La question promet une session du Conseil des droits de l’homme (CDH) très houleuse en mars prochain. Courant février, le Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU doit publier une liste jusqu’ici restée secrète des entreprises impliquées dans des projets de colonies dans les territoires palestiniens occupés, y compris Jérusalem-Est. Le gouvernement israélien de Benyamin Netanyahou ayant encouragé la construction de telles colonies, le CDH a voulu y mettre un frein. Le Conseil estime que « les activités économiques facilitent l’expansion et la pérennisation des colonies ».
Une publication longtemps reportée
Votée en mars 2016, la résolution 3136 du CDH a été adoptée par 32 voix pour et 15 abstentions dont tous les membres de l’Union européenne. La Suisse compte parmi ceux qui l’ont approuvée, souhaitant ainsi souligner que la construction de colonies de peuplement viole le droit international. Mais Berne n’était pas convaincu par la méthode. La résolution confie au haut-commissaire la tâche d’établir cette liste. Vu la sensibilité de la question, Zeid Ra’ad al Hussein marche sur des œufs, même s’il a déjà annoncé qu’il ne cherchera pas à obtenir un second mandat. Illustrant la difficulté de l’exercice, son bureau a déjà demandé une extension du délai pour rédiger un rapport qui aurait déjà dû être publié en mars 2017, puis en décembre.
Le Haut-Commissariat reste pour l’heure muré dans le silence, ne souhaitant pas verser de l’huile sur le feu. Pendant ce temps, les entreprises potentiellement concernées ont été informées dans des courriers par le Haut-Commissaire, selon le magazine The Nation, qu’elles étaient potentiellement en train de violer la résolution 2334 du Conseil de sécurité de décembre 2016. Celle-ci exhorte Israël de cesser « immédiatement et complètement toutes ses activités de peuplement dans les territoires palestiniens occupés, y compris Jérusalem-Est ».
Méthode contestée
Si la « liste noire » suscite autant les passions, c’est qu’elle s’inscrit dans un contexte explosif. Sa logique est assimilée en partie à celle du mouvement BDS (Boycott, désinvestissement et sanctions) visant directement l’État hébreu. En Israël, la solution à deux Etats semble désormais une chimère et la décision de Donald Trump de reconnaître Jérusalem comme capitale de l’État hébreu de façon isolée de tout processus de négociation a exacerbé les tensions.
Un diplomate occidental souhaitant garder l’anonymat ne cache pas son appréhension de la prochaine session du CDH : « Nous chercherons à donner le moins de visibilité possible à cette résolution. Pourquoi ? Parce que nous pensons que l’établissement de cette liste noire risque de procéder d’une méthode arbitraire et de saper une discussion légitime sur le fond. L’approche n’est pas bonne. » Le haut-commissaire aux droits de l’homme est censé se baser notamment sur une Commission d’établissement des faits (à laquelle Israël avait refusé de participer) pour recenser les entreprises incriminées qui sont, apparemment, surtout américaines et israéliennes.
« On risque de choisir au hasard les entreprises qui seront sur la liste ou non », craint le diplomate. Une fois la liste établie, beaucoup se demandent ce que le CDH en fera, étant donné que seul le Conseil de sécurité est habilité à prendre des sanctions. Directeur de l’ONG pro-israélienne UN Watch, Hillel Neuer est très critique : « Oui, les colonies en tant que telles peuvent être un sujet de négociations. Mais cette liste, c’est du jamais-vu. L’ONU n’en a jamais établi dans le cas de l’occupation du Sahara occidental par le Maroc, de la Géorgie, de l’Ossétie du Sud, de la Crimée et de l’Ukraine par la Russie ou encore du Tibet par la Chine. » Pour Hillel Neuer, aucune règle de droit international n’empêche des entreprises de travailler dans des territoires occupés.
Vers le point de rupture
L’épisode de la liste noire contient les ingrédients d’un possible psychodrame à Genève. L’administration Trump est à l’affût et pourrait tirer à boulets rouges sur le CDH et le Haut-Commissariat. Elle exigera sans doute des réformes du Conseil des droits de l’homme ou en claquera la porte. « Si le CDH devait appeler au boycott des entreprises recensées, on pourrait atteindre le point de rupture pour les Etats-Unis », estime un bon connaisseur du dossier. Washington va insister pour que le point 7 de l’ordre du jour du Conseil des droits de l’homme soit aboli. Il fait d’Israël le seul pays à être automatiquement dans le collimateur de l’institution onusienne.
Chercheur à la Brookings Institution à Washington, Ted Piccone a témoigné en mai dernier devant une sous-commission du Sénat américain au sujet des réformes dont a besoin le CDH. « Etant aussi pro-Israël, l’administration Trump va sans doute tout faire pour obtenir gain de cause. Elle veut aussi une réforme du mode d’élection de ses membres. Si elle n’y parvient pas, il est possible qu’elle décide de tourner le dos au CDH. Mais ce serait très dommageable. D’autres pays rempliraient le vide, notamment la Chine. » Un exemple ? C’est en l’absence des Américains sous George W. Bush que le CDH a introduit le point 7 de l’ordre du jour.