Le rapport récapitule en guise
d’introduction les obligations de
l’UE et d’Israël en matière de
droits humains : obligation générale
pour l’Union européenne de respecter
les droits humains au titre de l’article 6
du traité, obligation de les respecter dans
ses relations extérieures ; obligation de
les respecter dans le cadre de l’accord
d’association avec Israël par son article
2, la fameuse « clause des droits de
l’Homme », qui fournit une véritable
base légale pour entamer une action politique
et satisfaire ainsi aux engagements
des deux parties de respecter et faire respecter
les droits humains.
Première constatation du rapport :
« les actions spécifiques de l’UE ou sa
volonté délibérée de ne pas agir [...]
constituent à l’évidence une trahison de
ses engagements ». Mais pour Charles
Shamas et Suzanne Rockwell, les auteurs
du rapport, le problème va au delà d’une
absence de volonté politique d’utiliser les
instruments légaux permettant de
contraindre Israël à respecter les droits
humains. L’Union européenne choisit
une position de « neutralité », selon le
terme utilisé par le Commissaire européen
Vitorino en mars 2000, lorsque le
gouvernement israélien viole ses accords
avec l’UE aux différents stades de leur
coopération. C’est sur cette base que
l’Union européenne a élaboré un appareil
juridique parallèle appelé aussi
« solutions pratiques » ou « arrangements
techniques ». Et se manifeste le manque
de cohérence entre la diplomatie déclarative
de l’UE - conforme à la loi - et sa
diplomatie effective.
La « législation parallèle » de l’UE
Un des exemples de ce « dédoublement
de personnalité » de l’Union européenne
est son attitude quant à l’intégration
d’Israël au sein de la « politique européenne
de voisinage » (PEV) [2]. Israël
est en très bonne position pour intégrer
cette politique qui lui permettra de participer
aux programmes intérieurs offerts
par la PEV. Chaque adhésion à la PEV
est soumise à un plan d’action qui définit
les objectifs atteints et à atteindre
pour le pays partenaire et énumère un
certain nombre de principes qui sous
tendront les relations entre les deux parties,
comme le renforcement de l’Etat
de droit, le respect des droits des minorités
ou la coopération avec la Cour internationale
de Justice. Chaque plan d’action
prévoit aussi la création d’une « souscommission
aux droits de l’Homme ».
Israël a refusé la création de cette souscommission
et seule un petite minorité
des Etats membres s’est opposée à ce
refus. La Commission a pris la même
décision, ne pas créer une « sous-commission
aux droits de l’Homme », concernant
le plan d’action de l’Autorité palestinienne.
Le rapport de REMDH souligne
que cette double dérogation est « un nouvel
exemple de la tendance de l’UE à
subordonner ses engagements en matière
de droits de l’Homme à la législation
parallèle qui fait florès dans l’atmosphère
de non droit entourant le processus
de paix au Proche-Orient ». L’UE
encourage et entérine la violation des
droits humains par Israël et contredit son
objectif affiché d’une plus grande cohérence
de sa politique en la matière. Face
à l’inertie de la Commission, le rapport
nous apprend que le Parlement européen
tente de réagir et cherche actuellement
à introduire dans quatre programmes de
financement de la PEV des « clauses de
sauvegarde ». Celles-ci permettraient de
s’assurer que les programmes financés
sont en conformité avec le droit international
et l’« acquis communautaire »,
mais aussi que les contrats « permettant
une participation à des programmes
financés par l’Union ne sont pas conclus
avec des autorités politiques, des institutions
ou des acteurs privés directement
impliqués dans des actes contraires
au droit international ». Initiative importante,
car il s’agit d’« empêcher l’Union
européenne de gérer sur un mode
“politique” ses relations avec des pays
partenaires engagés dans de graves violations
du droit international ».
En attendant l’adoption de ces clauses de
sauvegarde, l’Union européenne a conclu
en 2005 deux « arrangements pratiques »,
parfaits exemples de cette législation
parallèle, qui laissent Israël bafouer le droit
international et ses obligations vis-à-vis
de l’Union européenne tout en bénéficiant
de sa coopération.
