Aux termes de la proclamation militaire n° 1 du 7 juin 1967, l’autorité légale sur le Territoire Palestinien Occupé (TPO) est exercée par le commandement militaire israélien.
Les formes d’occupation sont multiples et impliquent des régimes d’exception particuliers. Ainsi en est-il pour les résidents palestiniens de Jérusalem-Est régis par le droit israélien, tandis que les Palestiniens des villes de Cisjordanie en zone A depuis les accords d’Oslo relèvent de l’Autorité Palestinienne, mais sont à tout moment à la merci d’un raid et d’un enlèvement israéliens, notamment sur les campus palestiniens. Dans la zone B, celle des localités moyennes, l’armée israélienne partage avec l’Autorité Palestinienne la gestion de la sécurité et ne se prive pas d’installer check-points fixes ou mobiles, lieux privilégiés d’arrestation. Quant aux villageois vivant en zone C (60% de la Cisjordanie), sous contrôle total de l’armée israélienne, dont les agressions alternent avec celles des colons, ils doivent obtenir l’autorisation de cette armée israélienne pour construire une école, une maison ou simplement l’agrandir ; l’autorisation n’est jamais donnée, mais la démolition ne se fait pas attendre.
DES PROCEDURES MILITAIRES
En Cisjordanie, le régime des incarcérations et des détentions, celui de la police et de la justice pénale, sont pour l’essentiel réglés par plus de 1700 ordres militaires (inspirés des textes répressifs en vigueur sous le mandat britannique - ordonnances sur l’état d’urgence en Palestine faisant suite elles-mêmes à un décret-loi royal signé par Georges VI en 1937).
Ce sont donc des tribunaux et des cours d’appels composés de militaires israéliens qui jugent les Palestiniens.
Différentes procédures peuvent être distinguées :
- La détention administrative : Passés les 6 mois et 12 jours légaux, les prisonniers Palestiniens ne font pas toujours l’objet d’un procès ou d’une remise en liberté. Une partie d’entre eux (enfants comme adultes) peut alors comparaître devant un juge militaire qui les place en détention administrative pour une durée ne pouvant dépasser 6 mois (mais qui est indéfiniment renouvelable). Ce juge militaire ne notifie aucune charge au prisonnier qu’il place en détention et n’entame donc aucun procès au cours duquel il pourrait se défendre. Actuellement, entre 450 et 500 personnes sont victimes de ce système, du fait d’une variabilité mensuelle (en avril 2020 par exemple, 63 personnes ont ainsi été placées en détention, dont 2 femmes et 5 parlementaires). Le nombre de Palestiniens « détenus administratifs » a culminé en novembre 1989 avec 1794 détenus, 3300 personnes ayant cette année-là fait l’objet d’une décision de détention administrative. Selon une estimation réalisée par le gouvernement de Salam Fayyad en 2012, quelques 100 000 Palestiniens avaient alors été administrativement emprisonnés pour des périodes allant d’un mois à plusieurs années.
Un triste record est celui d’un député du Hamas, Hatem Qafisha, qui a passé 11 ans et 7 mois en prison au cours de 6 internements administratifs distincts entre 1996 et 2013.
« Si quelque chose mérite l’appellation de « kafkaïenne », c’est bien la détention administrative pour raison de « sécurité » (Michael Sfard. « Le mur et la porte », p. 507).
- Si procédure il y a, elle se déroule devant les juridictions militaires et sur une durée très variable, pouvant aller jusqu’à trois ans. Tribunaux militaires et cours d’appel militaires siègent au sein des 25 prisons ou centres de détention. Comme en témoigne l’ONG israélienne Yesh Din, les Palestiniens ne bénéficient jamais d’un procès équitable, comparaissant la plupart du temps sans défenseur (y compris les adolescents). Les « procès » se déroulent en hébreu, à huis clos. Les représentants des services de sécurité témoignent systématiquement sous le sceau du secret ; les accusés et leurs éventuels défenseurs n’ont pas accès à leur témoignage. Désormais, 95% des Palestiniens déférés choisissent de « plaider coupable » pour obtenir des peines moins lourdes.
