George W. Bush prend son temps.
Il ne devrait annoncer les éventuelles
réorientations de sa politique
en Irak qu’en 2007. Ce 7 novembre,
pourtant, les néo-conservateurs américains
ont subi une grave défaite lors des élections
de mi-mandat américaines, au profit
des démocrates désormais majoritaires
à la Chambre et au Sénat. En jeu,
en premier lieu, la pertinence de la poursuite
de la guerre en Irak. Publiée en
décembre, une enquête d’opinion réalisée
pour la chaîne CBS confirme que
soixante-deux pour cent des Américains
la considèrent comme une erreur. Cinquante-
trois pour cent estiment que les
Etats-Unis sont sur le point de la perdre,
ce qui est nouveau. Selon un autre sondage,
publié par le quotidien USA Today,
trois quarts des Américains souhaitent le
retour aux Etats-Unis de la plupart des
soldats avant 2008. En fait, et cette évolution
de l’opinion américaine en résulte
pour une grande part, ces derniers mois
ont surtout vu le retour des cercueils. Et
la guerre coûte cher. C’est du reste principalement
contre les coupes sombres
dans le budget social, contre la remise en
cause du système de protection sociale,
contre la privatisation rampante du système
des retraites et contre l’augmentation
du nombre des travailleurs pauvres
que l’AFL-CIO, le puissant syndicat
américain, s’est pleinement engagé dans
la campagne, appelant à voter démocrate.
George W. Bush a très vite sacrifié son
secrétaire à la Défense. Promoteur de la
guerre en Afghanistan et en Irak, symbole
de la politique de guerre dite « préventive
» des Etats-Unis « contre le terrorisme
», Donald Rumsfeld a démissionné
au lendemain même des élections,
remplacé par Robert Gates. Fort
d’une longue carrière, à la tête de la CIA
notamment, ce dernier n’a pas hésité à
annoncer que les Etats-Unis n’étaient
pas en voie de gagner la guerre en Irak.
John Bolton, l’ambassadeur des Etats-Unis
aux Nations unies, symbole pour sa part
de l’unilatéralisme américain, a lui aussi
été remercié. De même que Stephen
Cambone, un proche de Donald Rumsfeld,
qui était à la tête du Renseignement
au Pentagone.
Un petit mois plus tard, le 6 décembre,
l’ancien secrétaire d’Etat James Baker et
le démocrate Lee Hamilton, longtemps
à la tête de la Commission des Affaires
étrangères de la Chambre, rendaient,
après huit mois de travail d’une commission
bipartisane (composée de républicains
et de démocrates), un rapport
critique sur la politique américaine au
Proche et au Moyen-Orient, appelant à
sa réorientation tant en Irak que concernant
le dialogue avec les Etats de la
région, et formulant aussi plusieurs recommandations
pour sortir le conflit israélopalestinien
de l’impasse.
Les résultats des élections américaines, tandis que les Etats-Unis s’embourbent
en Irak, préludent-elles à une véritable
réorientation stratégique de Washington
dans cette région du « Grand Moyen-
Orient » à laquelle George W. Bush promettait
un avenir de démocratie grâce
aux chars américains ? Peut-être vont-elles-au moins- ouvrir la voie à une
remise en cause de la politique de violations
des droits humains au nom de la
sécurité. Quelles sont les recommandations
de la commission Baker-Hamilton
et ont-elles quelque chance d’être
prises en considération ? Qu’en est-il
des risques de guerre contre l’Iran ou
contre la Syrie ? Quelle marge de
manoeuvre les Etats-Unis sont-ils prêts
à laisser ou non à Tel-Aviv sur ce dossier
? Peut-on attendre de la victoire
électorale démocrate une politique différente
de celle des républicains concernant
le conflit israélo-palestinien ?
