Toute la bande de tes amis et puis moi, en ce mois d’avril 2004, le thé et les sodas sur la table improvisée, l’odeur du narghilé fumant envahissant la pièce.
Toi, tu ne pouvais faire tournoyer la boîte de conserve trouée servant à la combustion du charbon de bois.
Je me souviens de ces point rouges entraperçus dans les orifices, ces flammèches jaillissantes comme mille étoiles. Ai-je pensé ce jour là qu’elles étaient comme vous, fugitives d’une immense prison, luttant pour connaître les délices de la liberté et de la dignité ? Je ne me souviens pas !
Oui on a beaucoup ri à tes dépens, moi le vieux au milieu de ces jeunes (les Shébab), quelques mots d’anglais, un mot ou deux d’arabe, notre ami avec ses quelques mots de français et bien sûr papier et crayon servant à nous comprendre, on a échangé, partagé et rigolé de tes déboires.
Ton bras brisé enfermé par un plâtre réparateur, « …qu’est-il arrivé à Rami ?… », je ne sais lequel a lancé cette idée « …Rami s’est pris pour un oiseau… » et de poursuivre « … Mais lui il ne sait pas voler » et voilà c’était parti. Ta chute d’un arbre devenait prétexte à l’échafaudage d’histoires te mettant en scène, imagination collective : Rami perché et cherchant à imiter un oiseau. On a bien ri !
Je t’avoue que les traits de ton visage s’étaient estompés, je n’étais pas sûr à l’évocation de ton prénom de te reconnaître, bien sûr aucun des visages rencontrés dans chacune des villes et des villages que j’ai parcourus ne s’est effacé, mais remettre les prénoms sur une photo serait un exercice difficile.
Jusqu’à ce jour de septembre, « … Tu sais pour Rami ? … Il l’ont « shooté » trois balles dans le corps et maintenant il est en prison… » ….« répète s’il te plait,…il est arrivé quoi à Rami ??.. » J’ai bien compris ces mots terribles, de ma mémoire a jailli ton visage, oui Rami instantanément j’ai su te reconnaître, j’ai reconnu « Crazy Bird », je t’ai vu assis dans la maison, je t’ai vu sourire, complice de nos plaisanteries.
A présent tes bourreaux te tourmentent, Rami c’est dur, de te savoir blessé, souffrant parmi la meute de ces assassins impunis parce qu’ils ont la force de la lâcheté de la communauté internationale face à un Etat voyou conduit par des criminels.
C’est douloureux d’imaginer ces barbares entourant la maison où tu étais réfugié. Je ne peux qu’imaginer l’horreur de l’assaut, ta douleur lorsque les balles cognent et pénètrent ton corps, l’hystérie des soldats triomphants traînant ton corps comme des charognards..
J’imagine ce que tu endures. Chaque jour, pour celles et ceux qui veulent le savoir les dépêches apportent leur lot de drame, de misère, de cruauté, de torture envers ton peuple, mais cette nouvelle est différente pour moi.
Elle me frappe, me blesse, me révolte, un tourbillon d’idées chahute ma pensée. Ce n’est pas juste, tes compagnes et compagnons de combat méritent la même compassion, la même solidarité, mais je ne suis qu’un être humain et notre rencontre pendant ces quelques jours différencie ma douleur, ma révolte.
Lorsque notre ami au téléphone m’a annoncé ton martyre, il m’a fallu rester digne, ne pas pleurer, mais vois- tu, Rami, au delà des chiffres froids et désincarnés des crimes commis par Israël, tu es un homme, un résistant avec qui j’ai partagé un instant de bonheur. Tel une oasis au milieu du désert de souffrance et d’humiliation, cette soirée là, l’occupation impitoyable de ton pays s’était estompée, l’inquiétude d’une énième exaction israélienne était couverte par nos rires.
Peut être auras-tu un jour cette lettre (Inch’allah). Nos amis communs, j’en suis sûr, feront tout leur possible pour qu’elle te parvienne.
– Je veux que tu saches que je pense à toi, que ton visage est à présent gravé avec ton prénom dans ma mémoire.
– Je veux que tu saches qu’avec des milliers de femmes et d’hommes habitant en France, nous faisons notre possible pour que le monde stoppe la main criminelle, depuis plus de cinquante années, des gouvernements israéliens.
– Je veux que tu saches, qu’au delà de ma tristesse, surgit la fierté d’avoir rencontré, un trop court instant, un combattant, un résistant, un homme qui n’abdique pas face à la barbarie.
– Je veux que tu saches s’il en était besoin, que le drame qui te frappe renforce ma détermination à lutter pour ton droit, le droit de tout le peuple palestinien, où qu’il se trouve, à posséder ses droits inaliénables, de vivre chez lui comme il l’entend, décider souverainement de son destin.
– Je veux que tu saches que quelque part des femmes et des hommes pensent à toi avec une profonde amitié.
Ma’a salame Rami,
Marco le French boy.