Les 16 et 17 septembre 1982, la milice chrétienne libanaise dirigée par Élie Hobeika, assoiffée de sang après l’assassinat de Bachir Gemayel, président chrétien du Liban et ami d’Israël. La furie des phalangistes les conduit à Sabra et Chatila, deux camps de réfugiés palestiniens de la banlieue ouest de Beyrouth. Sept cents victimes pour les uns, trois mille cinq cents pour les autres, c’est de toute façon, quoi qu’on retienne, une boucherie innommable. Qu’on se souvienne du documentaire terrifiant sur le sujet de Monika Borgmann, Lokman Slim et Hermann Theissen, Massaker. Dans la situation du Liban d’alors, seule l’armée israélienne, présente dans le cadre de l’opération « Paix en Galilée », avait les moyens de s’interposer. Elle n’en a rien fait. Ari Folman, qui en était, pas au contact direct au demeurant, a effacé ce moment de sa mémoire. Le voici qui ressurgit dans ce qu’il a voulu être un documentaire d’animation, genre aussi curieux que justifié dans ce cas précis. À Cannes (voir l’Humanité du 16 mai), Dominique Widemann avait longuement analysé Valse avec Bachir sous un angle critique. Nous avons profité du passage promotionnel à Paris de son auteur pour nous entretenir avec lui.
Qu’est-ce qui vous a donné l’envie de faire ce film ?
Ari Folman. J’ai quitté la réserve à quarante ans, ce qu’on peut faire si l’on raconte tout à un thérapeute. J’ai fait huit sessions et c’est ainsi que j’ai été amené à parler de mes amnésies. Je n’avais jamais entendu parler de cas semblables avant. En en causant autour de moi, j’ai découvert que cela était arrivé à bien d’autres. C’est ainsi que j’ai écrit le film puis que je l’ai tourné. Avant, j’ai écrit des scénarios pendant vingt ans. Mon premier film, Confortably Numb en 1991, était un documentaire tourné pendant la première guerre du Golfe. J’avais interviewé des gens dans les abris, des proches pour dégager déjà l’idée de l’absurdité des guerres, ce de façon comique. J’ai ensuite réalisé des documentaires pour la télévision israélienne, en particulier dans les territoires occupés, et ainsi de suite jusqu’à mon deuxième long métrage de fiction, Made in Israël en 2001, qui racontait sur un mode futuriste la traque par des types qui espèrent en tirer récompense du dernier nazi vivant. Donc, quand est arrivée l’heure de Valse avec Bachir, j’étais fin prêt pour cela. Le scénario a été écrit en sept jours, cela dit en s’appuyant sur un an de recherches et sachant qu’il m’a fallu quatre ans en tout pour que le film arrive sur les écrans.
Le personnage principal de ce film d’animation vous ressemble physiquement. Est-ce autobiographique ?
Ari Folman. C’est on ne peut plus autobiographique et personnel. Vous pouvez voir que les noms des personnages figurent imprimés à l’écran. Ils existent et, les connaîtriez-vous, que vous noteriez qu’ils sont tout aussi ressemblants et que ce sont eux qui s’expriment. En fait, sur les neuf personnages, seuls deux n’ont pas souhaité apparaître sous leur véritable identité et sont donc doublés par des comédiens. Leur témoignage est tout aussi authentique. Ce sont celui qui fait le rêve récurrent dans lequel il est pourchassé par vingt-six chiens et celui que je vais retrouver aux Pays-Bas.
Pourquoi avoir choisi l’animation, avoir redessiné ces entretiens documentaires alors que vous venez du documentaire ?
Ari Folman. C’est la deuxième fois que je fais de l’animation. La première en 2004, The Material That Love Is Made of, était aussi sur une base documentaire puisque des scientifiques s’y exprimaient sur l’évolution de l’amour, mais l’on commençait en animation. Ici, l’animation m’a apporté la liberté pour traiter ce qui relevait du subconscient, les cauchemars et tout ce qui dans le documentaire aurait dû être raconté sans possibilité de l’illustrer.
Israël n’est pas un pays connu pour ses films d’animation. Y a-t-il des précédents ?
Ari Folman. Le premier long métrage israélien image par image a été réalisé en 1961, puis plus rien. Le mien est maintenant le deuxième, donc nous n’avons aucune tradition dans ce domaine. Cela m’a donné encore davantage de liberté. Je n’avais rien à quoi me rattacher. Cela dit, les choses vont peut-être changer car on vient d’ouvrir le premier département d’animation à destination des étudiants dans une école près de Jérusalem. Avant, il n’y avait rien. J’avais recruté huit animateurs mais j’en avais besoin de deux de plus. Cela m’a pris beaucoup de temps même si finalement je les ai trouvés. C’est pour cela qu’il m’a fallu quatre ans de tournage en studio et un an de recherche. Il a fallu écrire le storyboard, faire tout le travail à l’ordinateur, s’occuper de la musique et tout cela avec très peu de moyens. Le budget est de deux millions de dollars américains, soit cinq fois moins que celui de Persepolis. C’est une combinaison d’animation classique, d’animation flash et de trois dimensions. Les dessins sont aussi réalistes que possible afin que les gens s’attachent à l’histoire. D’où un gros travail sur les contours. Le film a été entièrement tourné dans notre studio, le Bridgit Folman Fim Gang.
Pourquoi avoir pour les dernières minutes montré des vraies images des massacres de Sabra et Chatila ?
Ari Folman. C’était pour moi une manière de redonner au film ses justes proportions. Je ne voulais pas que les gens sortent de la salle en se disant qu’ils avaient vu un film cool avec de la bonne musique. Je voulais qu’ils sachent que ce qui est décrit dans le film est réellement arrivé. Les images vraies ramènent à cela.
Votre film est sorti chez vous il y a deux semaines. Comment a-t-il été reçu ?
Ari Folman. Remarquablement. Les gens sont plus mûrs que je ne l’imaginais. Je m’attendais à ce qu’il y ait de la controverse. Il n’y en a pas eu. Les gens ont vu un film personnel qui les a touchés et c’est tout. J’espère surtout que les jeunes vont être nombreux et en tirer des leçons, en particulier celle pour laquelle j’ai réalisé ce film qui est qu’il ne faut pas prendre part aux guerres des autres. Si je m’étais contenté de tourner un documentaire, ils ne seraient jamais venus.