Rapport Baker-Hamilton :quitter l’Irak
Remis le 6 décembre à la Maison
Blanche, le rapport de la commission
bipartisane dément les rodomontades
présidentielles sur une victoire prochaine
des Etats-Unis en Irak et sur les
perspectives de « Grand Moyen-Orient »
remodelé à leur mesure. Dénonçant la
minimisation des chiffres et des faits,
il ne formule pas moins de 79 recommandations.
Il préconise en premier
lieu une conclusion « raisonnable » à
l’occupation de l’Irak, qualifiée de
« longue et coûteuse ». Pour les rapporteurs,
non seulement la situation est
grave, mais elle se détériore. Ils prônent
donc le retrait des troupes américaines,
d’ici le premier trimestre 2008,
« si les conditions le permettent » et en
accroissant considérablement sur le terrain
le nombre des « conseillers » américains.
Tandis que la
guerre et l’occupation
génèrent et accélèrent
un conflit entre chi’ites-majoritaires et politiquement
réprimés par
le régime de Saddam
Hussein - et sunnites,
dont les ondes de choc
se font sentir jusqu’au
Liban, et tandis que les
Etats arabes voisins, en
particulier l’Arabie saoudite -sunnite-
font part de leur inquiétude, James Baker
et Lee Hamilton suggèrent également
un dialogue en Irak avec l’ayatollah al-
Sistani comme avec l’organisation chi’ite
de Moqtada al-Sadr. Plus généralement,
ils plaident en faveur d’une réorientation
diplomatique régionale, associant
l’Europe, la Russie et la Chine, et favorisant
le dialogue au détriment du bâton.
Ainsi prônent-ils notamment le dialogue
avec la Syrie et l’Iran.
Dissensions sur la Syrie et l’Iran
C’est principalement sur ce dossier que
le bât blesse le plus douloureusement,
et que Baker et Hamilton essuient les
critiques les plus violentes, tant des républicains
que d’une part des démocrates.
En fait, les démocrates apparaissent divisés.
En outre, si George W. Bush a promis
de consulter démocrates et républicains,
il garde par ailleurs
constitutionnellement la main sur la
diplomatie américaine.
Concernant la Syrie, le dialogue ne
semble pas à l’ordre du jour. Pour l’instant.
« Octroyer le moindre soupçon de
légitimité à ce gouvernement (syrien)
sape la cause de la démocratie dans la
région », a déclaré le porte-parole de la
Maison Blanche Tony Snow midécembre
à l’issue de la visite du sénateur
Bill Nelson à Damas. « Les Syriens
ne doivent pas avoir le moindre doute
quant au fait que la position du gouvernement
américain reste la même : ils
savent ce qu’ils ont à faire, ils doivent
cesser de donner refuge à des terroristes,
ils doivent cesser de soutenir le
terrorisme en Irak, au Liban et ailleurs,
ils doivent cesser de servir de quartier
général pour des organisations terroristes
et ils doivent faire preuve de bonne
volonté », a-t-il ajouté. Le président
syrien Bachar al-Assad, de son côté,
appelle les gouvernements israélien et
américain à négocier avec Damas, mais
ajoute craindre une attaque d’Israël [1].
Même si l’absence de dialogue, ou
l’expression de conditions préalables,
ne signifient pas la guerre.
La question des relations avec Téhéran
semble plus délicate. D’un côté,
Washington craint le développement du nucléaire iranien. De l’autre cependant,
le rôle de Téhéran n’est pas neutre
en Irak, et Washington ne bouderait pas
un peu de répit. Les faucons, tels Dick
Cheney, ne sont pas défavorables aux
frappes dites elles aussi « préventives ».
Joshua Muravchik, de l’American Enterprise
Institute (think-tank néo-conservateur),
avance : « Nous n’avons que
deux options : accepter un Iran doté de
l’arme nucléaire, ou bien user de la
force pour l’empêcher(...) » [2]. Robert
Gates se veut plus prudent. Déjà, un
groupe de travail du « Council of Foreign
Office » qu’il animait alors avec Zibgniew
Bzrezinski (ancien conseiller à
la sécurité du Président Jimmy Carter)
prônait en juillet 2004 un dialogue politique
avec Damas et Téhéran. L’insuccès
de l’occupation de l’Irak plaidra-til
pour la diplomatie vis-à-vis de l’Iran ?
