Plus de 600 000 colons vivant en territoire palestinien. Quatre-vingts pour cent de la Cisjordanie officiellement sous contrôle militaire israélien. Et le sujet « Jérusalem » désormais « retiré de la table » des négociations, selon les mots du président américain Donald Trump. Vingt-cinq ans après la signature des accords d’Oslo, qui ont créé l’Autorité palestinienne et devaient aboutir sous cinq ans à la création d’un État palestinien indépendant, qui croit encore à la solution à deux États ?
« Après l’annonce par Trump du transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem, il n’y a guère plus que Mahmoud Abbas et Federica Mogherini (haute représentante de l’Union européenne pour les Affaires étrangères) qui croient encore en la solution à deux États », pointe Hamada Jaber, militant politique palestinien, cofondateur de la One State Fondation. Lancée le 1er mars dernier, cette initiative israélo-palestinienne vise à promouvoir dans les deux sociétés l’idée d’un seul État binational, avec des droits égaux entre citoyens israéliens et palestiniens. Elle traduit peu à peu un changement de paradigme chez la jeunesse palestinienne, qui semble aujourd’hui plus encline à se battre pour ses droits que pour un « État » chimérique.
À en croire le dernier sondage du Palestinian Center for Policy and Survey Research, réalisé en décembre 2017, près de 35 % de Palestiniens (30 % chez les Israéliens) soutiendraient la solution à un État, un chiffre en constante progression par rapport à celui, figé, des 46 % de Palestiniens qui soutiennent la solution à deux États. « Nous vivons déjà dans une réalité à un seul État, mais sous un système d’apartheid », souligne Hamada Jaber. « Et il faut y mettre un terme. » Si les citoyens juifs et arabes de l’État hébreu bénéficient de tous les droits relatifs à une démocratie, il n’en va pas de même des Palestiniens vivant en Cisjordanie. Officiellement sous contrôle administratif de l’Autorité palestinienne, dans 40 % du territoire (zone A et B), ces derniers sont en réalité soumis à la loi de l’occupation militaire israélienne.
Véritable discrimination juridique
« Si vous vivez en Cisjordanie, vous pouvez apercevoir certains aspects visibles de cette réalité oppressive : les colonies, les checkpoints, les miradors, le mur construit à l’intérieur du territoire, et les soldats israéliens », explique Hagai El-Ad, directeur de l’ONG israélienne des droits de l’homme B’Tselem. « Mais il y a beaucoup d’aspects invisibles. Si vous êtes palestinien, vous aurez besoin d’un permis israélien pour construire une maison, connecter de l’eau, de l’électricité, vous rendre sur votre terrain situé de l’autre côté du mur, travailler en Israël ou voyager à l’étranger. Tous ces permis sont absolument à la discrétion d’Israël, délivrés ou repris de manière totalement arbitraire. L’Autorité palestinienne ne joue que le rôle d’intermédiaire, pour certains de ces permis. »
Une réalité contestée par Emmanuel Nashon, porte-parole du ministère israélien des Affaires étrangères. « La grande majorité des Palestiniens habite dans les zones A et B et est de fait soumis à la loi palestinienne », souligne le diplomate. « Les questions de vie quotidienne et de contentieux sont gérées selon la loi palestinienne et n’ont rien à voir avec les Israéliens. »
La différence de traitement entre citoyens israéliens et palestiniens, en Cisjordanie, est encore pourtant flagrante aux abords des colonies, pourtant illégales au regard du droit international et condamnées par le Conseil de sécurité de l’ONU. « En Cisjordanie, un Palestinien qui vit à 100 mètres d’une colonie est soumis à la loi martiale israélienne », souligne une source diplomatique occidentale. « Or, le colon vivant dans cette colonie est soumis à la loi civile d’un État démocratique. Il existe donc une situation de véritable discrimination juridique au regard du droit international, qui n’est pas acceptable selon les Conventions de Genève sur le droit international humanitaire. »
Accélération de la colonisation
Une interprétation erronée, selon le porte-parole du ministère israélien des Affaires étrangères. « Les colons sont soumis à la loi israélienne, car ils sont eux-mêmes israéliens », rappelle Emmanuel Nashon. « Seuls les Palestiniens vivant en zone C (300 000 personnes) vivent sous contrôle militaire israélien. Leur nombre est relativement restreint et leur statut doit être déterminé à l’issue des négociations de paix. »
Ces dernières sont pourtant suspendues depuis pratiquement quatre ans et le dernier échec de la médiation américaine en 2014. Et en l’absence de réaction ferme sur le plan international, la colonisation se poursuit tous azimuts. Sous l’égide du gouvernement de Benjamin Netanyahu, le plus à droite de l’histoire d’Israël, qui fait la part belle aux nationalistes et aux ultra-orthodoxes, elle s’est même accélérée, encouragée en ce sens par l’élection de Donald Trump, qui a lui-même pris ses distances avec la solution à deux États.
