La menace s’est concrétisée vendredi 31 août pour l’Autorité palestinienne. Après des mois de tensions, Washington a annoncé par la voix du département d’Etat qu’il allait réduire à néant sa participation au fonctionnement de l’agence des Nations unies (ONU) chargée spécifiquement des réfugiés palestiniens (UNRWA).
Cette suppression s’ajoute à celle de 200 millions de dollars (172 millions d’euros) d’aide bilatérale décidée le 25 août. L’aide globale des Etats-Unis aux Palestiniens s’élevait en 2017 à plus de 350 millions de dollars. Une somme liée au rôle longtemps prépondérant des Etats-Unis dans le conflit israélo-palestinien.
Un peu plus tôt, Berlin avait annoncé une augmentation « substantielle » de sa contribution à l’UNRWA et appelait ses partenaires européens à faire de même. L’agence aide plus de trois millions de Palestiniens, parmi les cinq millions enregistrés comme réfugiés, notamment à travers ses écoles et ses centres de santé. Sa capacité de travail est en « jeu », a écrit le ministre allemand des affaires étrangères, Heiko Maas, dans une lettre à ses homologues européens, réunis à Vienne jeudi et vendredi.
Ces ressources, poursuit-il dans la lettre, ne suffiront pas à compenser le retrait américain et, par conséquent, l’Union européenne (UE) doit « faire de nouveaux efforts ». La présence de cette agence est « un facteur clé pour la stabilité, en particulier dans la bande de Gaza ». Sa paralysie pourrait « déclencher une réaction en chaîne incontrôlable », met en garde M. Maas.
« Expansion sans fin et exponentielle »
Début 2018, l’administration de Donald Trump avait déjà coupé de moitié sa participation à l’UNRWA. L’aide avait été réduite à environ 60 millions de dollars.
Le 25 août, le département d’Etat avait ensuite annoncé son intention de réorienter vers « des programmes hautement prioritaires ailleurs » la somme de 200 millions de dollars prévus pour des programmes en Cisjordanie et à Gaza. Cinq jours plus tard, le Washington Post avait assuré sans être démenti que la dernière tranche d’aides à l’UNRWA serait également supprimée prochainement.
S’exprimant devant la Foundation for Defense Democracies, un think-tank pro israélien de Washington, l’ambassadrice américaine à l’ONU, Nikki Haley, avait laissé entendre, le 30 août, que son pays interrompra cette aide jusqu’à ce que l’agence des Nations unies se réforme, citant le contenu des enseignements qu’elle dispense dans ses très nombreux établissements scolaires, jugés agressifs vis-à-vis d’Israël.
Tout en invitant les pays arabes du Golfe à plus s’impliquer financièrement auprès de l’agence, elle avait également ajouté comme condition la définition par l’UNRWA d’un « nombre juste » de réfugiés palestiniens. Vendredi, la porte-parole du département d’Etat, Heather Nauert, a indiqué que « l’expansion sans fin et exponentielle de la communauté de bénéficiaires n’est pas viable ».
Modifier les paramètres de la négociation
Cette mention renvoie aux courriers internes à l’administration de Donald Trump publiés le 3 août par le magazine Foreign Policy. Chargé depuis l’arrivée à la Maison Blanche de son beau-père de la préparation d’un plan de paix israélo-palestinien, son gendre et conseiller Jared Kushner y fait état de son intention de liquider « une agence qui perpétue le statu quo, qui est corrompue, inefficace et qui n’aide pas à la paix ».
Selon le Washington Post, les Etats-Unis envisagent d’exiger de l’UNRWA une réduction drastique du nombre de Palestiniens considérés comme des réfugiés, qui s’élève aujourd’hui à cinq millions de personnes. L’administration Trump souhaiterait que ce statut soit limité aux personnes en vie au moment de la création de l’agence, il y aura bientôt soixante-dix ans, soit environ un dixième du total. « Il ne revient pas à l’administration américaine de définir le statut des réfugiés palestiniens », a réagi le représentant de l’Autorité palestinienne à Washington, Husam Zomlot.
Il ne s’agit pas de la première tentative de la part des Etats-Unis de modifier les paramètres de la négociation entre Israël et les Palestiniens en violation des résolutions de l’ONU. En décembre 2017, le locataire de la Maison Blanche avait ainsi reconnu unilatéralement Jérusalem comme capitale de l’Etat hébreu, alors que les Palestiniens souhaitent établir la leur dans la partie annexée par la force en 1967.
Donald Trump a estimé, le 28 janvier, aux côtés du premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou, à Davos, en Suisse, que cette décision a retiré la question du partage de Jérusalem, particulièrement délicate, de la table d’éventuelles négociations. « Nous n’avons plus à en parler », a-t-il affirmé.
La mesure « la plus anti-israélienne » de Trump
La réduction a minima du nombre de réfugiés palestiniens s’inscrit dans la même logique qui épouse fidèlement les positions israéliennes. Elle est accompagnée par le feu vert tacite donné par Washington à l’expansion des colonies israéliennes dans les territoires palestiniens, une autre rupture de taille avec les administrations précédentes, démocrates comme républicaines.
Le coup de force américain sur Jérusalem a cependant entraîné une crise sans précédent avec l’Autorité palestinienne. La préparation du plan de paix de Jared Kushner, annoncé de longue date mais qui tarde à se concrétiser, se limite pour l’instant au dialogue du gendre du président des Etats-Unis avec les autorités israéliennes, élargi ponctuellement aux capitales arabes alliées de Washington.
Redoutant une déstabilisation des territoires palestiniens, l’ancien négociateur américain Aaron David Miller a jugé, jeudi sur son compte Twitter, que l’assèchement des fonds de l’UNRWA serait la mesure « la plus anti-israélienne » prise par Donald Trump depuis son arrivée à la Maison Blanche.
Gilles Paris, correspondant à Washington