- Il y a une autre catégorie de prisonniers qui sont arrêtés, conduits dans un centre d’interrogatoire, puis dans un centre de détention en attendant de comparaître devant un juge militaire. C’est dans ce cas la comparution qui est constamment reportée, parfois durant des années (sans visite d’avocat ou de proches). Ces détenus en détention totalement arbitraire ne sont pas comptabilisés et ne figurent pas dans les données fournies par les autorités carcérales israéliennes. Les Palestiniens parlent d’un millier de personnes ainsi embastillées. A titre d’exemple, l’ancienne prisonnière, Mona Ka’adan, est restée ainsi en détention arbitraire pendant 41 mois.
DES PROCEDURES qui violent le DROIT INTERNATIONAL des droits humains et le droit HUMANITAIRE de la guerre
La détention administrative viole l’article 9 de la déclaration universelle des Droits de l’Homme, les articles 42 et 78 de la quatrième Convention de Genève.
Les autorités israéliennes violent également la Convention Internationale relative aux Droits de l’Enfant (C.I.D.E.) et de deux manières :
en considérant que les enfants sont majeurs à partir de 16 ans alors que la majorité pénale est à 18 ans, un jeune de 16 ou 17 ans purgera les mêmes peines qu’un adulte. La loi a été récemment modifiée (majorité portée à 18 ans) mais elle n’est pas complètement appliquée dans les faits. Par ailleurs, des enfants mineurs au moment des faits pris en compte par les procédures militaires sont soumis à des parodies de procès durant des années pour permettre leur condamnation dès l’âge de leur majorité pénale dans le droit israélien !
En autorisant l’incarcération dès l’âge de 12 ans (ordre militaire n°1651) alors que la C.I.D.E ne la permet qu’à partir de 14 ans.
Israël a pourtant ratifié la C.I.D.E. (Convention Internationale des droits de l’enfant adoptée par les Nations Unies le 20 novembre1989) en 1991, ce qui l’oblige théoriquement à mettre en œuvre la totalité des droits et protections inclus dans le traité avec, comme toute première obligation, le respect du droit aux soins et à la santé. Selon l’UNICEF, les mauvais traitements physiques et psychologiques à l’encontre des jeunes Palestiniens détenus sont « répandus, systématiques et institutionnalisés » au sein du système de détention militaire israélien.
En mars 2020, on comptait 194 enfants détenus dont 140 en territoire israélien, là encore en violation du droit international : l’article 49 de la 4ème Convention de Genève.
Droit à la non - discrimination : Dans les territoires occupés qui relèvent de fait de sa gouvernance, Israël viole le principe d’égalité et de non-discrimination en appliquant un système juridique différencié entre les enfants israéliens (ceux des colonies) jugés par des magistrats civils et les enfants palestiniens jugés par des militaires n’ayant aucune formation juridique.
Droit à une identité : Un enfant ayant un parent israélien et l’autre vivant en territoire palestinien occupé ne pourra pas obtenir la nationalité israélienne, la réunification familiale leur étant de surcroît interdite. Par ailleurs, Israël considère que les enfants d’origine palestinienne résidant à Jérusalem ont la nationalité jordanienne, alors que ce n’est presque plus le cas : de nombreux enfants se retrouvent donc apatrides, ce qui est contraire au droit à l’égalité garanti par la C.I.D.E.
Droit de l’enfant réfugié : Israël applique depuis janvier 2012 la loi « sur la prévention de l’infiltration » qui lui permet de détenir de manière prolongée des enfants entrés illégalement sur son territoire puis à les expulser dans leur pays ou vers un pays tiers, même s’ils y risquent de mauvais traitements. Cela constitue une violation de la Convention sur les réfugiés, dont Israël est signataire.
DES PROCEDURES, DES PEINES ET DES CONDITIONS DE DETENTION ODIEUSES
- Les peines prononcées sont ahurissantes, sans aucune mesure avec le chef d’inculpation. Plus de 500 prisonniers (10 % de l’effectif total) purgent des peines de condamnation à vie, voire des multiples ubuesques de condamnations à vie (67 fois la perpétuité + 250 ans étant le record). De nombreuses condamnations sont démesurées : plus de 20 ou 50 ans. Dix ans sont encourus pour jet de pierre sur un véhicule, voire 20 ans pour jet de pierre sur un véhicule en mouvement. Dans bien des cas, ce sont des enfants palestiniens qui sont condamnés pour ces lancers de projectiles et les lourdes peines sont toujours assorties d’amendes excédant généralement les possibilités des familles.
