"Ils sont déterminés, prêts à tout. Ils peuvent faire des miracles", assène leur chef, qui parade avec son fusil M16. Ce chef, que nous appellerons "Abou Abed", est fier de ses hommes. Il explique qu’ils sont là "pour protéger la frontière", "pour que nos enfants puissent dormir tranquillement".
Nous sommes à deux kilomètres de la clôture qui sépare la bande de Gaza d’Israël. Dans quelques instants, cette unité va prendre position à moins de cinq cents mètres de "l’ennemi". Sur leurs cagoules, une inscription en lettres dorées Saraya Al-Qods ("Brigade Jérusalem"), branche armée du Jihad islamique, mouvement radical qui privilégie la lutte armée. Ces combattants ont pour mission de détecter tous les mouvements de l’armée israélienne et d’intervenir en cas d’incursion. "Abou Abed" énumère leurs âges. Ils ont tous autour de 20 ans. Ils sont étudiants, employés, ouvriers et se rassemblent dès qu’on les appelle par talkie-walkie. Pas question d’utiliser les téléphones portables, trop facilement repérables par l’armée israélienne et ses drones qui survolent en permanence la bande de Gaza. Ils ont quelques RPG (lance-roquettes) et des boîtiers pour commander à distance les mines enterrées dans le sol.
Pour Abou Abed, c’est l’avant-garde d’un bras armée qui, selon ses dires, compterait plus de dix mille hommes. Ce commando, qui a trouvé refuge dans une mosquée, à la périphérie de la bande de Gaza, ne serait qu’une section parmi d’autres. Pourquoi une mosquée ? "Parce que c’est notre vie. On y apprend tout, y compris à se défendre, à lutter pour la libération de notre pays. C’est notre destin. On ne l’a pas choisi. Il nous est imposé", répond Abou Abed. Vont-ils tirer des roquettes ou des obus de mortiers sur Israël ? "Pas nécessairement", précise-t-il. Lui-même participe-t-il à ces opérations comme celles qui ont suivi, mardi 16 décembre, l’assassinat d’un responsable du Jihad islamique à Jénine en Cisjordanie ?
Il préfère ne pas répondre mais il justifie cette réplique : "Nous ne sommes pas des terroristes. C’est une réaction légitime. Pourquoi les Israéliens ont-ils tué notre leader ? La résistance à l’occupation est un devoir. Vous, les Français, vous vous êtes bien battus contre l’occupant allemand. Vous étiez aussi des terroristes à ce compte-là !"
"Nous avons des missiles Stinger"
Agé de 30 ans, père de famille, Abou Abed est entré dans la lutte armée dès ses 16 ans. Il fait partie des cibles potentielles de Tsahal mais il affirme de ne pas avoir peur. "Nous n’avons rien à perdre. La trêve (avec Israël) n’a pas permis d’améliorer la situation des habitants de Gaza. Au contraire, celle-ci a empiré. Alors pourquoi la reconduire ?", se demande-t-il. Si les points de passage sont à nouveau ouverts, si les approvisionnements se font normalement, s’il y a du gaz et de l’électricité, il est prêt immédiatement à faire cesser les tirs sur Israël. Abou Abed estime que l’Etat juif a rompu cette trêve le 4 novembre en procédant à une incursion pour détruire un tunnel creusé près de la frontière et destiné, selon les militaires, à une opération armée palestienne. Six miliciens avaient été tués. Que depuis il y a eu d’autres raids, d’autres morts et que dans ces conditions, le cessez-le-feu a vécu.
Chemise bleue, veste de cuir, collier de barbe fourni, ce professeur d’anglais à l’allure d’étudiant attardé est un cadre important de la Saraya. Il reconnaît que les cinq mois de trêve ont permis à son organisation de renforcer sa capacité opérationnelle. Pas question de rentrer dans les détails. A ses yeux, la présentation de sa section est suffisamment révélatrice. Abou Abed affirme ne pas craindre une grande opération de Tsahal dans la bande de Gaza, souvent évoquée jamais lancée trois ans et demi après le retrait de ce territoire par Israël. "L’invasion ne peut être que limitée et coûtera très cher. Ce sera un massacre. Nous avons les moyens de nous défendre. Ce n’est pas pour rien que les hélicoptères ne s’aventurent plus dans le ciel car ils savent que nous avons des missiles Stinger. Cette fois, ce ne sera plus des roquettes artisanales qui vont tomber sur Israël et la facture pour les civils israéliens sera lourde. Nous ne voulons pas tuer des enfants et des civils mais s’ils le font ici et ils le feront, alors nous n’hésiterons pas. Plus jamais l’ennemi ne pourra occuper Gaza !"
"Il faut désormais qu’Israël paye le prix de ses crimes. Nous ne sommes plus disposés à nous laisser assassiner sans répondre", et pour Abou Abed, le blocus de Gaza qui a suivi la victoire électorale du Hamas en janvier 2006 est justement "un crime contre la démocratie". Alors, il n’est pas prêt de cesser le combat même s’il rêve de pouvoir se rendre un jour à Paris, peut-être même à Eurodisney pour voir à quoi ressemble un lieu de divertissement. Et surtout sortir de la bande de Gaza. Ce qui ne lui est jamais arrivé.