L’armée israélienne n’utilise plus de chars, de canons ou d’avions produits intégralement dans l’Hexagone comme ce fut le cas durant les premières décennies qui ont suivi sa création. Mais la production d’armements n’a pas échappé au processus de globalisation. Pour réduire les coûts de production tout en bénéficiant des meilleures avancées technologiques, les entreprises font jouer la concurrence non seulement au niveau national, mais également régional et international. C’est le cas pour Israël comme pour la France. En 2014 par exemple, comme déjà en 2009, des composants portant l’inscription « fabriqués en France » ont été retrouvés à Gaza suite à des attaques meurtrières menées contre les Palestiniens.
D’ailleurs, lors de son audition, le ministre a reconnu que des composants ont été livrés jusque très récemment et qu’il avait demandé aux services en charge des exportations « d’être encore plus rigoureux », mais sans donner beaucoup plus de détails. Il nous faudra attendre le mois de juillet prochain pour disposer des données financières des exportations de matériel militaire et des composants de la France en direction d’Israël au cours de l’année 2023. Pour les exportations de 2024, c’est seulement en juillet 2025 que ces données seront rendues publiques !
Le diable se cache dans les détails
En effet, plusieurs sources officielles d’information ont été obtenues suite aux actions des ONG, dont l’Observatoire des armements, qui malgré leurs limites lèvent une partie du voile. Ainsi, depuis les années 2000, le ministère des Armées diffuse tous les ans un rapport au Parlement sur les exportations d’armements de la France [2]. Il existe également deux bases de données complémentaires accessibles sur Internet : celle de l’ONU [3] et celle du Sipri [4]. Et depuis mi-2022 les parlementaires disposent du rapport annuel sur les biens à double usage (civil et militaire) publié par le ministère de l’Économie et des Finances [5]. L’Union européenne publie également une base de données qui compile les rapports nationaux des États membres.
Sur les dix dernières années (2013-2022), Israël représente seulement 0,28% du total des prises de commandes et 0,67% des livraisons d’armes vendues par la France avec une moyenne annuelle des commandes qui avoisine les 20 millions d’euros. Mais ces montants qui peuvent paraître faibles, ne préjugent pas de l’importance des équipements vendus au regard de leur usage potentiel. Car sous couvert du secret-défense conjugué au secret commercial, la transparence fait défaut sur le type de matériels exportés.
Dans la base de données mise en place par l’ONU sur une base volontaire de la part des États, aucune vente n’est signalée par la France à Israël, hormis celle en 2011 de 3 pistolets et en 2022 de 8 fusils d’assaut. De même au niveau du Sipri, il ressort que les dernières ventes d’armes de la France à Israël remontent à 1994 pour 7 hélicoptères AS-565S Panther. Ce qui tend à corroborer les affirmations du gouvernement.
Quant à l’export de composants à double usage civil et militaire et soumis à autorisation spéciale, les montants sont nettement plus importants que ceux du matériel spécifiquement identifié comme militaire. En 2021, ils étaient de 159 millions et en 2022 de 34 millions d’euros. Mais quel pourcentage sera utilisé pour la fabrication de systèmes d’armement ou de munitions ? Impossible de le savoir.
Salons d’armement français : vitrine du matériel israélien
La France apporte également son soutien à Israël par l’accueil des entreprises israéliennes dans les salons professionnels internationaux d’armement qu’elle organise. Alors qu’à plusieurs reprises les entreprises militaires russes ou chinoises ont été interdites de participation ou d’exposition de certaines de leurs armes, ce n’est pas le cas pour Israël qui a jusqu’à présent toujours pu exposer son matériel « éprouvé au combat » dans les Territoires palestiniens. Par exemple, Israël, était présent à Paris du 13 au 17 novembre 2023 au salon Milipol, spécialisé dans le matériel de sécurité et de maintien de l’ordre sans que cela pose question… Prochains salons organisés par la France en 2024 : Eurosatory, pour le matériel terrestre, du 17 au 21 juin 2024 ; Euronaval, pour le matériel naval, du 4 au 7 novembre 2024.