- Quand un détenu meurt en prison (plus de 200 sont ainsi décédés depuis le début de l’occupation), le principe reste la rétention des corps des prisonniers jusqu’ à la fin de la peine prévue (18 corps « retenus » pour 2020 et toujours 69 retenus fin 2020 (source Al - Haq 2020), inhumés dans « le cimetière des nombres »). La démolition des maisons familiales de prisonniers coupables ou présumés coupables est une pratique fréquente, sous prétexte de punition collective, pourtant interdite par le droit international, et devient là encore une peine complémentaire.
- Toute cette parodie de justice s’accompagne fréquemment, depuis l’arrestation jusqu’au « procès », puis durant l’exécution de la peine prononcée, de châtiments corporels, de violence verbale, humiliations, menaces de mort ou de sévices sexuels, privation de sommeil, entrave par des chaînes des poignets et des pieds (y compris pendant le transfert de la prison jusqu’au tribunal), accès limité à l’eau, à la nourriture, aux installations sanitaires, aux médicaments, voire de tortures, de sévices sexuels sur les enfants selon Defense for Children International Palestine, Février 2021. Mais sur 1200 plaintes portées contre le Shin Bet depuis 2001, pas une seule n’a donné lieu à poursuite. Ceci vaut pour tous les prisonniers, y compris les enfants, en violation des articles 19, 37 a et 39 de la C.I.D.E. et de l’article 32 de la quatrième Convention de Genève.
- Parmi ces traitements inhumains, il en est un qui est particulièrement scandaleux : celui de mises à l’isolement ou, pire encore, au secret, pouvant être prolongées indéfiniment. Dans les deux cas, les définitions très larges de l’atteinte à la « sécurité » de l’Etat ou de la prison (« perturbation de l’ordre ») laissent une liberté considérable aux autorités. C’est l’arme qui sans faire de bruit est utilisée pour détruire psychologiquement et physiquement le détenu palestinien. Le détenu, Ibrahim al-Ra’i, est mort ainsi le 11 avril 1988, après neuf mois consécutifs d’isolement. A l’heure actuelle, Omar Kharwat, condamné à la perpétuité et détenu depuis 2002, est à l’isolement depuis 14 mois.
- Enfin, il n’est pas rare qu’Israël procède à des libérations-réincarcérations quasi immédiates : ainsi Hossam Ruzza et Mohammad Tabanga libérés en juillet 2019 puis de nouveau embastillés fin septembre 2019.
- Soumis à de pareils traitements, les prisonniers palestiniens ne peuvent utiliser qu’un ultime recours : la grève de la faim, souvent de longue durée, au péril de leur vie, d’autant qu’ils sont soumis parfois à l’alimentation forcée, en vertu d’une loi israélienne adoptée en juillet 2015 ! Ces grèves ont pu concerner des centaines de détenus et les tentatives d’alimentation forcée à a demande des autorités israéliennes se sont heurtées au refus des l’Ordre des médecins israéliens en 2015 et 2017. La grève de la faim est aussi une arme pour les prisonniers victimes de détention administrative et, par solidarité, les prisonniers en voie de jugement ou condamnés entament fréquemment, à leur tour, une grève de la faim.
Pour le Comité des droits de l’Homme des Nations Unies le « jugement de civils par des tribunaux militaires ou d’exception peut soulever de graves problèmes concernant le caractère impartial et indépendant de l’administration de la justice ».
Indépendance des tribunaux militaires, présomption d’innocence, maintien prolongé et presque systématique en détention préventive d’enfants, refus de libérations sous caution y compris pour les parents de mineurs, non communication aux avocats de certaines pièces du dossier, pièces fournies principalement en hébreu, y compris les aveux de l’accusé, contacts entravés entre l’avocat et son client en détention, autant d’anomalies graves dans le fonctionnement d’une justice pourtant déjà d’exception....
De plus la comparaison avec les dispositions applicables aux citoyens israéliens, notamment aux colons vivant en Cisjordanie, non soumis au droit militaire et relevant des tribunaux civils israéliens, confirme une grave discrimination entre les personnes résidant sur le territoire administré selon leur nationalité. Ce double régime relève du crime d’apartheid, tel que défini par la Convention internationale sur la prévention et l’élimination du crime contre l’humanité selon le Statut de Rome et la CPI...etc.....
Michel Mietton, Christiane Gillmann, Christian Rubechi
GT Prisonniers
Photo : Activestills