Date du témoignage : 23 octobre 2024
Lorsque la guerre israélienne a commencé dans la bande de Gaza le 7 octobre 2023, je vivais avec ma famille, mes frères et sœurs, mes oncles et leurs familles dans un immeuble de cinq étages. Alors que la guerre s’intensifiait avec les frappes aériennes incessantes et les obus aveugles, frappant particulièrement la zone environnante, j’ai décidé de me réfugier à l’hôpital Kamal Adwan le 20 octobre 2023, pensant qu’il s’agissait d’un endroit relativement sûr et parce qu’en tant qu’auxiliaire médical, j’étais obligée de rester à l’hôpital tout le temps à cause de la guerre.
Le 22 novembre 2023, alors que j’étais à l’hôpital, un de mes collègues est venu m’informer que les forces d’occupation israéliennes avaient commis un massacre dans le quartier résidentiel de Beit Lahia. Je me suis donc rendue sur les lieux avec d’autres secouristes pour découvrir que le massacre visait ma famille « al-Dawawsah » et que le missile avait ciblé notre maison, le bâtiment de cinq étages dont j’ai parlé plus haut, et l’avait complètement détruite, la transformant en un tas de décombres. Les corps de ma famille ont été éparpillés dans la rue et dans les environs ; 80 membres de ma famille, frères, sœurs, oncles et tantes, ainsi que leurs familles et les personnes déplacées qui se trouvaient dans l’immeuble ont été tués.
Premier raid sur l’hôpital Kamal Adwan
Début décembre 2023, alors que je travaillais à l’hôpital Kamal Adwan, nous avons entendu des explosions et des coups de feu s’intensifier progressivement, ouvrant la voie à l’avancée des véhicules militaires et de l’armée israélienne vers l’hôpital Kamal Adwan et ses environs. L’armée israélienne a pris le contrôle total de la proximité de l’hôpital, l’encerclant de toutes parts et l’assiégeant pendant deux jours. Je me souviens que la porte arrière sud de l’hôpital a été bombardée, là où se trouvait une chambre pour nous, l’équipe d’ambulanciers, tuant ma collègue Ayah al-Jabal.
Deux jours après le siège de l’hôpital, les véhicules israéliens se sont retirés sans attaquer l’hôpital, et j’ai pu partir et me réfugier dans la maison d’un voisin appartenant à la famille Abu al-’Eish dans le camp de réfugiés de Jabalia. Le 21 décembre 2023, vers 1 heure du matin, le bâtiment où nous nous trouvions a été bombardé alors que nous étions à l’intérieur. Un missile l’a directement touché et l’a complètement détruit. J’ai été extraite des décombres et j’ai subi des contusions mineures. Cependant, 30 membres de cette famille ont été tués et 20 autres ont été blessés.
Deuxième invasion terrestre
Le 18 mars 2024, l’armée israélienne a déclaré la deuxième opération militaire dans les environs du complexe médical d’al-Shifa et a effectué un raid inattendu sur le complexe au cours de son incursion dans le camp de réfugiés de Jabalia et ses environs. En outre, les forces de l’occupation israéliennes ont déclaré, dans des tracts largués par avion, des ordres d’évacuation pour les habitants du nord de Gaza, les exhortant à se diriger vers le sud de la bande de Gaza. À l’époque et compte tenu de ce dont j’avais été témoin, j’ai décidé de me rendre dans le quartier de Sheikh Redwan, dans la ville de Gaza.
Au début du mois d’avril 2024, je ne me souviens pas de la date exacte, l’armée israélienne s’est retirée du nord de la bande de Gaza, je suis donc retournée dans le nord de Gaza et j’ai trouvé refuge à l’école préparatoire pour filles de Jabalia, dans le camp de réfugiés de Jabalia. J’ai travaillé comme auxiliaire médical dans un point médical de l’école et j’y suis restée jusqu’à ce que je sois déplacée de force en octobre 2024.
Troisième invasion terrestre
Le 5 octobre 2024, j’étais à l’école lorsque nous avons soudain entendu des obus et des bombes tomber sans relâche et consécutivement sur différents endroits du nord de Gaza, tandis que des quadcoptères survolaient la région en tirant de temps à autre au milieu de fortes et violentes explosions visant des maisons. Tout cela s’est produit dans l’après-midi, alors que la situation dans le nord de Gaza avait radicalement changé. Parallèlement, l’armée israélienne a publié sur les réseaux sociaux de nouveaux ordres d’évacuation forçant les résidents du nord de Gaza à évacuer immédiatement vers le sud. Ces ordres de déplacement ne font qu’ouvrir la voie à l’application du soi-disant « plan des généraux » d’Israël dans le but de dépeupler le nord de Gaza et de déplacer de force ses habitants sans que l’aide humanitaire n’entre et en détruisant les derniers services et installations essentiels à la survie de la population.
