Mikkel Jordahl, avocat à Sedona, en Arizona, peut désormais choisir d’acheter une autre marque d’imprimantes.
Il n’est plus obligé de s’en tenir à la technologie Hewlett-Packard par peur de perdre son contrat avec l’État. Depuis 12 ans, il fournit des conseils juridiques aux détenus du centre de détention du comté de Coconino.
Dans sa vie personnelle, il évite les entreprises qu’il considère comme des complices de l’occupation israélienne des territoires palestiniens. Son but était d’étendre son boycott à son cabinet d’avocat où il travaille seul - en refusant, par exemple, d’acheter à Hewlett-Packard dont les services de technologie informatique sont utilisés aux check-points israéliens en Cisjordanie.
Dans sa vie professionnelle, cependant, il était tenu par une loi promulguée par l’Etat d’Arizona en 2016 exigeant de toute entreprise sous contrat avec l’État qu’elle certifie qu’elle ne boycottait pas Israël. Il a contesté la directive devant les tribunaux, affirmant qu’elle violait ses droits au titre du premier amendement.
Un juge fédéral en Arizona a jugé sa plainte fondée. La juge américaine Diane Humetewa a émis une injonction la semaine dernière, bloquant l’application de cette mesure qui oblige toute entreprise passant un contrat avec l’état à fournir une garantie écrit qu’elle ne participe pas à des activités de boycott visant Israël.
En question dans cette affaire l’obligation spécifique imposée en Arizona, mais plus largement, ce jugement jette un doute sur la constitutionnalité des tentatives du gouvernement pour réglementer les activités de boycott des entreprises privées, même si celles-ci sont en affaires avec l’État.
"Restreindre leur possibilité de participer à des appels collectifs pour s’opposer à Israël pèse incontestablement sur l’expression protégée d’entreprises qui souhaitent entreprendre un tel boycott", a écrit Humetewa dans son avis sur le cas Jordahl et al v. Brnovich et al.
Cette conclusion est la deuxième cette année à revenir sur une vague de lois au niveau des Etats, qui utilisent les fonds publics pour décourager les activités anti-israéliennes. Elle est dans la lignée d’un jugement similaire prononcé en janvier, lorsqu’un juge fédéral du Kansas a statué pour la première fois que l’application d’une disposition de l’Etat obligeant les contractants à signer un certificat de non-boycott violait le droit d’expression garanti par le Premier amendement. Selon l’American Civil Liberties Union, des dispositions similaires sont en vigueur dans plus d’une douzaine d’États, dont le Maryland, le Minnesota et la Caroline du Sud.
L’ACLU a contesté la législation dans les deux cas. Son succès dans la protection des activités de boycott devant les tribunaux est remarquable, car un groupe de législateurs bipartisan fait pression pour une législation fédérale qui pénaliserait toute coopération avec les boycotts parrainés par des organisations gouvernementales internationales. Même après les modifications apportées par les promoteurs du projet de loi au Sénat - Benjamin L. Cardin (D-Md.) Et Rob Portman (R-Ohio) - le groupe de défense des libertés civiles soutient que la mesure serait inconstitutionnelle.
La question du boycott a pris une nouvelle dimension cette année avec le déplacement par l’administration Trump de l’ambassade américaine dans la ville contestée de Jérusalem et avec l’explosion de la violence à Gaza. L’un des principaux moyens d’opposition à l’État israélien a été le mouvement appelé BDS, pour boycott, désinvestissement et sanctions. Il réclame la fin de l’occupation israélienne de "toutes les terres arabes", la pleine égalité des citoyens arabo-palestiniens d’Israël et le "droit des réfugiés palestiniens à retourner dans leurs maisons et leurs biens, comme stipulé dans la résolution 194 des Nations Unies".
Ce mouvement est controversé et de nombreuses législations à travers le monde - certaines symboliques – visent à lui couper les ailes. Un point particulièrement explosif est le boycott des universités israéliennes, qui soulève des questions sur la liberté d’expression et les échanges intellectuels ouverts.
De plus en plus souvent, les tribunaux américains statuent que les mesures visant les activités de boycott ne doivent pas entraver les droits d’expression [dans le cas des individus, ndlt].
La juge d’Arizona, citant l’arrêt de 1982 de la Cour suprême dans l’affaire NAACP v. Claiborne qui a confirmé le droit de se livrer à un boycott politique, a écrit que la loi votée en Arizona mettait en danger « les droits de réunion et d’association utilisés par les Américains et les citoyens d’Arizona pour « amener des changements politiques, sociaux et économiques ».
Ce jugement va permettre à Jordahl de faire, pour la gestion de son cabinet d’avocat, le même type de choix de consommation qu’il exerce individuellement.
L’avocat descend de trois générations de pasteurs luthériens. Selon la plainte de l’ACLU, en 1977, ses parents ont passé un an en Cisjordanie occupée, et Jordahl les y a rejoint pendant trois mois.