La complicité d’un pays dans l’exécution de crimes de guerre n’est pas proportionnelle à l’importance des montants financiers du matériel exporté. D’autant que la coopération ne se limite pas à la vente de matériel, elle prend des formes multiples comme la participation à des programmes communs de recherche et développement, la création de co-entreprise pour le développement d’un programme précis, le rachat d’entreprises basées dans l’autre pays, etc. Là encore, hormis quelques annonces médiatiques, le contenu de ces coopérations reste très opaque, trop souvent fragmentaire et difficile à retracer.
Dernièrement, le ministre de la Défense d’Israël a affirmé sa volonté de renforcer son autonomie en matière de production d’armes, ne voulant pas se retrouver à court de munitions ni subir de fortes pressions politiques en échange de la fourniture de matériels militaires. Par ces propos il soulignait ainsi l’importance de la coopération militaire. Et pour nous, la nécessité d’y mettre fin, par le biais d’un embargo complet, pour ne plus être complices des crimes de guerre perpétrés.
Car tous ces échanges militaires avec Israël sont en totale contradiction avec les engagements internationaux de la France – notamment les Conventions de Genève, le Traité sur le commerce des armes (TCA) ou la Position commune de l’Union européenne sur les exportations d’armements, sans oublier la décision de la Cour internationale de Justice sur le risque de génocide – qui lui confère des obligations non seulement de respecter, mais également de faire respecter le droit international humanitaire.
Coopération sécuritaire : vers une « israélisation » de la sécurité ?
La coopération sécuritaire franco-israélienne a connu un « coup de fouet » suite à l’élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République. Mais s’il est un domaine, où le secret est bien gardé, c’est bien celui-ci.
Ce renforcement s’inscrit dans l’évolution de la politique diplomatique et militaire de la France sous couvert de lutte contre-terroriste et de continuum défense-sécurité nationale (abolition des frontières entre la lutte contre l’ennemi intérieur et l’ennemi extérieur et entre les forces militaires et les forces de police).
Alors ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy avait déjà manifesté un vif intérêt pour la politique sécuritaire d’Israël en invitant, à la fin de l’année 2005, le ministre israélien de la Sécurité publique, Gideon Ezra et le Haut-commissaire de la Police nationale israélienne, Moshe Karadi, à Paris. Il s’intéressait tout particulièrement au savoir-faire israélien en matière de « maintien de l’ordre » et voulait renforcer la coopération entre les services de renseignement.
Dans la foulée, un attaché de sécurité intérieure est nommé en 2006 à l’ambassade de France à Tel Aviv, et un poste équivalent est mis en place au sein de l’ambassade d’Israël à Paris. Un projet d’accord de coopération pour la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée est alors évoqué.
Les attentats en France de 2015 viendront créer comme un « bruit de fond » pour un renforcement des pouvoirs arbitraires de contrôle policier y compris préventif. « Il nous faut "israéliser" notre sécurité », explique le président de la région Normandie et ancien ministre de la Défense, Hervé Morin, suite à l’assassinat mardi 26 juillet 2016 du prêtre de Saint-Étienne-du-Rouvray, revendiqué par l’État islamique.
Une coopération sécuritaire s’est également établie au niveau de certaines municipalités qui font appel à l’expertise d’Israël, comme, par exemple, la ville de Nice. Ou lors d’événements particuliers comme les prochains Jeux olympiques à Paris où la sécurité est l’un des points les plus sensibles pour les organisateurs. De nombreuses firmes israéliennes auraient été contactées. Des filiales de sociétés israéliennes d’entreprises de sécurité privée pourraient être présentes sur les sites de compétition, ou les villages olympiques [6].
Mais les informations sur les échanges au niveau des services de renseignements, sur la coopération entre les forces de police françaises et israéliennes, ou sur le type de matériel de maintien de l’ordre exporté ou importé, sont extrêmement rares et difficiles à trouver dans les médias ou sites officiels français. Une opacité tenace qui pose un sérieux problème de contrôle démocratique.
Patrice Bouveret