Depuis 2004, l’AFPS traduit et publie chaque semaine la chronique hebdomadaire d’Uri Avnery, journaliste et militant de la paix israélien, témoin engagé de premier plan de tous les événements de la région depuis le début. Cette publication systématique de la part de l’AFPS ne signifie évidemment pas que les opinions émises par l’auteur engagent l’association. http://www.france-palestine.org/+Uri-Avnery+
Un jour, un génie du ministère de la propagande conçut une affiche : ‟Qui a peur de la Luftwaffe allemande ?”
Lorqu’elle fut posée dans l’une des bases de la Royal Air Force, une main anonyme écrivit en bas : ‟Signez ici”.
En quelques heures tous les aviateurs avaient signé.
Ce sont ces hommes à propos desquels Winston Churchill a dit : ‟Jamais tant de personnes n’ont été si redevable à si peu de gens !”
Si quelqu’un devait aujourd’hui concevoir une affiche posant la question ‟Qui a peur des colons ?” je serais le premier à signer.
J’ai peur. Pas pour moi. Pour l’État d’Israël. Pour tout ce que nous avons construit depuis 120 ans.
RÉCEMMENT, DE PLUS en plus de gens en Israël et dans le monde disent que la ‟solution à deux États” est morte.
Finito, Kaput. Les colons ont fini par la tuer.
C’en est fini de la paix. Il n’y a plus rien à faire. Nous ne pouvons plus que rester confortablement assis dans notre fauteuil à regarder la télévision, à soupirer profondément, à siroter notre verre en nous disant : ‟Les colonies sont irréversibles !”
Quand ai-je entendu cela pour la première fois ?
Il y a quelque 40 ans – si ce n’est 50, le célèbre historien israélien Meron Benvenisti avait été le premier à le dire. Les colonies, déclarait-il, ont entraîné une situation ‟irréversible”. Pas de solution à deux États, celle qu’avec mes amis je préconisais. Désolé, irréversible. À l’époque il y avait moins de cent mille colons en Cisjordanie, dans la bande de Gaza et même, pour quelques-uns, dans le Sinaï.
Maintenant c’est un slogan que l’on peut entendre partout. La masse même des colons a fait de la solution à deux États une chimère.
On dit qu’il y a maintenant quelque 450.000 colons en Cisjordanie, et 150.000 de plus dans Jérusalem Est occupée.
On ne peut pas les expulser sans provoquer une guerre civile, de Juifs contre des Juifs.
Arrêtons donc de parler d’une solution à deux États. Réfléchissons à quelque chose d’autre. Une solution à un seul État ? Un État d’apartheid ? Pas de solution ? Un conflit éternel ?
JE NE crois pas qu’il existe un problème humain qui n’ait pas de solution.
Je ne pense pas que le désespoir soit un bon conseiller, même s’il semble commode.
Je ne pense pas qu’il y ait dans la vie rien d’‟irréversible”. Sauf la mort.
Si l’on se trouve face à un problème qui semble insoluble, il faut l’examiner, l’analyser et envisager les issues possibles.
On dit que le général Bernard Montgomery, le commandant britannique en Afrique du Nord, avait sur son bureau à l’état-major une photo de son adversaire, le légendaire général allemand Erwin Rommel. À ses visiteurs étonnés il expliquait : ‟Je veux à tout instant me poser la question : Que pense-t-il ?”
Si nous essayons d’imaginer les colons, nous voyons devant nous une masse de 650 mille fanatiques, dont le nombre grimpe de jour en jour. Vraiment effrayant. Mais pas effroyablement réel.
Il n’existe pas une masse de colons. Il y a plusieurs sortes de colons. Si nous voulons trouver un moyen de surmonter ce problème, il nous faut d’abord l’examiner dans ses composantes.
Examinons les divers groupes, un par un.
EN PREMIER LIEU il y a les ‟colons pour la qualité de vie”. Ils vont en Cisjordanie, trouvent un endroit entouré de villages arabes pittoresques et s’installent là sur un terrain qui appartient probablement à un habitant du village arabe. Ils ont vue depuis leur fenêtre sur de beaux minarets et des oliveraies, ils entendent l’appel à la prière, et ils sont heureux. Ils obtiennent le terrain pour rien ou presque rien.
Appelons-les le Groupe 1.
Comme ils ne sont pas fanatiques, il ne sera pas trop difficile de les réinstaller en Israël à proprement parler. Trouvez-leur un endroit agréable, donnez-leur une bonne somme d’argent et ils vont déménager sans trop de problèmes.
ENSUITE IL Y A les ‟colonies de la frontière”. Là les colons vivent dans des villes et des villages très proches de l’ancienne Ligne Verte, la frontière d’avant 1967 qui est toujours la frontière légale de l’État d’Israël. Le gros des colons y vit.
