LETTRE OUVERTE A L’UNESCO
A M. Koichiro Matsuura
Directeur général de l’UNESCO
7 place de Fontenoy
75352 Paris 7ème
2 mars 2005
Monsieur,
Au nom de la Campagne Palestinienne pour le Boycott Universitaire et Culturel d’Israël (CPBUCI), nous vous écrivons pour vous exprimer notre profonde inquiétude devant le récent soutien de l’UNESCO à l’établissement d’une organisation scientifique jointe palestino israélienne, qui, de notre point de vue, marque un sérieux recul de la cause d’une paix juste en Palestine.
Sous couvert du noble dessein de la Journée Mondiale de la Science d’ « aider les jeunes à focaliser leur attention sur la science, et le fait que ses buts sont conformes à leurs propres aspirations », on communique un autre message, subtil, mais hautement dommageable politiquement. En soutenant l’établissement de l’Organisation Scientifique Israélo Palestinienne (OSIP), l’UNESCO se place de fait en désaccord avec la décision du Conseil Palestinien pour l’Education Supérieure qui a rejeté de manière répétée la « coopération technique et scientifique entre universités palestiniennes et israéliennes ». Cette action entre aussi en conflit avec l’Appel des Palestiniens au Boycott des Institutions universitaires israéliennes, qui a été soutenu par dix des syndicats, associations et organisations de Cisjordanie et de Gaza, y compris la Fédération des Syndicats des Professeurs et Employés des Universités Palestiniennes. [1] . Qui plus est, en donnant sa bénédiction à l’OSIP, l’UNESCO offre une couverture internationale à une tentative à peine voilée d’Israël d’améliorer son image dans le monde et son statut dans les organisations des Nations Unies, sans devoir se soumettre à la loi internationale qui demande la fin de son occupation illégale, entre autres formes d’oppression envers le peuple palestinien.
On utilise de plus en plus des activités en apparence innocentes et d’un but noble, parfois avec de bonnes intentions et souvent sans, pour donner l’impression que, si les Palestiniens et les Israéliens travaillent en commun sur des projets scientifiques, environnementaux, culturels ou de santé, ils rendent d’une certaine manière la paix davantage possible ou plus accessible. Rien ne pourrait être plus éloigné de la vérité. Les projets conjoints qui prétendent être apolitiques sont, de manière criante, les plus politisés, en ce qu’ils ne tiennent délibérément aucun compte du contexte d’oppression coloniale, et impliquent faussement la possibilité de parvenir à la paix sans aborder les causes à la racine du conflit. Les collaborations ostensiblement apolitiques substituent en fait des gestes de paix éphémères et superficiels à la lutte réelle nécessaire pour parvenir à une paix juste et durable. En conséquence, ils ne servent pas la cause de la paix.
Des relations normales entre les peuples ne peuvent s’épanouir que lorsque l’oppression cesse, pas avant, et pas en prélude. De notre point de vue, les seuls projets conjoints qui devraient être encouragés pour faire face à l’injustice sont ceux qui contribuent à résister à cette injustice. A tout le moins, tout projet conjoint sincère doit fondamentalement être basé sur le principe d’égalité, et le rejet de l’occupation militaire et de la discrimination raciale. Malheureusement, ces deux éléments essentiels sont manifestement absents dans la description du projet de l’OSIP, et votre approbation de celui-ci. Le soutien de l’UNESCO à l’OSIP, par conséquent, légitime la tentative de transmettre l’idée fausse d’une possibilité de coexistence pacifique et d’une coopération scientifique malgré l’oppression, plutôt que de promouvoir tous les efforts pour mettre fin à cette oppression.
L’Appel des Palestiniens au boycott universitaire et culturel d’Israël est fondé sur l’oppression systématique et permanente des Palestiniens par Israël, sous trois formes essentielles : son occupation illégale des Territoires palestiniens ; son système de discrimination raciale contre ses propres citoyens palestiniens ; et son déni du droit des réfugiés palestiniens au retour dans leurs maisons et sur leurs terres, en violation des résolutions des Nations Unies.
