Photo : Un membre de Oketz, l’unité d’intervention canine de l’armée israélienne lors d’une incursion en Cisjordanie occupée en avril 2022 - Source : Wikipédia
Deux femmes soldats israéliennes masquées, armées de fusils et d’un chien d’attaque, ont forcé cinq femmes d’une famille palestinienne à se déshabiller, chacune séparément, dans la ville d’Hébron, en Cisjordanie, en juillet. Selon la famille, les soldats ont menacé de lâcher le chien si les femmes n’obéissaient pas.
Lors du raid au domicile de la famille, les soldats masculins ont fouillé les membres masculins du foyer mais ne leur ont pas demandé de se déshabiller.
L’armée avait des informations selon lesquelles il y avait des armes dans la maison, et l’unité du porte-parole des Forces de défense israéliennes a déclaré à Haaretz qu’un fusil M16 et des munitions y avaient été trouvés, nécessitant une fouille des autres résidents de la maison.
26 personnes, dont 15 enfants âgés de 4 mois à 17 ans, vivent dans trois appartements adjacents, dans la maison de la famille Ajluni, dans le sud d’Hébron. La famille déclare que le 10 juillet à 1h30 du matin, une cinquantaine de soldats se sont massés autour de leur foyer, accompagnés d’au moins deux chiens.
D’après la famille, environ 25 ou 30 soldats ont pris position à l’intérieur des appartements, où ils sont allés de pièce en pièce après avoir réveillé les occupants à l’aide de lampes de poche, de coups lourds sur les portes et de menaces d’enfoncer les portes.
La plupart des soldats étaient masqués, avec leurs yeux seuls visibles. L’un d’entre eux, qui semblait être le commandant et n’était pas masqué, portait un pantalon militaire mais une chemise ordinaire à manches courtes. Les femmes ne savaient pas qui il était.
A 5h30, les soldats ont quitté la maison, emmenant avec eux le fils aîné de la famille, Harbi, qu’ils ont arrêté. La famille a immédiatement découvert que des bijoux en or que le plus jeune frère, Mohammed, avait achetés à l’approche de son mariage avaient disparu. Ils valaient 40 000 shekels (10 500 dollars). Les hommes se sont précipités au poste de police israélien de la colonie voisine de Kiryat Arba pour déposer une plainte.
La police a déclaré que rien n’avait été volé, mais le lendemain, un officier a téléphoné à Mohammed pour lui dire de venir récupérer son or. Les soldats avaient cru qu’il s’agissait de balles, lui a-t-on dit. L’unité porte-parole de l’IDF indique que les bijoux se trouvaient dans un sac noir enveloppé de ruban adhésif qui a été ouvert plus tard dans une salle d’enquête.
Diala, la femme d’Harbi, a découvert que 2 000 shekels qui se trouvaient dans un tiroir avaient également disparu, mais l’argent n’a pas été restitué. Le porte-parole de l’armée affirme qu’ils ne sont pas au courant de cette allégation.
Forcée à être nue devant ses enfants
Les femmes qui ont été forcées à se déshabiller sont Ifaf, 53 ans, sa fille Zeinab, 17 ans, et les trois belles-filles d’Ifaf, Amal, Diala et Rawan, âgées d’une vingtaine d’années. Une à une, elles ont été introduites dans la petite chambre rose et violette des enfants d’Amal ; un ours en peluche rose monte la garde.
La première à être appelée dans la pièce a été Amal, 25 ans, forcée à retirer ses vêtements en présence de trois de ses quatre enfants, qui venaient juste de se réveiller. Pleurant et criant, terrifiés par le chien et les fusils, ils ont vu des femmes soldats masquées ordonner à Amal, au moyen de gestes de la main et dans un arabe approximatif, d’enlever sa robe de prière.
Elle l’a fait. Ils ont ensuite exigé qu’elle enlève le reste de ses vêtements. Elle a protesté, faisant remarquer qu’elle ne pouvait rien cacher dans sa culotte et son maillot de corps. Elle raconte qu’ils ont alors lâché l’énorme chien, qui s’est approché d’elle mais ne l’a pas touchée.