Il y a un accord tacite entre Israël et les Palestiniens pour que ces colonies soient inclues dans l’‟échange de territoires” envisagé par pratiquement tous ceux qui traitent de la ‟solution à deux États”.
C’est basé sur un échange de 1 pour 1, d’égale valeur. Par exemple, en échange de ‟blocs de colonies”, Israël pourrait céder un territoire le long de la bande de Gaza. Les fils et les filles des familles qui habitent la Bande, la surface la plus surpeuplée au monde, apprécieraient la possibilité d’y construire leurs foyers, à proximité de leurs familles.
Appelons cette catégorie de colons le groupe 2.
À ce groupe appartiennent beaucoup des colons ultra-orthodoxes qui en réalité ne sont pas attachés au lieu. Ils ont simplement des familles très nombreuses, pour obéir au commandement de Dieu. Ils ont aussi besoin de vivre ensemble au sein de communautés nombreuses, parce que beaucoup des commandements de leur foi exigent des institutions qui y correspondent.
Les ultra-orthodoxes (‟haredim” en hébreu, qui signifie ceux qui ‟tremblent” devant Dieu) vivent dans des villes terriblement surpeuplées en Israël – Jérusalem Ouest ; Bnei-Brak, etc. Ils ont besoin de plus de terres, et le gouvernement est heureux de leur donner satisfaction – mais au-delà de la Ligne Verte. L’un de ces lieux est Modi’in Illit, en face du village arabe de Bil’in, où, depuis des années maintenant, les habitants locaux manifestent chaque vendredi contre les accaparements de terres.
ENFIN ET SURTOUT il y a les colons idéologiques, les fanatiques, ceux qui ont été envoyés là par Dieu Lui-même. Appelons-les le Groupe 3.
Ils constituent le cœur du problème.
Enlever ce noyau dur représente une tâche très difficile et dangereuse. Le niveau de difficulté dépend de plusieurs facteurs.
Tout d’abord, de l’opinion publique. Tant que ces colons ont le sentiment que le gros de l’opinion publique israélienne les soutient, on ne peut les expulser que par la force brutale. Mais la plupart des soldats et des policiers appartiennent précisément à cette même opinion publique.
Cette bataille ne peut se gagner que si elle est précédée d’une évolution de l’opinion publique. Pour l’obtenir, il va falloir beaucoup de travail politique. Un soutien international peut y aider. Mais je ne pense pas qu’il faille s’attendre à un soutien international – des Nations unies, des États-Unis, etc. – si les Israéliens eux-mêmes n’évoluent pas.
À la fin, une expulsion par la force du noyau dur des colons pourra s’avérer nécessaire. Ce n’est pas une chose à souhaiter, mais c’est quelque chose que l’on ne pourrait pas éviter.
LES COLONS du Groupe 3 sont tout à fait conscients de ces facteurs, bien plus que leurs adversaires. Cela fait des années maintenant qu’ils poursuivent une action méthodique d’infiltration de l’armée, du gouvernement, des services civils et en particulier des media.
Cet effort largement couronné de succès n’est cependant pas encore décisif. Il peut être contré par une effort semblable du camp de la paix.
Un facteur essentiel qui masque tout le reste est le rapport des forces. Les colons se battent pour leur idéologie comme pour leur niveau de vie.
Cela, par ailleurs, traduit un phénomène historique et mondial : les gens des frontières sont plus durs et plus motivés que les gens du centre géographique.
La Prusse en est un exemple remarquable. Au début, c’était une province frontalière allemande dotée de terres très pauvre et peu cultivée. Pendant des siècles, la culture allemande était concentrée dans les villes bourgeoises du cœur de l’Allemagne. Mais à force de persévérance et de volonté la Prusse est devenue la région dominante de l’Allemagne. Lors de la fondation du Reich allemand unifié (le second), la Prusse représentait la force déterminante.
C’est pratiquement la même chose qui s’est produit plus au sud. L’Autriche, une petite province frontalière au sud-est, constitua un vaste empire au cœur de l’Europe, regroupant quantité de nationalités différentes.
Cette esquisse nécessairement brève des solutions possibles n’a pas d’autre but que de montrer que rien n’est irréversible. À la fin tout dépend de nous.
Si nous aimons suffisamment Israël pour défendre son existence même comme État dans lequel nous voulons vivre et auquel nous voulons nous identifier, nous agirons pendant qu’il en est temps.
Ne serait-il pas dommage de voir tous les efforts et tous les espoirs de 120 années sombrer dans le marécage d’un sordide, détestable petit État d’apartheid ?