Mais la réalité, c’est que depuis cette élection, le Palestinien lambda peine à comprendre qui occupe quelle fonction, comment et pourquoi cette fonction présidentielle existe, et ce que cela signifie concrètement. Cela est d’autant plus vrai dans le contexte palestinien actuel. La Cisjordanie et la Bande de Gaza sont isolées l’une de l’autre géographiquement et politiquement, alors que le Hamas et le Fatah, dans leur quête respective du pouvoir, tour à tour s’arrachent les yeux et se poignardent dans le dos.
Ce n’est pas toujours facile de reconstituer le puzzle politique palestinien et de comprendre les méandres de son organisation. Avant la naissance de l’Autorité Palestinienne, l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) était la seule autorité légitime représentant les Palestiniens. Etablie historiquement dans le but de libérer toute la Palestine – notamment mais pas uniquement par la lutte armée et la résistance, l’Intifada de 1987 a bouleversé les repères politiques de ses dirigeants. Cela a amené l’OLP à accepter la proposition de la communauté internationale de renoncer à la lutte armée et d’ouvrir des négociations avec Israël sur la base de la résolution 242 des Nations Unies, qui demande le retrait d’Israël des territoires occupés en 1967 et appelle à un règlement pacifique du conflit.
Yasser Arafat, alors président du Comité Exécutif de l’OLP et chef du Fatah, a accédé à cette demande mais en exigeant également des garanties – à savoir qu’en même temps qu’ils rejoindraient la table des négociations, les Palestiniens proclameraient leur état sur la Cisjordanie, la Bande de Gaza et Al Quds Al Shareef (Jérusalem-Est). Naturellement, Arafat fut alors élu président de cet « Etat », qui, pour les dirigeants palestiniens, devait advenir des négociations qu’ils venaient d’accepter.
Il n’est pas besoin de préciser que la fonction de Président de la Palestine était et reste à ce jour symbolique, créée à l’époque pour fédérer le soutien international aux Palestiniens dans leur quête de souveraineté par le biais de négociations pacifiques. Une grande partie de la communauté internationale en avait d’ailleurs bien compris le sens, 120 pays reconnaissant l’état virtuel de Palestine quand il fut proclamé le 15 novembre 1988.
Après la signature des accords d’Oslo en 1993, l’Autorité Palestinienne a été créée comme une autorité intérimaire devant guider son peuple vers la souveraineté. Arafat, toujours fin politicien, s’était assuré qu’il serait également élu à la tête de l’AP, évitant ainsi toute divergence entre les deux fonctions de leader symbolique de la Palestine et de dirigeant pragmatique de l’AP.
De toute évidence, cela a bien fonctionné, jusqu’à sa mort en novembre 2004. Mais depuis, l’inaccessible fonction de président de Palestine est restée vacante et le serait probablement restée, mais c’était sans compter sur la situation actuelle dans les Territoires Palestiniens. Alors que Mahmoud Abbas a été élu démocratiquement à la présidence de l’AP en 2005, il s’est depuis retrouvé au centre d’un conflit de pouvoir et d’une bataille rangée avec le Hamas, un parti qui met aujourd’hui en doute la légitimité de son mandat en affirmant qu’il prend fin en janvier 2009.
On peut ainsi se demander pourquoi la récente élection de Mahmoud Abbas au poste de président de la Palestine a eu lieu à ce moment précis. On ne peut la comprendre que dans le cadre d’une stratégie générale visant à renforcer les prétentions de Abbas à la légitimité aux yeux de son peuple. Il va sans dire qu’Abbas est soumis à une forte pression, à la fois de son peuple et de son parti politique, pour prendre l’initiative et mettre un terme au désastreux conflit entre le Hamas et le Fatah. La société palestinienne met également la pression sur le Hamas pour qu’il fasse la moitié du chemin vers Abbas. La communauté internationale, de son côté, veut voir le Hamas délogé du pouvoir et Abbas et son gouvernement à sa place.
Mahmoud Abbas est désormais président de la Palestine, mais est-ce que cela signifie vraiment quelque chose dans la réalité ? S’il y avait un véritable état à gouverner, alors là oui, cela pourrait signifier quelque chose. En 1988, la décision de proclamer un état avec à sa tête un président avait une portée politique et diplomatique énorme, qui a au moins en partie été bénéfique. Mais aujourd’hui, l’élection n’aura très probablement aucun effet et n’influencera ni dans un sens ni dans l’autre les Palestiniens au sujet de la légitimité de Abbas. De même qu’elle n’aura aucun impact juridique sur de futures élections au sein de l’Autorité Palestinienne.
A tout le moins, faire de Abbas le président de la Palestine n’est qu’un nouvel épisode des relations entre les Palestiniens et la communauté internationale. C’est un rappel – en particulier destiné aux Etats-Unis, que les Palestiniens visent toujours l’objectif initial affirmé en 1988, à savoir établir un état palestinien indépendant sur les terres palestiniennes occupées en 1967. Si les Palestiniens ont obtenu une seule chose de la proclamation de leur état, c’est bien la reconnaissance internationale du droit de cet état à exister. Alors que l’idée d’un état palestinien n’était à une époque même pas envisagée par la grande majorité de la communauté internationale, c’est désormais le pré requis sur lequel toutes les négociations s’enclenchent.
Aujourd’hui, le Président de notre Autorité et de la Palestine a fort à faire. Contrairement à son prédécesseur, Abu Ammar, Abbas a du mal à diriger son peuple derrière la bannière de l’unité nationale. Les violentes querelles internes et les clivages politiques qui ont miné les Palestiniens ces dernières années ont affaibli Abbas et diminué sa capacité à diriger tous les Palestiniens.
Dans son discours inaugural, Abbas a affirmé qu’il appellerait à la tenue simultanée d’élections législatives et présidentielles au début de l’année prochaine, si les négociations avec le Hamas échouaient. Le Hamas a rejeté cette proposition, rappelant une nouvelle fois qu’Abbas ne peut pas convoquer ces élections sans l’accord du Conseil Central de l’OLP, qui détient la majorité des sièges. On ne peut pas encore dire si cette récente élection atteindra l’objectif avoué de renforcer Abbas. Mais une chose lui est acquise. S’il perd les élections présidentielles palestiniennes au détriment du Hamas ou d’un autre parti, il restera au moins dans l’histoire comme le deuxième président palestinien.
Joharah Baker écrit pour le programme Media et Information (Media and Information Programme) de MIFTAH (Palestinian Initiative for the Promotion of Global Dialogue and Democracy). On peut la joindre à l’adresse suivante : mip@miftah.org.