Sous le titre « Israël-Palestine : le cancer
», cet article avait paru peu de temps
après la fin de l’offensive dite « Rempart
» au cours de laquelle l’armée israélienne
avait, cinq semaines durant, massivement
tué, blessé et raflé la population
des villes et camps de réfugiés de Cisjordanie,
tout en détruisant la plupart
de leurs infrastructures.
Une association (Avocats sans frontières),
son président, l’avocat William
Goldnadel, et l’Union des étudiants juifs
de France, avaient très vite assigné les
auteurs de l’article devant le tribunal
de grande instance de Nanterre. Selon
eux, étaient constitutifs de diffamation
à caractère racial d’une exceptionnelle
gravité, ainsi que d’apologie d’actes de
terrorisme, les passages suivants :
« On a peine à imaginer qu’une nation
de fugitifs, issus du peuple le plus
longtemps persécuté dans l’histoire
de l’humanité, ayant subi
les pires humiliations et le
pire mépris, soit capable de
se transformer en deux générations
en peuple dominateur
et sûr de lui et, à
l’exception d’une admirable
minorité, en peuple
méprisant ayant satisfaction
à humilier. Les Juifs
d’Israël, descendants d’un
apartheid nommé ghetto, gettoïsent
les Palestiniens. Les Juifs
qui furent humiliés, méprisés, persécutés,
humilient, méprisent, persécutent
les Palestiniens. Les Juifs qui
furent victimes d’un ordre impitoyable,
imposent leur ordre impitoyable aux
Palestiniens. Les Juifs, victimes de
l’inhumanité, montrent une terrible
inhumanité. Les Juifs, boucs émissaires
de tous les maux, “ bouc-émissarisent”
Yasser Arafat et l’Autorité palestinienne,
rendus responsables d’attentats qu’on
les empêche d’empêcher. »
Le tribunal de grande instance de Nanterre
a purement et simplement relaxé
les auteurs de l’article. Mais les deux
associations ne voulaient pas rester sur
cet échec, d’autant qu’elles venaient de
perdre devant le tribunal de grande instance
de Paris puis devant la cour d’appel
de Paris qui avaient successivement
relaxé une autre de leurs victimes, le
journaliste de radio Daniel Mermet,
coupable d’ouvrir son micro aux auditeurs
critiques de la politique israélienne.
Elles ont interjeté appel du jugement
de Nanterre et c’est ainsi que la cour
d’appel de Versailles a rendu, le 26 mai
2005, un arrêt condamnant les trois
auteurs de l’article pour diffamation
raciale.
La cour de cassation vient heureusement
de casser et d’annuler cet arrêt,
en relevant que les passages incriminés,
tout comme le reste de l’article,
n’étaient pas diffamatoires, et que « les
propos poursuivis, isolés au sein d’un
article critiquant la politique menée
par le gouvernement d’Israël à l’égard
des Palestiniens, n’imputent aucun fait
précis de nature à porter atteinte à
l’honneur ou à la considération de la
communauté juive dans son ensemble
en raison de son appartenance à une
nation ou à une religion, mais sont
l’expression d’une opinion qui relève du
seul débat d’idées. »
Christiane Gillmann, le 1er septembre 2006
Dans un papier publié dans Le Monde
Diplomatique d’octobre 2005 et intitulé
« Edgar Morin, juste d’Israël ? »,
l’historienne Esther Benbassa, directrice
d’études à l’Ecole pratique des
hautes études, titulaire de la chaire
d’histoire du judaïsme moderne, écrivait
notamment : « (...) Le nouvel
“antisémite” n’est plus celui qui hait
le juif, mais le juif démocrate incapable
de fermer les yeux sur le sort quotidien
des Palestiniens placés sous
occupation israélienne. Curieux renversement
augmentant sensiblement
le nombre d’intellectuels antisémites
en Israël même ! Car il ne manque pas
là-bas de juifs clamant haut et fort,
dans les médias, leur rejet des décisions
de leur gouvernement et n’hésitant
pas à prendre des risques pour
créer des passerelles de rapprochement
avec les Palestiniens... (...) ».
www.monde-diplomatique.fr/
2005/10/BENBASSA/12818