En février 2005, Israël et l’Union européenne
ont conclu un accord relatif à
« la règle d’origine » présente dans l’accord
d’association, laquelle accorde un tarif
d’importation préférentiel aux produits
fabriqués sur le territoire israélien, qui
exclut les produits fabriqués dans les
colonies israéliennes, illégales au regard
du droit international. Selon cet « arrangement
technique », c’est à Israël que
revient la tâche de mentionner sur le certificat
d’origine le nom et le code postal
de l’endroit de production, sur la base
d’une liste des noms de localités et des
codes postaux établie par la Commission
européenne. Selon la Commission
elle-même, ces arrangements ne règleront
en rien la situation tant que le gouvernement
israélien « maintiendra sa
pratique » qui consiste à « délivrer des certificats
d’origine pour des produits originaires
de colonies situées en territoire
occupé ». Un tel arrangement s’accommode
des violations persistantes par le
gouvernement israélien de la règle d’origine
et, selon les termes du rapport, « permet à l’UE et Israël de coopérer sous le
seuil de la loi véritable en éludant les
contraintes et les objectifs des obligations
légales auxquelles Israël refuse de
se soumettre ». Autre exemple de « législation
parallèle », cet arrangement officieux
entre la Commission européenne
et Israël dont l’objectif est de supprimer
la participation visible des entreprises
de recherche israélienne situées dans les
colonies au programme cadre de l’UE
pour la recherche et le développement
technologique. Le seul propos de ces
arrangements, affirme le REMDH, est de
substituer à la législation officielle, refusée
par Israël, une législation parallèle qui
ne pose aucun problème, ni ne provoque
aucun désaccord quant à l’application
par Israël de dispositions contraires au
droit international, que cet arrangement
s’efforce précisément de faire oublier.
La responsabilité européenne et le secteur privé
Les deux auteurs du rapport prennent
deux exemples d’entrave sélective aux
droits humains menée par l’Union européenne :
le désengagement
de Gaza et l’implication
du secteur privé
européen dans la violation
du droit international.
Concernant
le désengagement de
Gaza, le rapport met
en avant le silence de
l’UE sur les possibilités
d’y faire appliquer
le droit international
humanitaire,
bien qu’Israël ait plusieurs
fois répété vouloir
se soustraire à ses
responsabilités de
puissance occupante
« sur la base de
mesures mises en
place avec l’aide,
entre autres de l’UE ».
Notamment, car l’UE
joue le rôle de médiateur
au poste-frontière
de Rafah. « L’UE
ferait mieux d’aborder
le sujet franchement
et de ne pas laisser
espérer à Israël qu’il
peut se débarrasser
de ses responsabilités
vis-à-vis des civils de
Gaza tout en gardant
le contrôle et en être
récompensé », affirme
le Réseau euro-méditérranéen
des droits de
l’Homme.
La responsabilité européenne
est aussi visible
dans la participation du
secteur privé européen
à la violation des droits
humains et du droit
international humanitaire
dans les Territoires
occupés. Comme le fait
remarquer le rapport :
« lorsque les fonds publics de l’UE et des
Etats membres sont en jeu, ou lorsque
l’UE et les Etats membres participent
activement à la promotion du commerce
et de l’investissement avec des pays tiers,
les gouvernements ne peuvent limiter à
leur sphère privée leur
devoir de précaution et
leurs propres engagements
à respecter et à
faire respecter la Quatrième
convention de
Genève ». La participation
de deux sociétés françaises
à la construction
du tramway à Jérusalem-
Est a montré le rôle et
l’implication du gouvernement
français dans
l’obtention du marché.
Le rapport met aussi en
avant la participation
d’une société française,
GEPSA, dans la construction
d’une prison privée
en Israël, pays qui pratique
la détention administrative
des prisonniers
palestiniens en violation
du droit humanitaire international
et qui n’a pas
intégré dans son droit
intérieur la Convention des Nations unies
contre la torture.
Beaucoup voient dans le changement
d’attitude de l’Union européenne vis-àvis
d’Israël une récompense pour le désengagement
de Gaza. Le rapport du
REMDH propose trois conclusions : la
nécessité pour l’Union européenne de
placer le respect des droits humains au
centre de leur action afin de réactiver le
processus de paix, de développer et
d’énoncer des positions conformes à la
loi et de fixer les limites de son implication
dans le processus de désengagement. La
suspension de l’aide européenne à l’Autorité
palestinienne risque néanmoins de
saper les bases politiques nécessaires à
ces objectifs et de laisser inchangée la violation
par Israël de ses obligations européennes
et internationales.
Maxime Guimberteau