Les enfants ont hurlé de peur tout le temps de l’agression. Amal a dit aux soldats de faire reculer le chien parce que les petits en avaient peur, puis elle a enlevé le reste de ses vêtements. Les enfants ont également dû voir leur mère recevoir l’ordre de tourner, nue, alors que, humiliée, elle sanglotait. Environ dix minutes plus tard, elle et les enfants sont sortis de la pièce, pâles et tremblants.
La deuxième femme appelée dans la pièce a été Ifaf, la matriarche de la famille. Elle n’a pas voulu parler de son calvaire, mais elle a déclaré que les soldats lui avaient fait signe ou ordonné, dans un arabe approximatif, de retirer ses vêtements. C’est bon, tournez, rhabillez-vous.
Pendant ce temps, les autres membres de la famille étaient détenus dans deux autres pièces du même appartement. Les femmes et les enfants étaient dans une pièce et les hommes dans l’autre. Deux ou trois soldats armés étaient postés à la porte de chaque pièce et ordonnaient aux Ajlunis de ne pas parler.
De temps en temps, un autre soldat apparaissait et rapportait quelque chose à ses collègues. Alors que les membres de la famille étaient retenus prisonniers dans les chambres, ils ont entendu Amal et ses enfants crier, suivis par les autres femmes.
Ils ont également entendu les soldats fouiller dans les appartements adjacents. Ils ont entendu des coups, des tiroirs s’ouvrir et tomber sur le sol. Ils ont également entendu les soldats rire.
Silence autour du traumatisme
Il n’existe pas beaucoup de données sur des femmes palestiniennes forcées à se mettre nues lors d’une incursion de l’armée dans leur maison. En 15 ans de recherche sur le terrain à Hébron pour le groupe israélien de défense des droits B’Tselem, Manal al-Ja’bari a enregistré une vingtaine de cas similaires. Mais elle pense que ces phénomènes se sont multipliés ces derniers mois. « La plupart des femmes refusent d’être interviewées par des journalistes au sujet de leur traumatisme », explique Manal al-Ja’bari.
Mais les femmes de la famille Ajluni ont accepté d’être désignées par leur nom à la condition que aucune photo d’elles ne soit prise. Après qu’une femme de la colonie voisine de Beit Hagai a été tuée le 21 août, Mme Ja’bari elle-même s’est vue demander d’enlever tous ses vêtements lors d’une fouille nocturne massive des maisons d’Hébron. Elle a alors remarqué un appareil photo sur le front d’une femme soldat et a refusé de se déshabiller.
« La soldate a retiré la caméra parce que j’ai insisté. J’ai tout de même refusé de me déshabiller. Peut-être parce que je suis à B’Tselem, ils ont cédé », a-t-elle déclaré. Mais les soldats ont saccagé sa maison, cassé plusieurs objets et laissé une telle pagaille que Mem Ja’bari ne savait pas par où commencer pour nettoyer. C’est ce que font souvent les soldats, et c’est ce qu’ils ont fait dans la maison des Ajlunis.
Quand elles sont venues témoigner à Haaretz le 27 août, les femmes de la famille Ajluni ont entendu Manal Ja’bari, qui était également présente, parler de sa propre épreuve. Elles se sont alors rappelé qu’elles avaient également vu quelque chose sur le front des femmes soldats, mais qu’elles ne savaient pas de quoi il s’agissait. Maintenant, en plus du traumatisme de la fouille, elles sont tourmentées à l’idée que les soldats les ont filmées nues.
Dans sa déclaration, l’armée a indiqué que les soldats ne portaient pas de caméra ; le chien en portait une, mais elle était éteinte.
Les femmes ont d’abord déclaré qu’elles ne savaient pas si les femmes soldats étaient masquées, puis elles ont conclu qu’elles devaient l’être. « Lorsque chacune d’entre nous est entrée dans la pièce, les soldats ont légèrement déplacé leur casque [...] de sorte que nous avons pu voir qu’ils avaient des cheveux longs, ce qui signifie qu’il s’agissait de femmes », se sont souvenues Diala et Zeinab, l’une complétant le récit de l’autre.
