« Elles auraient dû être coupées depuis plusieurs jours et à cette heure, elles seraient déjà sur les étals d’Europe », déplore ce quadragénaire au visage barré d’une barbe naissante sous de petits yeux fatigués. Au lieu d’être exportés, les œillets et autres fleurs sont donnés en pâture au bétail.
Israël a en effet imposé des restrictions draconiennes sur le mouvement de personnes et de marchandises après la prise du pouvoir par les islamistes du Hamas en juin. Depuis janvier, Israël impose un blocus à Gaza en représailles aux tirs de roquettes palestiniennes sur son territoire. À la frontière ne passe que le strict minimum.
Zakary Hijazi, propriétaire de 6 hectares à Rafah dans le sud de la bande de Gaza, affirme avoir perdu 600 000 dollars à cause du bouclage. « J’ai licencié mes 50 ouvriers. Il y a quelques jours, j’ai repris 20 personnes pour couper les fleurs qui vont aller au bétail. Je ne pensais vraiment pas que la situation allait durer aussi longtemps. J’ai tout perdu », confie-t-il en allumant une cigarette. « Je n’avais jamais fumé avant, et maintenant, comme tout notre peuple, je me meurs à petit feu », regrette ce fils d’ouvrier agricole qui a convaincu son père il y a 15 ans de passer à la culture des fleurs. Avec ses sept enfants, il vit dans une grande maison où se croisent 50 membres de sa famille.
De la politique, Zakary n’en fait qu’autour d’un verre de thé et sans appel à la violence. « Je ne demande qu’à vivre en paix, mais nous sommes tous dans une prison dont la porte a été fermée à clé et qui est entre les mains d’Israël », analyse-t-il.
« À chaque fois que mes fleurs partaient pour la Saint-Valentin, je m’imaginais qu’elles devaient permettre d’apaiser des querelles de couple et réjouir les cœurs des autres », dit-il avant d’être interrompu par l’arrivée des ouvriers le long des allées d’œillets plantés au cordeau. Ciseaux à la main, ils s’activent et coupent les tiges avant de les entasser en bottes. Un homme arrive et les dépose sur la charrette tirée par un âne. Zakary avait alors l’habitude de les conditionner dans des cartons destinés à l’exportation. Désormais, elles se fanent dans des sacs.
Un peu plus loin, dans un grand hangar, des vaches, moutons et même un chameau attendent l’arrivée de leur nouvelle nourriture. Les vaches semblent apprécier leur nouveau régime. Mais pour Zakary, le spectacle est insoutenable. Il sort et rallume une cigarette.
En novembre, Israël avait exceptionnellement autorisé l’exportation vers des pays européens de fleurs et de fraises produites dans la bande de Gaza. « Depuis, tout ce que Gaza exporte sont les Qassam », les roquettes palestiniennes tirées sur le sud d’Israël, relève sur un ton ironique le capitaine Chadi Yassine, porte-parole du bureau de liaison israélien avec la bande de Gaza.
Selon Paltrade, un organisme palestinien de statistiques économiques, le bouclage de la bande de Gaza et l’arrêt de la production dans près de 95 % des sociétés ont fait exploser le taux de chômage qui, dans le secteur privé, atteint environ 70 % dans ce territoire.