Fin 2005 le comité populaire du
village, qui dirige la résistance,
a décidé, après débat, de tenir
une conférence internationale pour le
premier anniversaire de cette lutte le
20 février.
Le pari était audacieux et les interrogations
multiples : sans expérience, sans
moyens financiers, comment réussir une
telle opération ? Avec les moyens du
bord, la mobilisation du village et d’organisations
palestiniennes de lutte contre
le Mur et l’aide d’Israéliens et de volontaires
du monde entier, les problèmes
de logistique et d’organisation ont été
résolus.
La conférence démarrait lundi 20 avec
un programme chargé. Elle se tenait
dans l’école - en congé pour ce premier
jour - sous une tente multicolore dressée
dans la cour. Environ 400 personnes
y ont participé, en majorité des Palestiniens
de Bil’in et d’autres villages invités - car il s’agissait aussi de s’ouvrir à
d’autres villages en lutte contre le Mur.
Les Israéliens étaient au rendez-vous
ainsi que des volontaires internationaux
dont une quarantaine de Français, parmi
lesquels le maire de Fosses (95) et une
trentaine de militants de l’Afps.
Après une minute de silence en mémoire
de ceux qui sont tombés pour la liberté
et l’indépendance, divers intervenants
se sont exprimés, avant la tenue d’ateliers
l’après-midi.
Abdallah et Mohamed Abou Rahme,
Mohamed Khatib, animateurs de la lutte
à Bil’in, sont notamment revenus sur
l’importance du comité de village dans
la conduite de la lutte, sur son aspect nonviolent
et l’impossibilité de mener cette
lutte sans la participation d’Israéliens
et d’internationaux, sur les difficultés
mais l’importance de tenir sur la durée,
sur le caractère de masse de la mobilisation
à laquelle participent tous les
habitants, sur l’agressivité de l’armée
israélienne qui n’a pu stopper la résistance
(350 personnes blessées, le village
envahi la nuit, le couvre-feu décrété,
30 habitants emprisonnés...), comme
sur la médiatisation indispensable de la
lutte par des initiatives toujours renouvelées
et créatives. Ils ont tenu également
à manifester la solidarité indispensable
avec les habitants de la vallée du Jourdain
dont les terres sont en train d’être
annexées et à rappeler que d’autres villages
luttent maintenant de la même
façon, tels Beit-Sira et Abud. Mais ils
ont aussi insisté sur la nécessité d’organiser
la lutte contre les checkpoints.
Une lutte commune
« On peut se demander pourquoi Bil’in.
Pourquoi cela a-t-il réussi à durer si
longtemps ? Pourquoi avons-nous réussi à établir un partenariat ? », interroge
Mohamed Khatib. « Peut-être parce
nous avons décidé de continuer notre
lutte sans changer notre vie quotidienne,
sans arrêter les cours à l’école... Peut-être
aussi parce que nous oeuvrons à
l’unité nationale des Palestiniens d’où
qu’ils soient et à quelque parti qu’ils
appartiennent. Dans les manifestations,
les drapeaux nationaux ont toujours
flotté plus haut que les drapeaux des
partis. Peut-être enfin parce que nous
avons compris ce que l’occupation représente
pour nous et pour nos ennemis :
la stratégie de l’occupation consiste à
vider cette terre de ses occupants. Nous
travaillons avec tous ceux qui veulent
nous soutenir, quelle que soit leur religion
ou leur nationalité. Les pacifistes
israéliens sont nos partenaires. Au début,
ils étaient cinq ou six. Ils sont aujourd’hui
plus de cent dix. La violence des soldats
israéliens est différente face à des
Israéliens ou des volontaires internationaux
par rapport à ce qu’elle est face
à des Palestiniens seuls. Mais au-delà,
c’est ensemble que nous luttons. »
« Nous inventons quelque chose chaque
semaine pour attirer les médias », poursuit-
il. « Nous avons réussi. Maintenant
ils viennent et montrent la violence israélienne
face à des actions pacifiques.
Nous avons aussi démontré aux médias
que la sécurité n’est pas la raison d’être
de ce mur. Nous n’avons pas d’autre
arme que notre cerveau. Et c’est par
notre combat pacifique que nous progressons
vers nos objectifs. » Ce qui ne
signifie pas que l’armée n’intervient
pas, dans l’impunité. « Une fois, nous
avons réussi à éviter que les soldats
n’utilisent leurs armes. Mais ils ont pris
nos oliviers et nous n’avons pas réussi
à les en empêcher. Nous montrons cependant,
et publiquement, que ces soldats
ne sont que des machines à obéir aux
ordres.
