C’est un paysage lunaire qui rappelle les films de Mad Max, brûlant en été et glacial en hiver. Après avoir dépassé une carrière, ses bulldozers et ses camions, la route cahoteuse serpente dans des collines de sable et de pierres et conduit au lieu-dit de Ras al-Tin, au nord-est de Ramallah, la ville où siège l’Autorité palestinienne.
La beauté et le silence coupent le souffle, quelques campements bédouins, des moutons, des ânes et des chevaux qui broutent une herbe sèche rompent la monotonie quand l’école apparaît sur un plateau. Le bâtiment rectangulaire, faits de parpaings peints en blanc, n’est même pas encore terminé mais Nour, 14 ans l’a déjà adopté : "C’est ma première année ici. Avant, j’étudiais à l’école d’un village voisin c’était difficile en hiver, je croisais les colons israéliens, je devais traverser la grande route.
« Nous avons le droit à l’Education. »
Tous les enfants palestiniens y ont droit et on étudiera ici jusqu’à la fin de la scolarité si Dieu le veut." Ce matin-là sous un chaud soleil, le ministre de l’Education de l’Autorité palestinienne Marwan Awartani s’est rendu sur place pour écouter les enfants, leurs institutrices, les ONG et les diplomates associés au projet.
L’Union européenne a financé le bâtiment à hauteur de 30 000 euros mais l’armée israélienne qui occupe et administre cette zone de la Cisjordanie (appelée zone C) a émis un ordre de démolition pour absence de permis de construire.
"C’est une zone enclavée où pendant des années, les enfants devaient marcher entre huit et dix kilomètres pour aller à l’école, en hiver comme en été" explique le ministre. "Maintenant, ils sont si contents de n’avoir à marcher que cinq minutes... Ils ont tellement peur que si l’école est détruite, ils vont sombrer dans une amertume, une anxiété, une inquiétude et une dépression très profondes. Cela va les déstabiliser moralement" ajoute-t-il après avoir assisté à un petit spectacle de danse.
Des classes encore spartiates
A l’intérieur, les murs et le sol de l’école sont encore nus. Il n’y a pas d’électricité pour la climatisation ou pour un chauffage et les enfants utilisent des toilettes de chantier à quelques dizaines de mètres du bâtiment.
La construction est suspendue raconte Mohamed Abou Remaileh, du Conseil Norvégien pour les Réfugiés (NCR) qui fournit une assistance juridique aux Palestiniens :
« L’école a été construite en août et fonctionne depuis la rentrée scolaire de septembre... Et depuis août, elle a été victime de descentes de l’armée qui a saisi des équipements scolaire et du matériel de chantier et l’école a reçu un avis de destruction. »
Le COGAT (organisme de l’armée israélienne chargé de l’administration des Territoires Palestiniens) n’a pas répondu à nos questions transmises par écrit à son porte-parole. Mais les autorités israéliennes invoquent l’absence d’un permis de construire l’école. "Absolument !" enchaîne Mohamed Abou Remaileh. "Le problème, pour obtenir un permis de construire dans ce secteur, c’est que c’est presque impossible. Selon nos chiffres, 98% des demandes de permis déposées par les Palestiniens ici sont rejetées. Pour être honnête avec vous, quand on voit la procédure, c’est dur d’être optimiste..."
La Justice israélienne a rejeté un premier recours, les défenseurs du projet ont donc saisi la cour suprême d’Israël. Il est difficile de savoir comment les choses vont évoluer et en combien de temps mais Nour al Azaleh la directrice de l’école, est plus confiante que le responsable du NCR :
« Je ne suis pas inquiète, ils font de la provocation. J’espère que l’école ne sera pas démolie mais si c’était le cas alors on la reconstruira, ça fait partie de notre existence. Etre ici, c’est résister, on sait que c’est difficile, il n’y avait pas d’infrastructures pour l’école, on n’a même pas de réseau pour téléphone portable mais on va rester ici car ça fait partie de notre terre. »
Un projet éducatif devenu combat politique
Un peu partout des drapeaux palestiniens noir vert blanc et rouge claquent au vent léger. Alors qu’Israël a annoncé la semaine dernière la construction de 5 000 nouveaux logements dans les colonies de Cisjordanie, l’école de Ras Al Tin est devenue un combat politique estime le ministre de l’Education : "C’est un exemple de notre résilience et de notre détermination à rendre l’éducation accessible. Pour la Palestine, l’éducation est une matrice pour le progrès. L’humain est le socle de l’Etat palestinien. Partout dans le monde, le doit à l’éducation est fondamental."
Une délégation de l’Union européenne s’est rendue sur place. A l’issue de leur visite, les diplomates ont rappelé que "l’Education est un droit humain fondamental qui doit être protégé et maintenu (...) La démolition [de cette école] va sévèrement affecter l’accès des enfants à l’Education (...) A la lumière de l’augmentation des démolitions entre mars et août 2020, l’UE réitère son appel à Israël de cesser toutes ces démolitions, y compris les structures financées par l’UE, particulièrement à la lumière de l’impact humanitaire de la pandémie."