Depuis quelques semaines, des archéologues de l’université Bar-Ilan mènent des fouilles archéologiques dans un lieu appelé Khirbet Tibnah, près du village de Nabi Salih, en Cisjordanie. Les villageois prétendent que les fouilles ont lieu sur des terres privées mais l’université affirme qu’elle creuse sur des terres publiques conformément à l’administration civile de Judée et Samarie.
La décision de creuser en Cisjordanie est inhabituelle. La plupart des archéologues israéliens s’abstiennent de creuser en Cisjordanie car les revues internationales ont tendance à rejeter les articles universitaires basés sur des fouilles dans des territoires occupés car ces fouilles sont contraires au droit international. Le deuxième protocole de la convention de La Haye, qu’Israël n’a pas signé, interdit à un occupant de procéder à des fouilles en territoire occupé, à l’exception des opérations de sauvetage nécessaires à la préservation d’un site.
C’est la première fois que des fouilles sont effectuées à Khirbet Tibnah. Toutefois, des enquêtes ont été menées sur le site par le passé. Selon le site Web de Bar-Ilan, Khirbet Tibnah était habité à l’âge du bronze et est identifié à la ville biblique de Timnath-Heres, décrite dans la Bible comme la résidence et le lieu de sépulture de Josué Bin-Nun.
Les fouilles sont dirigées par le Dr Dvir Raviv, un archéologue qui a cartographié le site en 2015. La cartographie comprenait des croquis de l’emplacement des tombes, des collections de tessons de poterie et la documentation des grottes funéraires - tout cela prouve l’existence de colonies juives dans la région, selon l’université. Selon Bar-Ilan, les fouilles actuelles ont permis de découvrir une pointe de lance datée du deuxième siècle de l’ère chrétienne, de la poterie et des pièces de monnaie.
Les fouilles à Khirbet Tibnah sont menées sur des terrains appartenant aux villages de Nabi Salih et Deir Nidham. Dès qu’ils ont appris l’existence des fouilles, les villageois ont fait appel à l’administration civile, lui demandant de les arrêter. Ils sont représentés par l’avocat Qamar Mashraki de l’ONG de défense des droits humains Haqel, spécialisée dans le droit foncier en Cisjordanie. L’ONG Emek Shaveh, qui œuvre pour la protection des droits du patrimoine, a également fait appel au Dr Raviv.
Bassem Tamimi, un militant anti-occupation connu, est l’une des personnes qui s’est adressée à l’administration civile. Tamimi a déclaré à Haaretz qu’il possédait des documents jordaniens prouvant sa propriété sur le terrain, qu’il a présentés à l’administration civile. "Dans le passé, les gens y semaient du blé et de l’orge. Depuis les années 70, l’armée ne permet plus aux gens d’y aller. Les ruines ne sont qu’une excuse pour s’emparer de la terre et la cultiver", a-t-il dit. "C’est politique. D’abord vous refusez l’accès, ensuite vous l’appelez terre d’État."
Masharqi a également fait appel au Conseil de l’enseignement supérieur, qui a pris contact avec Bar-Ilan. En ce qui concerne la propriété du terrain, l’université a affirmé qu’il y avait autrefois une base de l’armée jordanienne sur le site, ce qui prouve qu’il s’agit d’un terrain public. En outre, elle a déclaré que des photos aériennes montraient que la zone n’avait pas été cultivée depuis 1967. Le recteur de Bar-Ilan, Amnon Albeck, a écrit au conseil que le site a été la cible de "vols d’artefacts sans précédent" ces dernières années, "faisant de toute étude ou fouille une opération de sauvetage, même si cela n’est pas défini comme tel par la loi". L’administration civile a déclaré que son fonctionnaire chargé de l’archéologie et des ruines avait délivré un permis pour les fouilles. L’ONG Emek Hashaveh affirme que "toute tentative de dominer des sites archéologiques en dehors du territoire souverain d’Israël est forcément un acte politique."