« M. Jordahl et ses parents ont été profondément touchés par ce qu’ils ont vu dans les territoires palestiniens occupés », affirme la plainte. « À son retour aux États-Unis, M. Jordahl a créé le chapitre de la Campagne des droits de l’homme en Palestine à Oberlin College. Il a continué à être impliqué dans divers aspects du conflit israélo-palestinien relatifs aux droits de l’homme. »
Jordahl a élevé son fils comme Juif et, après la bar-mitsva de celui-ci, l’a emmené l’an dernier en voyage en Israël et en Palestine - une expérience qui a renforcé sa conviction que les colonies constituent un obstacle à la paix. Il a été inspiré par la campagne « Peace not Walls » de l’Église évangélique luthérienne aux États-Unis, qui appelle à investir dans les produits palestiniens et à « utiliser les achats sélectifs pour éviter d’acheter des produits » fabriqués dans les colonies israéliennes. Il est également un membre non-juif de Jewish Voice for Peace, une organisation nationale qui soutient le mouvement BDS.
Afin de ne pas compromettre son contrat [avec l’Etat, ndlt], il a cependant signé en 2016 le certificat attestant qu’il « n’était pas actuellement engagé dans un boycott d’Israël », défini par la loi de l’État comme « refuser des transactions, mettre fin à des activités commerciales, ou accomplir d’autres actions visant à limiter les relations commerciales avec Israël ou avec des personnes ou des entités faisant affaire en Israël ou dans des territoires contrôlés par Israël. » En parallèle, il a envoyé une lettre au procureur général adjoint du comté par laquelle il estimait que cette exigence violait ses droits garantis par le premier amendement.
Lorsque son contrat a été renouvelé en 2017, après son voyage avec son fils, il a refusé de signer le certificat, le contestant au contraire devant le tribunal.
« Je continue à le considérer comme une violation de mes droits liés au Premier amendement, et j’ai passé les dernières années à en ressentir les effets effrayants », a-t-il écrit dans une déclaration au tribunal.
L’ACLU affirme que l’exigence de certification « contraint l’expression » en obligeant les entreprises sous contrat avec l’état à signer un certificat ou à perdre un revenu, tout en les empêchant de « soutenir des boycotts politiques alors qu’ils sont protégés ». Elle « glace également l’expression et l’association individuelles » du fait de la frontière ténue entre le plaidoyer d’un individu et l’attitude de son entreprise.
La plainte énonce que « Bien que M. Jordahl comprenne que la certification ne s’applique pas à ses activités personnelles, il craint avec raison que revendiquer sa participation personnelle au boycott ne conduise à créer des doutes sur le respect de la certification par son entreprise ».
L’État a rejeté cette demande, estimant que la loi n’enfreignait pas l’expression de Jordahl « à titre personnel », mais qu’elle reflétait l’intérêt de l’État de réglementer les activités commerciales pour prévenir toute discrimination fondée sur l’origine nationale. L’Etat a déclaré qu’il était préoccupé par l’utilisation de boycotts comme « guerre économique » contre Israël.
« L’Arizona doit avoir la possibilité d’établir des règles pour ses propres sous-traitants et de veiller à ce qu’ils ne compromettent pas la politique de l’État ou ne se livrent à aucune discrimination », a déclaré Mark Brnovich, procureur général de l’Arizona.
Bien que le mouvement BDS se reconnaisse dans la tradition du mouvement des droits civiques, il existe une ligne de pensée opposée qui préconise une réglementation étatique de ce type, parallèle aux interdictions gouvernementales de discrimination raciale dans les entités privées, telles que les restaurants et les hôtels.
Un rapport du Service de recherche du Congrès de 2017 a indiqué « Plus précisément, certains commentateurs ont comparé la possibilité de restriction sur la discrimination à l’encontre des entités affiliées à Israël à d’autres interdictions législatives constitutionnellement admises, telles que les restrictions imposées par le gouvernement à la discrimination fondée sur la race par des entités privées ». En même temps, l’affiliation à Israël présente une analogie douteuse avec des caractéristiques telles que la race, la religion et le sexe.
Jordahl fait valoir que la réglementation de l’État s’empare de ce qui devrait faire l’objet d’un débat civique vigoureux et en fait une occasion pour faire appliquer son propre agenda politique.
Dans l’Arizona Daily Star il a écrit : « Les esprits rationnels peuvent être en désaccord sur le point de savoir si le mouvement de boycott de l’occupation est efficace ou même approprié. Mais nos législateurs de l’Arizona doivent-ils nous priver de notre droit, garanti par le premier amendement, d’exprimer notre opinion sur cette question ? Selon la même logique, qu’est-ce qui empêcherait l’Arizona de décider de ne pas contracter avec des personnes et des entreprises favorables au boycott des entreprises de la famille Trump, des compagnies de tabac ou même du Parti démocrate ? »
L’État a demandé la suspension de la décision en attendant l’appel. Un porte-parole du procureur général a déclaré à l’Arizona Republic : « Nous sommes déçus que le juge n’ait pas reconnu que l’argent des contribuables n’avait pas sa place pour soutenir des entrepreneurs publics qui adoptent un comportement antisémite. »
Traduit de l’anglais original par RP pour l’AFPS