Photo : Le village de Khallet al-Dabaa à Masafer Yatta est entièrement détruit par l’armée israélienne, 5 mai 2025 © Mohammad Hureini
Au cours des derniers mois, les forces israéliennes et les colons ont intensifié leurs efforts pour expulser environ 2 500 Palestiniens vivant dans un groupe de villages situés dans la région de Masafer Yatta, au sud de la Cisjordanie. Début mai, lorsque l’armée a rasé la majeure partie de Khilet Al-Dabe’, il s’agissait de la plus grande démolition jamais réalisée dans la région. Aujourd’hui, une nouvelle directive militaire menace d’accélérer la destruction d’une douzaine d’autres villages.
La semaine dernière, le Bureau central de planification de l’administration civile – l’organisme militaire israélien chargé de délivrer les permis de construire dans les territoires palestiniens occupés – a adopté une politique exigeant que toutes les demandes de construction palestiniennes en attente à Masafer Yatta soient automatiquement rejetées. La directive invoque des besoins militaires pour justifier cette mesure et fait spécifiquement référence à la zone de tir 918, qui englobe 12 des 20 villages de Masafer Yatta et qu’Israël a déclarée zone militaire fermée au début des années 1980 afin de déplacer de force ses habitants palestiniens.
La directive s’appuie sur un document publié la semaine dernière par le commandement central de l’armée, dont +972 et Local Call ont obtenu une copie. Selon ce document, les habitants de la zone doivent être expulsés « en utilisant tous les moyens civils et sécuritaires à la disposition [de l’armée] », afin que celle-ci puisse s’entraîner au tir réel sur leurs terres « dans l’intérêt de la guerre sur différents fronts — une guerre qui est malheureusement devenue routinière depuis un an et demi et qui a culminé avec les événements de l’opération Rising Lions », nom israélien donné à l’opération en Iran. Yehuda Alkalai, le chef du Bureau central de planification, a ensuite demandé à son personnel d’aligner toutes les décisions sur cet ordre.
La nouvelle directive s’appuie sur l’utilisation de longue date par Israël des zones de tir militaires comme prétexte pour la spoliation des terres et l’expansion des colonies. Alors que les Palestiniens pouvaient auparavant soumettre des plans de construction qui gelaient au moins temporairement les ordres de démolition pendant leur examen, une réglementation militaire de 2021 a d’abord bloqué le traitement de ces demandes sans « l’approbation du commandant militaire ». La nouvelle directive vise désormais des dizaines de demandes en attente soumises avant ce changement.
Les représentants légaux des résidents palestiniens avertissent que cela supprime tout processus d’examen significatif et permet des rejets massifs et rapides sans examiner les cas individuels ou les arguments juridiques. Alon Cohen Lifshitz, architecte travaillant avec l’ONG israélienne Bimkom, spécialisée dans les droits d’urbanisme, a déclaré à +972 et Local Call que les plans de construction constituaient la dernière protection des résidents et que la nouvelle politique « créait une infrastructure permettant de vider entièrement la zone de tir ».
Selon Nidal Yunis, président du Conseil de Masafer Yatta, au moins 25 plans de construction en attente dans plusieurs villages, dont Jinba, Halawah et Al-Fakhit, pourraient être rejetés sous peu, ce qui pourrait déclencher des démolitions à grande échelle.
M. Yunis a expliqué que ces dernières années, l’armée s’était concentrée sur le rejet des demandes de permis de construire des Palestiniens, plutôt que d’ordonner l’expulsion massive des résidents palestiniens, afin d’atténuer les critiques internationales. « Ils ne voulaient pas que le monde voie qu’ils procédaient à un nettoyage ethnique, alors ils n’ont pas procédé à de grandes expulsions, avec des gens chargés dans des camions », a-t-il déclaré à +972 et Local Call. « Ils ont essayé de nous épuiser progressivement, en nous empêchant de travailler, en démolissant des maisons, dans l’espoir que les gens en aient assez et partent. »
Aujourd’hui, cependant, l’expulsion massive est devenue une perspective très réaliste. Selon M. Yunis, les avocats des résidents palestiniens ont été frappés par le langage explicite utilisé par l’armée dans son document interne, en particulier l’affirmation selon laquelle les conditions de sécurité actuelles permettent à l’armée de transformer la zone de tir en « zone stérile » en « évacuant » les résidents.
Pour des résidents comme Ahmad Muhammad Awad, 28 ans, les conséquences de cette directive seraient immédiates et dévastatrices. « S’ils démolissent notre village, nous devrons retourner dans des grottes trop petites pour nos familles, avec des conditions de vie inadéquates », a-t-il déclaré à +972 et Local Call. La demande de construction de sa communauté sera examinée par le conseil d’urbanisme le mois prochain.