Parmi les cinq femmes qui ont été déshabillées, seule Amal n’était pas chez elle lorsque les autres ont parlé à Haaretz. Elle était allée faire des courses pour le mariage. La vie reprenait son cours, l’année scolaire avait commencé, et les femmes et leurs enfants retrouvaient peu à peu le sourire.
Mme Ja’bari, l’enquêtrice de B’Tselem, a enregistré les récits des femmes un jour après le raid, décrivant l’effroi et le choc que les Ajlunis allaient encore ressentir des semaines plus tard. Pendant environ quatre semaines, les enfants se réveillaient au milieu de la nuit, effrayés, et faisaient pipi au lit. Les femmes avaient souvent l’impression que des soldats étaient encore dans la maison et sursautaient dès qu’elles entendaient un bruit à l’extérieur.
Soldats à l’extérieur de la maison
La nuit du raid, Diala, 24 ans, s’est réveillée en entendant son mari, Harbi, se disputer avec quelqu’un et lui demander de ne pas entrer dans la chambre parce que sa femme s’y trouvait. « J’ai compris qu’il s’agissait de soldats et je me suis vite levée pour me couvrir et je me suis habillée rapidement - avec une robe de prière », a-t-elle déclaré.
À ce moment-là, des soldats et deux gros chiens muselés ont fait irruption dans la chambre. Les trois filles qui dormaient dans la chambre de leurs parents se sont réveillées à la vue des fusils, des chiens et des yeux qui regardaient par-dessus les masques.
« Mon mari a crié aux soldats - en hébreu et en arabe - de partir et de faire partir les chiens. Mes filles hurlaient et pleuraient et tremblalent de peur. Lujin, qui a 4 ans, a fait dans sa culotte. Les soldats ont ordonné à mon mari de ne pas me parler, ont pointé leurs fusils sur sa tête et l’ont traîné jusqu’à la cuisine », a déclaré Diala.
Elle ne l’a revu que plusieurs jours plus tard, au tribunal militaire d’Ofer, où sa détention a été prolongée à plusieurs reprises. Il est soupçonné de possession d’une arme.
La nuit du raid, elle et ses filles ont été laissées dans la chambre à coucher pendant 10 ou 15 minutes, puis les soldats leur ont ordonné de traverser la cour pour se rendre à l’endroit où toute la famille avait reçu l’ordre de se rassembler. C’était l’appartement de son beau-frère Abdullah et de sa femme, Amal. Diala a demandé à pouvoir prendre l’argent du tiroir avec elle, mais l’officier en manches courtes ne l’a pas permis, a-t-elle dit.
La cour n’est pavée qu’en partie ; elle est pleine de cailloux, d’épines et de morceaux de verre. L’officier ne l’a pas laissée mettre des chaussures à ses filles « et il a fait signe que je devais les porter dans mes bras », raconte Diala. Mais elle n’a porté qu’Ayla, âgée de 17 mois. Lujin et Lida, qui a 5 ans, se sont collées à elle et elles sont sorties.
« J’étais morte de peur en passant à côté du chien », a-t-elle déclaré. Ses filles trottaient à côté d’elle, pieds nus et en pleurs. Elle pensait qu’il y avait aussi d’autres chiens dans la cour.
À ce moment-là, Abdullah a demandé l’autorisation de se rendre à l’appartement dans lequel son frère Mohammed allait emménager après son mariage. Abdullah voulait prendre les bijoux en or, mais les soldats ont refusé. Comme il protestait, ils l’ont menotté dans le dos, lui ont bandé les yeux et l’ont emmené dans la cuisine de Diala et Harbi.
Ils ont fait la même chose avec son cousin de 17 ans, Yamen. Les femmes les ont trouvés dans la cuisine après que les soldats soient partis avec Harbi. Elles ont coupé les liens en plastique à l’aide d’un couteau.
Après la fouille à nu d’Ifaf par les soldats, ça a été au tour de Diala. Un soldat est entré dans le salon et lui a dit de venir avec lui. « Je suis entrée dans une pièce, et comme j’avais très peur de l’énorme chien, je suis restée près de la porte et j’ai essayé de sortir », a-t-elle déclaré. « Les femmes soldats m’ont crié dessus et m’ont ordonné de rester dans la pièce ».
