens ont tenté l’aventure, avec un courage qu’il faut saluer. Car, d’une certaine manière, l’aventure n’est pas finie et ne fait que commencer. Certes l’armée égyptienne prête à garantir des élections libres. Elle a même assuré qu’elle ne souhaitait pas se substituer à la "légitimité voulue par le peuple". Et si elle a salué le président pour avoir fait "prévaloir les intérêts supérieurs de la nation", son porte-parole a rendu hommage à "notre grand peuple qui souhaite des changements radicaux". Mais après ? "Je pleure parce que je suis heureuse", a lancé une manifestante, Loubna Darwiche, 24 ans, tout en tempérant : "il reste beaucoup à faire". "Le peuple doit contrôler cela. Nous aimons l’armée mais c’est le peuple qui a mené cette révolution et c’est lui qui doit la contrôler".
« Ce tropisme religieux est bien lui-même l’un des signes du malheur arabe. ... Car si l’islamisme n’est pas - ou n’est plus - un agent de l’étranger, c’est à l’étranger qu’il donne raison. » (Samir Kassir)
Ce moment historique, dans ce pays clé du Moyen-Orient, signe la fin de ce que l’intellectuel libanais assassiné dans un attentat à la voiture piégée Samir Kassir nommait le « malheur arabe », qui voudrait « que les Arabes soient condamnés à toujours vivre dans les conditions dramatiques du présent » : « Seul « continent » où le déficit démocratique est généralisé à toutes ses composantes, le monde arabe est donc aussi le seul où l’absence de démocratie se conjugue avec une hégémonie étrangère, le plus souvent indirecte, parfois seulement économique mais s’apparentant d’autres fois, dans les cas les plus extrêmes, celui de la Palestine et maintenant de l’Irak, à un nouveau colonialisme. (... ) Ce tropisme religieux est bien lui-même l’un des signes du malheur arabe. ... Car si l’islamisme n’est pas - ou n’est plus - un agent de l’étranger, c’est à l’étranger qu’il donne raison. Justifiant le clash des civilisations, l’assumant même, il est ce qui donne aux partisans de la croisade l’occasion de se croiser et à l’Occident d’employer tous les moyens que lui permet sa capacité technologique pour maintenir sa suprématie sur les Arabes. Et perpétuer leur impuissance. »
Tout le monde arabe vit cette révolution comme un encouragement contre les régimes autocratiques et corrompus
Si comme l’a dit hier soir Obama l’Egypte "ne sera plus jamais la même", le monde arabe ne sera plus le même. Tout le monde arabe vit cette révolution comme un encouragement contre les régimes autocratiques et corrompus qui briment les libertés. En Tunisie, l’annonce de la démission a été accueillie par des concerts de klaxons et des manifestations de joie spontanées dans les rues de Tunis. De Beyrouth, le Hezbollah a félicité le peuple égyptien pour ce qu’il a qualifié de « victoire historique », tandis que les Frères musulmans de Jordanie ont parlé d’une « leçon pour beaucoup de régimes arabes ». Même au Qatar, le gouvernement considère le dépôt du pouvoir aux autorités militaires égyptiennes comme une « étape positive ». Des milliers d’Égyptiens et d’autres Arabes sont descendus dans la rue à Doha pour manifester leur joie après l’annonce du départ de Moubarak. L’Iran a estimé que les Égyptiens avaient obtenu une « grande victoire ». Pendant ce temps, en Turquie, Ankara a appelé les autorités égyptiennes à ériger un nouveau système pour répondre aux aspirations du peuple. Au Maroc, environ 200 personnes ont manifesté à Rabat pour saluer la « victoire » du peuple égyptien. Mêmes scènes de joies au Yémen, où des milliers de personnes sont descendues dans les rues de Sanaa pour célébrer la chute du président égyptien.
Aujourd’hui, c’est l’Algérie qui manifeste pour un changement radical du système politique autoritaire et corrompu
Une marche nationale pacifique a lieu aujourd’hui à Alger émanant d’une « coordination nationale pour le changement démocratique », qui vient de se voir signifier une interdiction en violation des droits et libertés garantis par la Constitution. « L’Algérie vit un moment dramatique de son histoire, potentiellement aussi explosif que celui qui affecte d’autres pays de la région, du fait des blessures encore ouvertes des deux dernières décennies, des politiques économiques incohérentes et des politiques sociales injustes. Les blocages du système politique autoritaire sont tels que l’émeute apparaît comme l’unique recours à une grande partie de la population qui subit le déni des droits et la hogra (1) des détenteurs du pouvoir. De plus en plus de voix s’élèvent aujourd’hui pour revendiquer un changement radical du système politique autoritaire et corrompu qui préside aux destinées de l’Algérie depuis son indépendance, note un appel publié par El Watan. Hier il y a eu un quatrième décès par immolation en Algérie où au moins 11 tentatives de suicide par le feu ont été enregistrées dans la foulée de la "révolution du Jasmin" en Tunisie. [2]