« Pendant des décennies, on a
parlé du “conflit israéloarabe”.
Depuis les accords
d’Oslo, on évoque plutôt un “conflit
israélo-palestinien ”. Mais, contrairement
à ce que cette nouvelle appellation
pourrait laisser croire, le conflit, loin
d’avoir été ramené à de moindres proportions,
est devenu plus emblématique
et central, se situant désormais au coeur
d’un éventuel choc généralisé entre le
monde occidental et le monde musulman.
S’il ne s’agit plus, en effet, d’un
conflit israélo-arabe au niveau étatique,
le conflit s’est accentué au niveau des
peuples arabes et même musulmans.
Le sort du monde peut se jouer sur
quelques kilomètres carrés. Israéliens
et Palestiniens ne sont plus devenus, sans
y aspirer, que les dépositaires d’un éventuel
changement de paradigme des
conflits. Ils sont à leur corps défendant
responsables de l’éventuelle survenance
d’un conflit civilisationnel majeur. C’est
pourquoi, plus que pour des raisons compassionnelles
envers les populations
concernées, ce conflit ne peut plus être
laissé dans les mains de ses seuls protagonistes,
si ceux-ci persistaient à ne
pas le régler. Désormais, il ne leur appartient
plus. Il est devenu, une fois encore,
plus pour des raisons stratégiques que
morales, l’affaire de tous. Si le conflit
ne prend pas fin, il risque non seulement
d’entraîner dans un suicide mutuel les
peuples israélien et palestinien, mais
également de précipiter le monde vers un
choc généralisé. Sans être les protagonistes
directs de ce conflit, les Occidentaux
y sont partie prenante, c’est ce qui
en fait l’originalité. »
C’est ainsi qu’à partir du conflit israélo-palestinien
Pascal Boniface situe le choix
crucial de notre époque : ou la paix dans
la justice ou une bataille « cosmique »
entre le Bien et le Mal. Les lecteurs de
Pour La Palestine retrouveront ici les
lourdes préoccupations que nous exprimons
depuis un certain temps quant aux
risques qu’induit la non-solution politique
du conflit. Ils retrouveront aussi les
qualités pédagogiques et de synthèse que
possède l’auteur pour présenter son sujet.
Le livre prend en compte les transformations
historiques post-guerre froide
du scénario international, un monde
monopolaire où la « guerre préventive
contre le terrorisme » a remplacé la force
du droit international par le retour brutal
de la loi du plus fort. Il regroupe un
ensemble d’éléments souvent présentés
de manière séparée pour proposer une
synthèse historique et stratégique efficace
de l’évolution du conflit.
Palestine, miroir d’enjeux mondiaux
Avec ce travail, on voit d’une manière
limpide qu’après la confirmation électorale
des néoconservateurs aux Etats-Unis,
l’après-Arafat reconfirme la place du petit
peuple palestinien au coeur des grandes
et dramatiques questions mondiales. La
Palestine redevient, comme elle l’a été
pendant toute son histoire, le miroir du
monde et en subit pour le meilleur et pour
le pire ses transformations...
Aujourd’hui en particulier où s’affirme
la radicalisation du conflit entre les courants
fondamentalistes chrétiens et juifs
d’un côté et islamiques de l’autre, la
Palestine est l’épicentre de leur opposition
frontale. De nouveau la Palestine et
son peuple se trouvent, sans nécessairement
en avoir été la source initiale, au
centre d’un conflit qui tend à embraser
le monde sans pour cela obtenir une solidarité
et un soutien suffisants des forces
qui s’opposent à cette dégénérescence.
Tel est le scénario international et idéologique
que nous dessine Pascal Boniface,
à travers un ensemble de chapitres qui
constituent autant de synthèses concises
et bien documentées. On retiendra surtout
les chapitres consacrés au concept
de choc des civilisations, à l’alliance singulière - véritable osmose - entre Etats-
Unis et Israël, à la guerre contre le terrorisme
et au rôle possible de l’Europe...
Peut-être aurait-on souhaité un développement
plus complet sur l’environnement
arabe et musulman et sur la stratégie
américaine visant à désagréger les
Etats arabes sunnites à partir des différentes
minorités internes non sunnites
ou non arabes, que ce soit en Arabie
saoudite, en Irak ou au Liban... Le tout
au bénéfice aussi d’Israël [1]. On aurait
ainsi mieux montré les risques d’extension
du conflit à partir d’une stratégie
du chaos interethnique qui contribue
davantage encore à isoler le combat national
palestinien.
De même, les risques de nucléarisation
du conflit à partir du développement du
système nucléaire israélien et de son
adaptation à des frappes préventives
contre l’Iran ou tout autre pays de la
région considéré comme menaçant
auraient mérité une mise à jour.
Peut-être enfin, aurait-il été utile de
consacrer à Jérusalem et à ses enjeux
une place plus importante en raison de
son rôle symbolique majeur.
Finalement, en fermant ce livre, on
mesure combien ces changements radicaux
qui s’opèrent sous nos yeux dans
la nature même du conflit n’ont en aucune
manière conduit à repenser le concept de
sécurité au-delà de sa dimension militaire.
Pour George W.Bush comme pour Ariel
Sharon, la paix comme concept et comme
philosophie des relations internationales
n’existe pas. La guerre permanente est
la forme spécifique dans laquelle l’un et
l’autre tendent à organiser leur système
de domination du Moyen-Orient.
Aujourd’hui, face à la quatrième guerre
mondiale en gestation, la lutte pour les
droits du peuple palestinien est, en dernière
analyse, une lutte pour la paix où
doivent se rejoindrent les peuples pour
la construction d’un monde plus juste
et par conséquent peu disposé à la guerre.
Tel est le message de cet important ouvrage
marqué par un sain pessimisme qui nous
oblige à agir avant qu’il ne soit trop tard.
Bernard Ravenel
Pascal Boniface est directeur de l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS). Auteur d’une quarantaine d’ouvrages sur les questions géopolitiques, il enseigne à l’Institut d’Etudes Européennes de l’Université Paris VII. Il est membre du comité consultatif sur le désarmement auprès du Secrétaire général de l’ONU.