Raviv, maître de conférences au département d’archéologie de Bar-Ilan, a déclaré à Haaretz qu’une fouille universitaire en Cisjordanie est effectivement inhabituelle, à la fois en raison des risques de sécurité encourus et parce que la plupart des revues universitaires refusent de publier des études réalisées en territoire occupé. "La plupart des revues internationales et des presses universitaires prestigieuses n’acceptent pas les découvertes primaires provenant de Judée et de Samarie", explique-t-il. "L’éditeur les renvoie en les rejetant tout en expliquant qu’ils respectent les conventions internationales et le droit international, qui interdisent les fouilles d’un occupant en terre occupée."
En réponse à la question de savoir pourquoi il a décidé de le faire quand même, M. Raviv a déclaré que ce n’était pas une décision facile et que ses conclusions seront publiées dans un périodique israélien. "Comme il n’y a presque pas de fouilles ou de recherches archéologiques dans ces régions, il y a beaucoup de place pour l’innovation", a-t-il noté. Ravid a ajouté qu’il n’a pas été difficile de convaincre l’université d’organiser les fouilles sur place. Il a dit qu’il n’avait pas parlé aux villageois avant de commencer, mais lorsque les fouilles ont commencé, certains d’entre eux sont arrivés et il leur a montré où elles se déroulaient. "Après une conversation de 15 à 20 minutes, ils ont compris, nous avons échangé nos numéros de téléphone et ils ont montré un grand intérêt pour les fouilles, alors je les ai invités à revenir", se souvient-il. Il ajoute que les fouilles n’ont pas bloqué les routes menant au village et que les habitants peuvent faire paître leurs troupeaux n’importe où.
Même si la plupart des chercheurs israéliens ont tendance à éviter les fouilles en Cisjordanie, plusieurs fouilles y ont été menées depuis les années 1970. Parmi celles-ci, citons une vaste enquête menée par le Dr Adam Zertal de l’université de Haïfa. Il a étudié le nord de la Cisjordanie et a effectué des fouilles sur le mont Eival, près de Naplouse. D’autres chercheurs de l’université de Tel Aviv ont participé à des fouilles dans la Cité de David, à Jérusalem-Est, en collaboration avec l’ONG Elad. La plupart des fouilles en Cisjordanie sont des fouilles de sauvetage dirigées par l’officier d’archéologie de l’administration civile, qui est responsable de cette activité dans la zone C. Ces dernières années, la plupart des fouilles ont été effectuées par l’université d’Ariel ou à l’initiative d’organisations de colons, en collaboration avec des universités américaines, généralement évangéliques. Toutes ces organisations reçoivent des permis de l’administration civile.
En 2014, les groupes de défense des droits de l’Homme Emek Hashaveh et Yesh Din ont adressé une pétition à la Haute Cour de justice, demandant que les noms des archéologues actifs en Cisjordanie soient publiés. En 2019, la Cour suprême a décidé que leurs noms resteraient sous silence de peur qu’ils ne fassent l’objet d’un boycott académique qui porterait atteinte à leurs moyens de subsistance et aux institutions auxquelles ils appartiennent. Le professeur Rafi Greenberg, du département d’archéologie de l’université de Tel Aviv, membre d’Emek Hashaveh, a déclaré à Haaretz que la plupart des chercheurs ayant des liens académiques avec le monde s’abstiennent de faire des fouilles en territoire occupé. Mais les choses n’ont pas toujours été ainsi. "Il y a eu une génération d’archéologues de renom, comme Israël Finkelstein, qui ont travaillé dans les territoires, mais depuis les accords d’Oslo et la première Intifada, lorsque la question palestinienne a reçu plus d’attention, c’est devenu inacceptable", a-t-il expliqué.
Le coordinateur des activités gouvernementales dans les territoires a répondu : "L’unité d’archéologie est chargée de la préservation et du développement des sites archéologiques en Judée et Samarie, avec de nombreuses ressources consacrées à l’étude et au développement de ces sites. En ce qui concerne les fouilles sur le site que vous mentionnez, nous tenons à préciser qu’elles sont menées avec un permis, accordé conformément aux règlements de l’administration civile. Nous soulignons que le permis est accordé après une étude minutieuse par les professionnels concernés."
Traduction : AFPS