Quand elle a refusé d’enlever les vêtements qu’elle portait sous la robe de prière, la femme soldat qui avait le chien a menacé de le lâcher. Diala a également été obligée de circuler nue en présence des soldats, et elle aussi a pleuré.
Zeinab, 17 ans, s’est rebellée. Lorsque les soldats ont exigé que tout le monde remette son téléphone, elle a réussi à cacher le sien sous un oreiller. Elle a raconté que, alors que les membres de la famille étaient encore assis dans le salon avec les enfants, « un soldat m’a montrée du doigt, a dit [en arabe] « Toi, viens » et m’a emmenée dans la chambre des enfants ».
« Les soldates m’ont montré leurs cheveux pour que je sache que c’étaient des femmes et m’ont ordonné de me tenir dans un coin de la pièce. Puis le soldat a poussé la porte avec colère, a jeté un coup d’œil à l’intérieur, a agité mon téléphone, a levé son fusil et l’a pointé sur moi. Il était en colère parce que je ne l’avais pas remis quand il me l’avait demandé. J’ai hurlé. Heureusement que je n’avais pas encore enlevé mon hijab ».
(À ce moment-là, Diala a ajouté que les autres femmes l’avaient entendue hurler, qu’elles ne savaient pas ce qui se passait et qu’elles étaient très inquiètes).
« Je pensais qu’ils allaient nous examiner avec du matériel électromagnétique », a déclaré Zeinab. « J’ai été surprise lorsque la soldate m’a dit, dans un arabe approximatif, de me déshabiller. J’ai dit : « Quoi ? Elle a répondu : - Les vêtements. J’ai dit : - Je ne veux pas. Elle m’a dit : - Enlève tout ».« J’ai décidé de crier et de montrer que je n’avais rien sur moi, et elle a insisté pour que j’enlève tout. Quand j’ai objecté, elle s’est approchée de moi avec le chien d’une manière menaçante. J’ai entendu Diala me crier de l’extérieur de la pièce que je devais faire ce que la soldate disait. »
« Après cela, je me suis déshabillée. La soldate m’a dit de tourner sur moi-même. Je n’ai fait qu’un demi-tour, alors elle a de nouveau approché le chien de moi. Je tremblais et je pleurais. ».
À un moment donné, les enfants ont été laissés seuls dans le salon, sans leur mère et en présence des soldats armés. Après avoir été fouillées, les mères ont été placées dans un couloir adjacent. Les enfants avaient peur et pleuraient.
Les soldats ont partiellement accédé aux demandes des mères et leur ont permis de récupérer les deux bébés. Ifaf et l’un de ses petits-fils racontent que les soldats ont essayé de calmer les enfants qui restaient seuls dans le salon. Ils ont fait un salut de leurs poings sur les petits poings de certains d’entre eux.
L’unité porte-parole de l’IDF a déclaré : « Sur la base de renseignements, un long M16 a été trouvé, ainsi que des munitions et un chargeur. Après avoir trouvé l’arme, il a été nécessaire de vérifier les autres personnes présentes dans la maison afin d’éliminer la possibilité d’y trouver d’autres armes. Conformément aux instructions des inspecteurs de la police d’Hébron, des femmes soldats de combat [unité canine] ont fouillé les femmes de la maison dans une pièce fermée, chacune individuellement. Les soldats ne portaient pas de caméra. »
« Le chien, qui n’était pas présent dans la pièce lors de l’inspection, était équipé d’une caméra sur le dos à des fins opérationnelles, et celle-ci n’était pas allumée à ce moment-là. Lors des fouilles, un sac noir dissimulé et enveloppé de ruban adhésif a été trouvé et emporté avec l’arme qui avait été trouvée. Le sac a été ouvert dans la salle d’enquête et on a compris qu’il s’agissait de bijoux. »
« Le lendemain de la fouille, le frère de l’homme arrêté est venu, a signé qu’il s’agissait des bijoux de la famille et les a repris. Nous ne sommes pas au courant de la réclamation concernant les 2 000 shekels. Nous n’avons connaissance d’aucune plainte concernant cette affaire. Si on en reçoit, elles seront prises en considération, comme il est d’usage ».
Traduit par : AFPS