Offrant ses bons offices au Président
irakien, espérant la reconnaissance d’un
rôle régional, Mahmoud Ahmaninejad
ne s’est pas montré opposé à un « donnant-
donnant » ; George W. Bush ne
ferme pas définitivement la porte au
dialogue, mais le conditionne au préalable
de l’arrêt des activités d’enrichissement
nucléaire.
Tel-Aviv de son côté ne souhaite nullement
une normalisation avec Téhéran.
C’était même le principal sujet à
l’ordre du jour de la première visite
d’Ehud Olmert à Washington le 13
novembre, après la défaite républicaine.
Reste à savoir de quelles marges de
manoeuvre américaines Tel-Aviv disposerait
s’il décidait de frappes contre
les sites iraniens.
Pas de réel changement en vue sur le dossier palestinien
Ehud Olmert, pourtant, s’est dit confiant
à son retour de Washington. Mais il évoquait
essentiellement le conflit israélopalestinien.
Selon lui, George W. Bush
lui a donné des assurances quant à la
poursuite des mêmes principes guidant
la politique américaine : « lutte contre
le terrorisme » et « défense de la sécurité
israélienne ».
Le rapport Baker-Hamilton développe
une autre optique. D’abord parce que
l’impasse politique israélo-palestinienne
n’est pas sans rejaillir sur l’impasse irakienne.
Ensuite parce que la radicalisation
qu’elle génère comme l’audience
de la résistance islamique inquiètent les
Etats arabes alliés des Etats-Unis. « Les
Etats-Unis ne pourront atteindre leurs
objectifs au Moyen-Orient s’ils ne traitent
pas le problème du conflit israélopalestinien
et celui de l’instabilité régionale.
Les Etats-Unis doivent s’engager
à nouveau et de manière ferme dans la
voie d’une paix entre Arabes et Israéliens
sur tous les fronts : Liban, Syrie et, en ce qui concerne Israël et la Palestine, respecter
l’engagement pris en 2002 par
le président Bush en faveur de la solution
de deux Etats » [3]. Les auteurs en
appellent là aussi au dialogue, « avec
ceux qui reconnaissent Israël ». Quant
à la négociation israélo-palestinienne,
qu’ils souhaitent sans étape préalable,
elle doit porter, annoncent-ils, sur les
dossiers centraux du conflit : les frontières,
les colonies, Jérusalem, et également
le droit au retour. On se doute que
de telles préconisations, en particulier
en ce qui concerne les réfugiés, ont reçu
un écho très défavorable à Tel-Aviv.
Mais pas seulement. Car les démocrates
n’ont jamais caché leur soutien, majoritaire,
à la politique israélienne. Le
sénateur Joseph Biden avance qu’il ne
saurait être question de donner le sentiment
de sacrifier les intérêts d’Israël au
nom de l’Irak. Probable future présidente
de la chambre, Nancy Pelosi va
beaucoup plus loin. Interrogée l’an passé
par l’« association » AIPAC (« American
Israel Public Affairs Committee »),
néo-conservatrice, inconditionnellement
favorable à la politique israélienne et
très lobbyiste, elle assurait que ceux qui
lisent le conflit israélo-palestinien à
l’aune de l’occupation de la Cisjordanie
et de la bande de Gaza se trompent,
celui-ci portant en fait sur le droit fondamental
d’Israël à l’existence [4].
Il est peu probable que les démocrates
plaident une politique très différente de
celle de George W. Bush sur le dossier
israélo-palestinien. Mais l’onde de choc
de la persistance du conflit et de son
impasse, elle, pourrait amener à revoir
partiellement la copie. En attendant, et
alors que Washington prévoit l’envoi de
nouvelles troupes en Irak, la responsabilité
européenne est, une fois encore,
d’autant plus engagée.
Isabelle Avran