Je suis restée à l’école jusqu’au 20 octobre 2024, date à laquelle nous pouvions entendre des explosions partout et, à la tombée de la nuit, nous pouvions entendre des explosions massives résultant de la détonation d’immeubles résidentiels entiers. L’école a été la cible de tirs continus de quadcoptères sur sa cour, tandis que des éclats d’obus s’éparpillaient un peu partout, ce qui nous a fait craindre de quitter l’école et même les salles de classe en raison des tirs nourris.
La situation humanitaire à l’école était déplorable. Nous étions 400 familles déplacées : chacune dans une salle de classe séparée, soit un total de 30 à 40 personnes par classe, principalement des enfants et des femmes, sans aucune norme minimale en matière de soins de santé ou de sécurité.
Le 6 octobre 2024, l’armée israélienne a bombardé le principal puits d’eau alimentant l’école, situé derrière les salles de classe, rendant l’eau rare, chaque personne n’ayant qu’un demi-litre d’eau par jour et luttant pour obtenir de l’eau pour sa famille. En ce qui concerne la nourriture, les familles se sont efforcées d’économiser autant que possible, craignant l’inconnu, d’autant plus qu’elles ne disposent que de quelques boîtes de conserve suffisantes pour deux ou trois jours.
Nous nous sommes efforcés de maintenir le point médical opérationnel dans la limite des ressources disponibles, afin de pouvoir faire face à toute situation d’urgence à l’école. J’étais de garde pour fournir des services aux personnes déplacées à l’école.
Lorsque l’école a été bombardée...
Le 20 octobre 2024, vers 9 heures, un quadcopter israélien s’est approché de nous avec un micro qui parlait en arabe : « Tout le monde ici, sortez. Vous êtes dans une zone de combat. Tsahal vous prévient ». À ce moment-là, le chaos et la peur ont envahi l’école et toutes les familles déplacées se sont préparées et ont emballé leurs affaires pour partir, y compris moi, certains d’entre eux étant déjà partis. Environ 10 minutes plus tard, nous avons entendu des explosions massives à l’intérieur de l’école alors que j’étais encore dans la salle de classe en train d’emballer mes affaires et la trousse de premiers secours afin d’être prête à apporter de l’aide à quiconque en aurait besoin au cours de notre évacuation. Effrayée, je me suis précipitée dans la cour pour découvrir que tous les gens qui s’y trouvaient avaient été pris pour cible par des obus, tandis que des pierres et des gravats remplissaient l’endroit. Des dizaines de cadavres étaient éparpillés dans la cour au milieu des cris des blessés qui appelaient à l’aide ; la plupart d’entre eux étaient amputés. À ce moment-là, j’ai pris mon téléphone et j’ai commencé à enregistrer ce crime odieux qui avait coûté la vie à dix personnes et en avait blessé quarante autres. J’ai pu apporter de l’aide à quelques personnes, mais je ne pouvais pas faire tout le travail seule, étant donné qu’il n’y avait pas de matériel médical disponible, à l’exception de la trousse de premiers secours que je possédais.
Vers 10h30 ce jour-là, je me suis rendue seule à Schools Street où j’ai trouvé des cadavres et des blessés éparpillés sur les trottoirs. Je me souviens d’avoir trouvé une mère avec ses deux enfants : la mère et son fils étaient morts, le fils déchiqueté, tandis que sa fille de 4 ans était encore en vie. J’ai porté la fillette et je l’ai promenée après lui avoir prodigué les premiers soins. Je me souviens qu’elle était de la famille Shehadah, et je l’ai alors confiée à des jeunes hommes, que je ne connais pas, qui l’ont emmenée dans un centre médical.
Je suis arrivée près de la salle des mariages de Bagdad et j’y ai trouvé des gens. Je me suis dirigée vers eux et j’ai découvert plus de 30 chars et des dizaines de soldats, pensant un instant qu’il s’agissait d’une base militaire. Tous les chars étaient alignés avec les soldats au bout des rues. Nous avons continué à marcher et nous avons vu les soldats arrêter une trentaine de personnes et deux femmes.
Nous étions plus de 600 personnes à marcher dans la rue menant à l’ancienne rue de Gaza, avec les drones planant au-dessus de nous et nous photographiant. Si le drone planait et ralentissait au-dessus d’une personne spécifique, cette dernière était désignée par un symbole et non par son nom, ce qui signifiait que l’arrestation était arbitraire. Enfin, nous avons pu atteindre la ville de Gaza après avoir marché tout le long de la rue Salah al-Deen.
Neveen Mohammed al-Dawawsah (21 ans), auxiliaire médicale et résidente de Beit Lahia, au nord de Gaza.
Traduction : AFPS
Photo : Un certain nombre de Palestiniens déplacés et de journalistes ont été blessés à l’hôpital Nasser de Khan Younis, février 2024 © Eye On Palestine