L’appel à des sanctions, dans ces circonstances, est loin d’être unique aux Palestiniens. Pendant l’apartheid en Afrique du Sud, les Nations Unies établirent un système de sanctions qui entraîna finalement la chute du régime raciste de ce pays et aida à créer un gouvernement démocratique. Les scientifiques, athlètes, artistes, universitaires et hommes d’affaires sud africains étaient alors tous soumis au boycott. Comme nous le savons tous, l’UNESCO a joué un rôle remarquable et largement approuvé en promouvant les sanctions et les diverses formes de boycott contre l’Afrique du Sud de l’apartheid, en n’organisant pas moins de huit conférences et séminaires internationaux, abordant un large éventail de sujets, incluant la « solidarité », la « résistance contre l’occupation, l’oppression et l’apartheid », le « boycott sportif », les « sanctions contre l’Afrique du Sud raciste », et « les besoins en éducation des victimes de l’apartheid ». [2] L’événement le plus marquant qui déclencha les sanctions, dans ce cas, fut l’avis consultatif de la Cour Internationale de Justice en 1971, qui dénonçait l’occupation de la Namibie par l’Afrique du Sud comme illégale. Quand la Cour Internationale a prononcé un même avis le 9 juillet 2004, condamnant le mur colonial d’Israël et l’ensemble du régime d’occupation comme étant en violation de la loi internationale, les Palestiniens, les Arabes et les amis de la paix du monde entier ont espéré que les Nations Unies et leurs institutions déclencheraient des mesures punitives appropriées contre Israël, pour qu’il se conforme aux résolutions des Nations Unies.
Des leaders d’opinion consciencieux et des organisations ont appuyé ces mesures sous différentes formes. L’archevêque émérite Desmond Tutu, prix Nobel de la Paix et leader des droits de l’homme a récemment établi des similitudes entre Israël et l’Afrique du Sud de l’apartheid, appelant à un boycott d’Israël similaire à celui de l’Afrique du Sud. [3]. La semaine dernière, le Conseil Mondial des Eglises a encouragé ses membres à « considérer sérieusement la prise de mesures » contre Israël pour qu’il mette fin à son occupation des Territoires palestiniens [4] . Il a aussi approuvé l’action de l’Eglise presbytérienne américaine, qui a engagé un processus de « désinvestissement sélectif » de compagnies liées à l’occupation israélienne illégale. Plusieurs universités, aux Etats-Unis et en Europe, ont commencé à envisager le désinvestissement d’Israël, ou l’application de boycotts sélectifs envers ses institutions. Des Britanniques connus et des Membres du Parlement ont lancé une campagne contre le Mur colonial, et certains sont allés jusqu’à demander des sanctions significatives contre Israël [5] .
Hélas, certaines organisations des Nations Unies ont chois au contraire de fermer les yeux, ou de minimiser la gravité de l’ « occupation, l’oppression et l’apartheid » commis par Israël, l’encourageant ainsi à faire belliqueusement fi des lois internationales. Le soutien de l’UNESCO à des projets conjoints palestino israéliens qui ignorent complètement la réalité de l’occupation et de l’oppression sur le terrain est donc inexplicable et décevante.
Dans la mesure ou les institutions universitaires israéliennes (pour la plupart sous le contrôle de l’Etat), et une grande majorité des scientifiques et universitaires israéliens ont, soit contribué directement au maintien, à la défense ou à la justification de l’oppression des Palestiniens par leur Etat, soit été complice de cette oppression par leur silence, nous pensons que la communauté internationale, conduite par les Nations Unis et leurs organisations, doit appeler au boycott et à des sanctions contre les institutions universitaires et scientifiques israéliennes.
Dans un esprit de solidarité internationale, de cohérence morale et de résistance à l’injustice, nous, universitaires et intellectuels palestiniens, demandons à l’UNESCO de retirer immédiatement son soutien à l’OSIP et autres efforts similaires d’assistance, de coopération ou par ailleurs de promotion des institutions scientifiques et culturelles israéliennes, jusqu’à ce qu’Israël cesse les violations des droits humains des Palestiniens, et se conforment aux justes préceptes de la loi internationale, et aux résolutions des Nations Unies.
Sincèrement,
Omar Barghouti, chercheur indépendant et chorégraphe ; membre fondateur de la Campagne Palestinienne pour le boycott universitaire et culturel d’Israël.
Dr Jacqueline Sfeir, éducatrice ; membre du bureau consultatif de la Campagne palestinienne pour le boycott universitaire et culturel d’Israël.