- © Robert Kissous
C’est nous qui prenons l’initiative.
» Plusieurs représentants de diverses
régions de la Cisjordanie, évoquant la lutte
qu’ils mènent également, soulignent
l’intérêt, mais aussi parfois la difficulté
à développer un combat du type de celui
de Bil’in, appelant les internationaux et
les Israéliens à y participer.
Comme à Berlin, le mur doit tomber
Qaddoura Fares, ancien ministre (Fatah),
rappelle quant à lui son soutien, depuis
le début, à cette forme de lutte, de résistance
non-violente, qu’il considère
comme la plus efficace. Et d’ajouter :
« Les habitants de Bil’in ne se reposent
pas sur les organisations en place. Ils
s’assument et prennent eux-mêmes les
initiatives. » Soulignant que « toutes les
révolutions atteignent un jour un point
où il faut internationaliser la lutte », il
lance un appel « pour que de cet effort
résulte un mouvement pour la paix avec
un plan d’action clair et complet » et
rappelle que la Palestine constitue une
démocratie au Moyen-Orient et qu’il
revient à la nouvelle direction de négocier
son indépendance.
Pour Uri Avnery (l’un des fondateurs
du mouvement israélien Gush Shalom),
Bil’in est devenu un symbole du courage
des Palestiniens, du lien entre les pacifistes
israéliens et les Palestiniens et du
soutien des mouvements internationaux
pour la paix, un symbole pour le futur,
suscitant son émotion chaque fois qu’il
y vient. C’est sous de vifs applaudissements
qu’il ajoute : « Chers amis, il est
très facile de désespérer. Chacun de
nous connaît des moments de découragement.
Mais je suis convaincu que la
paix gagnera, que la justice gagnera.
Il y a quelques semaines, j’étais à Berlin.
Dans des magasins, il y avait des
morceaux du mur de Berlin en vente.
Le jour viendra, ici à Bil’in, dans un
Etat palestinien libre, où quelqu’un
pourra acheter un morceau du mur que
nous combattons aujourd’hui. Chaque
fois que je suis à Bil’in et en d’autres
endroits de la Palestine occupée, je ne
peux m’empêcher de penser au paradis
que serait ce pays s’il y avait la paix,une paix fondée sur la justice et le respect
mutuel. Cette paix viendra. Et quand
elle sera là, le dernier souhait de Yasser
Arafat, dont ont voit la photo ici,
sera réalisé : ses restes seront ensevelis
à Jérusalem. »
- © Robert Kissous
Sanctionner Israël contre sa politique
Mustapha Barghouti (Al-Mubadara)
saluant en Bil’in un symbole de la lutte
non violente contre l’occupation, estime
quant à lui que « le mur est devenu la solution
pour les Israéliens pour résoudre
le problème que leur posent les Palestiniens.
Ils ont essayé tous les moyens
possibles pour les chasser de chez eux.
Ils ont échoué. L’alternative qu’ils ont
trouvée est de les enfermer dans des
bantoustans entourés par des murs. Ce
n’est pas seulement un mur, mais
l’expression du système d’apartheid
pratiqué par Israël. » Et d’en appeler à
des sanctions contre Israël, ou, à tout le
moins, à l’arrêt de toute coopération
militaire avec Israël. Neta Golan, militante
israélienne de l’International Solidarity
Movement, présentant les trois
axes de travail de son mouvement en
Palestine - participer aux manifestations,
protéger les enfants qui vont à l’école
comme à Hébron et mettre sur pied une
équipe médicale d’urgence - exprime de
son côté son soutien au boycott d’Israël
ou des produits des colonies, au désinvestissement
dans des entreprises israéliennes
et en appelle tout particulièrement
aux plaintes contre les militaires et
les politiques israéliens, toutes actions
qu’elle considère très efficaces.
Kais Abu Leila, élu de la nouvelle assemblée
législative, qui dénonce l’unilatéralisme
israélien et la violence, souhaite
« pouvoir dire à tous les comités populaires
de villages de s’unir pour faire face au
mur, et de prendre en compte l’expérience
acquise à Bil’in » et lance lui aussi
un appel à la communauté internationale :
« Nous demandons une action internationale
diplomatique et politique contre
le mur afin qu’Israël suive les résolutions
de la Cour internationale de justice
de La Haye et l’application de sanctions
à Israël puisqu’il ne les applique
pas. »
Renée Prangé et Robert Kissous