Une roquette tombée au milieu d’un champ, le 26 mai. Deux autres, le 3 juin. Une encore, le 6 juin. A chaque fois, une réponse immédiate de l’armée israélienne, frappant des cibles dans la bande de Gaza. Des deux côtés, pas de victimes. Ces tirs rapprochés témoignent d’une fébrilité nouvelle, après neuf mois de calme.
Mais le Hamas, qui dirige la bande de Gaza depuis 2007, n’est pas à l’origine de ces attaques, de l’aveu même des Israéliens. De telles initiatives isolées ne servent pas ses intérêts. Ils témoignent des tensions entre les groupes islamistes armés et de l’affirmation d’un courant salafiste. Le dernier tir en date a été revendiqué, dimanche, par un groupe appelé Partisans de l’Etat islamique à Jérusalem.
Cette présence de poches salafistes est ancienne. Au fil des ans, le Hamas a balancé entre tolérance et répression. Mais depuis la guerre de l’été 2014, une poignée de militants a décidé de passer à l’action armée, en se réclamant de l’Etat islamique (EI). Ils ont revendiqué notamment une attaque au mortier à Khan Younès contre une base des brigades Al-Qassam, la branche militaire du Hamas, ainsi que l’explosion d’une bombe devant le bâtiment des forces de sécurité à Gaza. En réponse, le Hamas a procédé à l’arrestation de dizaines de sympathisants. « On ne permettra à personne de mettre en cause la sécurité intérieure », martèle Mahmoud Zahar, l’un des leaders du Hamas.
Impossible de mesurer l’influence salafiste, niée par les maîtres de Gaza, d’autant que certains activistes pourraient être des déçus du Hamas. Mais elle confirme que ce dernier ne peut prétendre au monopole de la violence.
Contacts secrets entre le Hamas et l’Etat hébreu
Affaibli après l’opération « Bordure protectrice » de l’été 2014, le Hamas ne cherche pas l’affrontement avec l’Etat hébreu. Il a trop à faire pour garder le territoire sous contrôle et gérer la réconciliation avec l’Autorité palestinienne (AP). « Le Hamas n’agit pas, il réagit, en fonction de facteurs extérieurs comme l’Egypte, l’Iran ou Israël, analyse Omar Shaban, directeur à Gaza du centre Pal-Think. Je ne crois pas qu’ils soient intéressés par une nouvelle confrontation. Ils signeraient même un cessez-le-feu à long terme avec Israël s’il était sur la table. »
Depuis deux mois, des contacts secrets entre le Hamas et l’Etat hébreu sont évoqués par la presse, à la fureur du président Mahmoud Abbas. Ce dernier soupçonne Israël de consolider le fossé entre Gaza et la Cisjordanie, pour empêcher l’émergence d’un Etat palestinien. A la mi-mai, le journal jordanien Al-Dustour évoquait une médiation turque, résumée ainsi : un cessez-le-feu de cinq ans contre la construction d’un port flottant au large de Gaza.
Les Israéliens aiment pianoter sur les divisions palestiniennes, mais ils savent aussi que la violence s’épanouit dans le désespoir. Le président Reuven Rivlin a osé déclarer, le 27 mai, qu’il n’avait pas « peur de conduire des négociations avec quiconque désireux d’y participer ». Impossible d’imaginer un accord public entre un gouvernement de Benyamin Nétanyahou, très ancré à droite, et le Hamas. En revanche, la poursuite de discussions informelles sur un échange de prisonniers et l’allégement du blocus, en échange d’une paix prolongée, est intéressante pour les deux parties, souligne une source européenne.
Reprendre des forces au milieu des ruines
Mais d’adieu aux armes, il n’est pas question. Le Hamas cherche à reprendre des forces au milieu des ruines. Ahmed Youssef est l’une des figures réformatrices du mouvement. A l’écouter, la puissance de la culture guerrière reste un obstacle à sa mutation. « Certains ici n’ont jamais quitté Gaza, ils pensent que c’est le centre du monde. Ils voient les négociations comme un mot sale. Mais d’autres pensent qu’un cessez-le-feu de longue durée pourrait rendre de l’espoir aux gens, celui d’une vie à peu près normale. »
Les responsables du Hamas le reconnaissent : depuis plusieurs mois, Israël a desserré son étreinte, laissant circuler plus de matériaux et de personnes. La perfusion maintient le malade en état de survie. Mais le Hamas a d’autres préoccupations. Il est englué dans la réconciliation nationale. Le gouvernement technique de Rami Hamdallah n’est pas parvenu à prendre pied dans Gaza. Le coupable, c’est forcément l’autre. « Il y a un an, rappelle Taher Al-Nounou, l’un des porte-parole du Hamas, le gouvernement a reçu trois missions : la réunion des employés du secteur public et de ceux de l’AP, la reconstruction de Gaza et la préparation des élections. Le résultat, c’est un grand zéro. »
La mauvaise volonté semble générale. Les élections ? Tout le monde les réclame, et personne n’en veut. « Abbas a pris la décision de ne pas les organiser, surtout depuis le résultat du vote à l’université de Bir Zeit [le 22 avril, en Cisjordanie], où le Hamas l’a emporté », assure Bessam Naïm, cadre du mouvement. En réalité, le manque d’appétit démocratique est partagé. Lorsque le Fatah a gagné les élections au barreau de Gaza, début avril, le scrutin a été suspendu par le Hamas.
Nettoyer les administrations
Outre le passif violent entre les deux parties – arrestations, tortures, voire exécutions –, la question des employés du secteur public concentre la tension. La refonte des services de sécurité a été prudemment reportée.
Mais il reste à nettoyer les administrations. Après la prise du pouvoir du Hamas en 2007, des milliers d’employés de l’Autorité ont continué à être payés sans rien faire. Aujourd’hui, il faut revoir ces effectifs, soit 20 000 personnes côté Hamas, 28 000 côté AP.
Le 20 avril, une délégation de ministres en provenance de Ramallah s’est rendue sur place. La visite a tourné court. Le Hamas les a accusés de s’occuper exclusivement des anciens employés de l’AP ; les ministres, eux, ont dénoncé leur séquestration à l’hôtel. Depuis l’automne 2014, le bureau de représentation suisse à Ramallah a pourtant beaucoup œuvré pour imaginer une solution.
Mais le Hamas accuse l’AP de double jeu, comme pour la reconstruction. « La moitié de l’argent des donateurs déjà distribué est allée dans ses poches, assure Mahmoud Zahar. Ensuite, personne ne sait ce qu’il est devenu. Dans ces conditions, pourquoi les donateurs tiendraient-ils leurs promesses ? »