Dans quel état d’esprit grandit-on en Palestine avec un père prisonnier du fait de sa résistance ?
Yasser Saadat. Ça n’est évidemment pas simple en tant qu’enfant de grandir sans père, et il en va de même pour beaucoup d’enfants palestiniens. D’autant plus lorsque tu sais que ton père aimerait être à tes côtés. Mes frères, ma sœur et moi, sommes chanceux d’avoir une mère qui a toujours été à nos côtés, à chaque étape de notre jeunesse. Elle nous a éduqués dans le droit chemin. Je me souviens d’elle nous disant : « N’oubliez jamais que votre père aimerait être là, mais il ne peut pas. La raison n’est pas de son ressort, elle est due à l’occupation, et même depuis sa prison, il reste à votre écoute pour vous protéger ». Elle insistait pour que l’on ait de bonnes notes afin de pouvoir amener le bulletin en prison : « Vous voulez faire plaisir à votre père ? Ayez de bons résultats scolaires ».
Vous avez donc compris assez vite les enjeux politiques de ton pays ?
Yasser Saadat. Tous les palestiniens prennent conscience de leur situation et des problèmes politiques lorsqu’ils sont enfants. Qui que tu sois, tu ne peux pas vivre sans, tu ne peux pas t’extirper de cette situation. À douze ans, j’ai assisté à l’attaque de l’armée israélienne sur Ramallah. À chaque fois que je souhaite sortir de Ramallah je dois passer des checkpoints. Ce ne sont pas des choses que tu apprends à l’école, ou dans les livres, tu le vis et tu dois faire avec.
Votre père est responsable d’une des principales organisations politiques palestiniennes, comment percevez-vous votre place dans la société palestinienne et sa lutte contre l’occupation ?
Yasser Saadat. Actuellement, j’étudie la musique en Italie. Je sens une responsabilité, c’est celle de rentrer en Palestine dès la fin de mon cursus scolaire, et d’y enseigner tout ce que j’ai pu apprendre. Je veux contribuer à la résistance culturelle, car la musique est l’une des voies de la résistance. J’aimerais pérenniser l’Orchestre de Palestine, qu’il y ait encore d’autres évènements comme ceux auxquels nous participons actuellement. La résistance n’est pas qu’une question d’armes ou de pierres, tu dois d’abord acquérir les bonnes bases, pour être capable de continuer la lutte.
Si demain vous obteniez un entretien avec François Hollande, que lui diriez-vous ?
Yasser Saadat. D’abord qu’il ouvre les yeux pour voir vraiment ce que les Palestiniens sont, et font, loin des préjugés des médias israéliens. Ensuite, je lui dirais que nous ne voulons pas de responsables politiques qui veuillent eux-mêmes libérer la Palestine, nous avons besoin d’actions diplomatiques en faveur de la Palestine. Par ailleurs, cela ne suffit pas de reconnaître la Palestine en tant qu’État, d’autant plus lorsqu’on se limite à un État sur la Cisjordanie et Gaza. Cela n’est pas la Palestine que nous voulons. Ce n’est pas le pays auquel nous aspirons. Prenez la Cisjordanie, la colonisation a pris la majeure partie des terres et nos déplacements sont limités à une centaine de kilomètres. Nous voulons pouvoir circuler à travers toute la terre de Palestine, et avoir un passeport pour voyager. Enfin, si vous souhaitez venir en aide aux Palestiniens, renforcez notre lutte pour l’éducation de nos enfants, pour la santé, notamment à Gaza.
Et un message pour les amis de la Palestine en France ?
Yasser Saadat. D’abord merci. Toutes les personnes qui parlent de la Palestine, qui font parler de la Palestine en dehors du Proche-Orient, nous aident. Leurs activités permettent de sensibiliser leur entourage à notre lutte. Nous avons besoin de répandre la cause palestinienne dans le monde, pour contrecarrer l’image qu’Israël souhaite faire de nous.