Hormis le rapport Kahanna de la commission d’enquête israélienne sur les responsabilités de la tragédie, qui exonérait quasi-totalement Israël et égratignait le ministre de la défense de l’époque, le général Ariel Sharon, aucune œuvre de l’esprit ne mentionne ce fait peu glorieux de l’histoire militaire israélienne, Un fait qui a de surcroît considérablement terni le mot d’ordre de la « pureté des armes » de l’armée israélienne et démasqué la nature belliqueuse d’une armée abusivement désignée par des chroniqueurs complaisants de « Tsahal », selon la traduction littérale de son appellation hébraïque, « armée de défense », alors que depuis 1967, elle s’était mue en une armée d’occupation, offensive et offensante, avec son cortège d’exécutions sommaires, d’assassinats extrajudiciaires et d’expédition punitives et dont le Liban en sera le cimetière moral.
Ce film, à n’en pas douter, est riche surtout de ses omissions. Film de fiction, il permet par ce procédé oblique d’évoquer certes un sujet traumatisant pour son auteur puisqu’il était un des éclaireurs de l’assaut, un des soldats chargé de tirer les fusées éclairantes sur les lieux du crime, tout en occultant toutefois la réalité historique passée et présente tant d’Israël que du Liban que de la Palestine. Cette fiction confirme a contrario, d’une manière symbolique, le ghetto dans lequel baigne l’univers mental des Israéliens dans leur environnement régional. Un ghetto mental qu’illustre parfaitement l’intervention du premier ministre israélien Menahem Begin devant la Knesset lors du débat sur les responsabilités israéliennes dans ce massacre : "A Chatila, à Sabra, des non-juifs ont massacré des non-juifs, en quoi cela nous concerne-t-il ? "
Le cinéaste est à la recherche des origines de son traumatisme, négligeant totalement le profond traumatisme des réfugiés palestiniens déjà expulsés de leur propre pays par les mêmes assaillants qui les pourchasseront de nouveau quarante ans plus tard dans leur nouveau refuge, les camps de Sabra-Chatila, terme ultime de leur naufrage et de leur sacrifice.
Autre omission de taille qui aurait pu être pourtant mise à l’honneur de l’armée israélienne et qui tranche avec le comportement moutonnier de ses soldats : la démission depuis le champ de bataille de l’officier en charge de l’assaut de Beyrouth, le colonel Elie Gueva, en guise de protestation conte des ordres qu’il jugeait contraires aux lois de la guerre et de la morale. Elie Gueva a été depuis lors ostracisé par la société militaire israélienne, frappé de syndrome de Sabra-Chatila, rejeté vers les profondeurs de l’anonymat le plus complet, alors que la mise en relief d’un tel comportement aurait eu valeur pédagogique et thérapeutique, au moment où des ultra faucons se disputent la succession d’Ariel Sharon, notamment Benyamin Natanyahou et Shaul Mofaz, visiblement nullement instruits des conséquences désastreuses pour leur pays des équipées bellicistes de leur aîné. Avait-il au moins connaissance, Ari Folman, du geste du Colonel Elie Gueva ?? La censure militaire israélienne l’a-t-elle à ce point occulté du récit de la guerre que le cinéaste n’en retrouve pas trace ??? Ou alors en ayant eu connaissance, n’en a-t-il pas mesuré toute la portée morale ??
Il en est de même des Libanais et des Palestiniens que le film ne mentionne que d’une manière incidente et ne leur donne jamais la parole, n’évoquant nullement leur souffrance, ne cherchant même pas à s’imaginer les terribles ultimes pensées de ces êtres désarmés, doublement persécutés tant par la soldatesque israélienne que par leurs alliés miliciens chrétiens libanais. Ainsi se nourrit les révoltes futures des peuples persécutés.
Au delà de ces critiques, toutefois, le film existe et son existence est salutaire. La scène de la conversation téléphonique entre le premier ministre Menahem Begin et, Ariel Sharon, son ministre de la défense au lendemain des massacres de Sabra-Chatila demeurera dans l’histoire comme un morceau d’anthologie. Tenant d’une main son combiné, opinant régulièrement du chef en direction de son supérieur hiérarchique, l’homme à l’embonpoint légendaire, avait les yeux rivés sur dix œufs plats qu’il s’était commandé pour son petit déjeuner, …….comme indifférent aux malheurs des autres, se préoccupant surtout durant cette conversation de satisfaire, au propre comme au figuré, son féroce appétit de pouvoir et sa boulimie alimentaire. L’appétit de pouvoir, il la satisfera en devenant premier ministre 18 ans après Sabra Chatila, sa boulimie alimentaire, elle, le terrassera ainsi que sa carrière politique, en le plongeant dans un coma cinq ans plus tard.
Au-delà de critiques, un fait demeure toutefois : les fossoyeurs des Palestiniens, le Libanais Bachir Gemayel et l’Israélien Ariel Sharon, par une cruelle ironie de l’histoire, seront, au-delà de la mort, associés à ce point noir de l’histoire contemporaine, tandem infernal d’une conjuration maléfique. A chaque commémoration annuelle de l’assassinat de Bachir Gemayel répondra en écho la commémoration des massacres des camps palestiniens de Sabra-Chatila et la fin caricaturalement tragique d’Ariel Sharon. Trois faits désormais à jamais indissociablement liés dans l’horreur…..dans un sorte de danse de la mort, une valse à trois temps macabre entre Bachir, Sharon et Sabra-Chatila. Comme une sorte de rappel à l’ordre permanent.