« Ils prétendent que ce terrain est destiné à l’entraînement militaire, mais en réalité, ce sont les colons qui le contrôlent. Cette année, ils ont pâturé sur nos champs plus que jamais auparavant, détruisant des centaines de dunams de nos cultures. »
« Ils s’opposent tout simplement à l’existence palestinienne »
Cette décision d’accélérer les démolitions s’inscrit dans le cadre du programme d’annexion plus large du ministre des Finances Bezalel Smotrich. Ce législateur d’extrême droite, à qui Netanyahu a confié le contrôle de facto de l’administration civile en 2022, a consolidé son emprise sur les politiques de construction en Cisjordanie en plaçant des alliés à des postes clés, déclarant ouvertement que son objectif est « d’approfondir le projet de colonisation à travers la Terre d’Israël et d’empêcher la création d’un État terroriste [palestinien] ».
Mais alors que les dirigeants politiques israéliens poursuivent ouvertement l’expansion des colonies, l’armée maintient la fiction des « besoins d’entraînement » pour justifier des expulsions comme celles de Masafer Yatta. Selon Neta Amar-Schiff, une avocate qui représente certains des habitants, la justification militaire court-circuite les contestations judiciaires. « [Les avocats de l’armée] s’appuient sur un seul argument, qui serait lié à la sécurité », explique-t-elle. « Quand vous dites « commandant militaire », cela clôt immédiatement l’affaire. »
Dans la pratique, cependant, les recherches menées par l’ONG israélienne Kerem Navot montrent que si l’armée a déclaré environ 1 million de dunams – soit un cinquième de la Cisjordanie – comme zones de tir, 80 % de ce territoire reste inutilisé à des fins militaires.
Sur le terrain, l’offensive bureaucratique d’Israël coïncide avec une escalade de la violence des colons. Après les démolitions de Khilet Al-Dabe’, les colons ont immédiatement établi un avant-poste sur les ruines de la communauté, harcelant les familles restantes et pillant leurs biens. Si les protestations des militants israéliens et internationaux ont contraint les colons à se retirer, ceux-ci ont depuis tenté de revenir.
Ailleurs dans Masafer Yatta, les attaques des colons se sont poursuivies sans relâche. Le 19 juin, des soldats israéliens – qui étaient peut-être des colons en uniforme militaire – ont lancé des grenades lacrymogènes sur des bergers palestiniens à Jinba. Le lendemain, un groupe de colons a été filmé en train d’attaquer des familles près du village de Susiya, blessant six Palestiniens qui ont dû être hospitalisés. Le même jour, un colon a déposé des carcasses de moutons près des maisons des habitants d’Umm Qusa, dans ce que les habitants décrivent comme une tactique psychologique visant à faciliter leur expulsion.
Plus tôt dans la semaine, Imran Nawaj’ah a également été agressé par des colons à Susiya, ce qui l’a conduit à l’hôpital. Nawaj’ah a déclaré à +972 et Local Call qu’il était assis avec sa femme et ses amis lorsqu’il a vu un quad avec cinq colons masqués, armés de matraques, s’approcher du village.
« Ils se sont arrêtés et, sans dire un mot, ont commencé à me frapper à la tête », a-t-il raconté. « J’ai perdu connaissance. Quand je suis revenu à moi, j’ai vu que les colons s’étaient enfuis. Ma femme criait parce que ma tête saignait. J’ai été transporté à l’hôpital, incapable de bouger ou de parler. J’ai finalement eu besoin de 17 points de suture. »
Yunis, le président du conseil local, a déclaré que les communautés de la région vivaient désormais dans un état de siège. « Les gens ont peur de quitter leur maison », a-t-il expliqué. « Les démolitions et les attaques sont quasi quotidiennes — ils s’opposent tout simplement à [toute] présence palestinienne dans cette région. »
Alors que le conseil d’urbanisme s’apprête à se prononcer sur les demandes en attente dans les semaines à venir, les habitants sont confrontés à la triste réalité que leur tour pourrait venir prochainement. Avec la fermeture des voies juridiques et l’intensification de la violence des colons, la double stratégie israélienne d’effacement bureaucratique et physique semble sur le point d’achever ce qu’elle a commencé il y a des décennies : le nettoyage total des communautés palestiniennes de Masafer Yatta.
En réponse à la demande de +972 concernant la nouvelle directive, un porte-parole de l’armée israélienne a déclaré que l’administration civile et le bureau central de planification « mènent des discussions continues concernant les villages construits dans la zone de tir 918 ». Le porte-parole a affirmé que l’armée avait un « besoin essentiel pour cette zone » et qu’aucun permis de construire n’y serait donc approuvé, ajoutant que l’unité d’application de la loi de l’administration civile « agit pour empêcher toute construction illégale, sur la base d’évaluations opérationnelles, de directives politiques et des lois applicables dans la zone ».
Contrairement à ces affirmations, les archives historiques et les habitants attestent que les villages palestiniens de la zone de tir 918 sont antérieurs à la désignation de cette zone par l’armée dans les années 1980 ; beaucoup d’entre eux sont même antérieurs à l’État. De plus, alors que l’armée invoque une application stricte de la loi contre les « constructions illégales », les colons israéliens ont établi de multiples avant-postes sur les mêmes terres sans faire l’objet de démolitions ou de poursuites judiciaires. En vertu de la quatrième Convention de Genève, le transfert forcé d’une population vivant sous occupation est strictement interdit en toutes circonstances.
Traduction : AFPS