« Nous assistons aujourd’hui à des changements dans les caractéristiques de l’implantation des colonies », souligne la source diplomatique occidentale. « Celles-ci touchent désormais les lignes rouges de la communauté internationale en s’installant dans la profondeur de la Cisjordanie, mettant en péril la viabilité d’un État palestinien. »
Un soutien « hypocrite »
Au sein du gouvernement israélien, mais aussi du Likoud (droite nationaliste dont est issu Benjamin Netanyahu), beaucoup de voix appellent aujourd’hui à l’annexion pure et simple par Israël de la zone C de la Cisjordanie (60 % du territoire, sous contrôle administratif et sécuritaire israélien), qui compte le plus grand nombre de colonies (au moins 385 000 colons israéliens y vivent).
« Certains leaders politiques israéliens, comme le ministre de l’Éducation Naftali Bennett [qui dirige le parti nationaliste religieux du Foyer juif, NDLR], sont très explicites quant à leur volonté de ne reconnaître aucun droit politique aux Palestiniens après annexion de la Cisjordanie », rappelle la source diplomatique occidentale, qui renchérit : « Il est évident que Benjamin Netanyahu soutient de manière hypocrite la solution à deux États. Il pense continuer à vivre avec le statu quo, c’est-à-dire une augmentation du nombre de colonies encerclant les îlots que sont les villes palestiniennes de Cisjordanie, afin que les Palestiniens soient, au final, tentés par l’émigration à l’étranger. »
« Les colonies ne sont pas un obstacle au processus de paix », assure pourtant le porte-parole de la diplomatie israélienne, Emmanuel Nashon. « Israël a déjà démantelé des colonies en Égypte [à la suite du traité de paix de 1979, NDLR] et s’est unilatéralement retiré de Gaza [en 2004]. » D’après le diplomate, l’État hébreu envisage toujours la solution à deux États, avec un État palestinien démilitarisé. « Il est important, souligne-t-il, d’attendre le plan de paix de Donald Trump et de son équipe, qui sera certainement une base pour négocier. »
Désarroi palestinien
Censé être présenté au cours des prochaines semaines, le plan de paix américain, concocté par le conseiller et gendre du président, Jared Kuchner, l’envoyé spécial de Donald Trump au Moyen-Orient, Jason Greenblatt et l’ambassadeur en Israël, David Friedman – tous trois proches de la droite israélienne –, a pourtant déjà été balayé d’un revers de main par les Palestiniens. « Nous disons à Trump que nous n’accepterons pas son plan, l’affaire du siècle s’est transformée en claque du siècle », a notamment souligné Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne, en janvier dernier. Rejetant désormais toute médiation américaine qu’il estime biaisée, le leader palestinien a annoncé qu’Israël avait par la même mis fin aux accords d’Oslo.
Mais le président palestinien s’est bien gardé d’actionner ses deux derniers leviers de pression sur l’État hébreu : la fin de la reconnaissance d’Israël et l’arrêt de la coopération sécuritaire avec les Israéliens, qui permet à ces derniers de maintenir un calme relatif en Cisjordanie grâce à l’action de la police palestinienne. « Ne nous pressons pas. Ne nous pressons pas, nous avons toujours une multitude de cartes à abattre », temporise un haut responsable palestinien. « C’est Israël qui est sous pression. Nous courrons tout droit vers un État binational. Est-ce vraiment ce qu’il souhaite ? »
S’il se veut rassurant, le discours palestinien cache pourtant un profond désarroi. « Nous ne pouvons pas mettre fin à la coopération sécuritaire avec Israël, car au-delà de l’aspect militaire, elle englobe plein d’aspects humains et personne n’a intérêt à ce qu’elle cesse », souffle une source officielle palestinienne. « L’Autorité palestinienne ne fait que servir les intérêts sécuritaires d’Israël », peste le militant politique palestinien Hamada Jaber. « Or, si la coopération cesse, alors l’Autorité n’a plus aucune raison d’exister. »