Le match faisait partie d’un événement unique. Dans le petit village pauvre, avec ses 1.500 habitants, dont peu auparavant avaient même entendu parler du début de sa lutte héroïque contre le Mur, se tenait une « conférence internationale commune, non violente contre le Mur ». Dans le cadre de cet événement, qui a duré deux jours, un ensemble d’activités ont été organisées : rapports et débats sur la lutte, remise de médailles à leurs familles en hommage aux neuf personnes qui ont perdu la vie dans le combat contre le Mur, plantation de jeunes oliviers sur la terre volée, inauguration du terrain de football et le match lui-même.
J’ai eu l’honneur d’être invité à prononcer l’un des discours d’ouverture devant 300 personnes - habitants de Bil’in, membres du Parlement palestinien, représentants de la lutte dans plusieurs zones le long du mur, pacifistes israéliens et délégués de groupes de solidarité européens. Voilà ce que j’ai dit :
CHERS AMIS,
Chaque fois que je viens à Bil’in, je suis excité et heureux.
Ce village, ce petit village, est devenu un symbole en Palestine, en Israël, et même dans le monde entier. Votre combat reflète la lutte de tout le peuple palestinien.
Trois éléments distinguent la lutte de Bil’in, trois caractéristiques qui se complètent et qui ensemble font de Bil’in ce qu’il est :
Premièrement, la ténacité, la persévérance et le courage des Palestiniens.
Deuxièmement, le partenariat avec le camp de la paix israélien.
Troisièmement, le soutien des mouvements de solidarité du monde entier.
On peut y ajouter une autre caractéristique qui fait de Bil’in un exemple éclatant : la non-violence absolue de la lutte.
Il y a quelques jours, le Dalai Lama est venu dans ce pays. Il a rencontré des gens importants et des célébrités avec lesquelles il a été photographié. Je lui aurais conseillé de venir à Bil’in et de prendre une leçon de non-violence.
QUAND NOUS essayons d’analyser la lutte, il faut toujours revenir à l’essence du problème : dans ce pays vivent deux peuples, deux nations, et le but du combat est de créer la paix, une paix basée sur la justice.
Le conflit israélo-palestinien ne ressemble à un aucun autre dans le monde. Ce n’est pas une répétition de la dure épreuve subie par l’Afrique du Sud, ni une seconde édition de la guerre de libération algérienne. C’est un conflit unique, résultant de circonstances uniques.
Un historien célèbre l’a ainsi décrit : une personne habite au dernier étage d’un immeuble dans lequel se déclare un incendie. Pour sauver sa vie, elle saute d’une fenêtre et tombe sur un passant qui est grièvement blessé. Il s’ensuit entre eux une hostilité à mort.
Qui a raison ? La personne qui a sauté par la fenêtre pour sauver sa vie ? Ou la deuxième personne qui a été blessée et ruinée alors qu’elle n’avait rien fait de mal ?
Le mouvement sioniste est né - parce que l’Europe devenait un enfer pour les Juifs - cinquante ans avant l’Holocauste, le terrible Holocauste qui a tué des millions de Juifs et à la suite duquel l’Etat d’Israël a été fondé. Les premiers sionistes croyaient que le pays était vide. Leur principal slogan était : « Une terre sans peuple pour un peuple sans terre ». Quand les sionistes ont découvert qu’il y avait une population vivant déjà dans ce pays, ils ont essayé de la mettre dehors. Cela continue jusqu’à ce jour - de même que la lutte tenace du peuple palestinien pour son existence et pour sa terre.
C’est la réalité du conflit - deux peuples vivant dans le même pays et se combattant. La lutte de Bil’in contre le Mur qui vole sa terre est une partie de ce conflit historique.
IL Y A 32 ANS, juste après la guerre de Yom Kippour, la guerre du Ramadan, Yasser Arafat est arrivé à la conclusion qu’il n’y avait pas de solution militaire au conflit. Il s’est résolu à rechercher un règlement politique.
Un petit groupe de pacifistes israéliens a décidé de se joindre à cette initiative. Nous avons créé le Conseil israélien pour la paix israélo-palestinienne. Arafat a chargé ses émissaires de nous contacter - d’abord Said Hamami, puis Issam Sartaoui, deux dirigeants importants du Fatah. Tous deux ont plus tard été assassinés par les ennemis de la paix et les ennemis d’Arafat. Que leur mémoire vive.
En 1982, en pleine guerre du Liban, j’ai traversé les lignes de combat et rencontré Arafat dans Beyrouth assiégée. En pleine bataille, au milieu des bombardements, Arafat parlait de la paix entre nos deux peuples.
Arafat était déjà en train d’élaborer une stratégie basée sur trois principes : continuer la lutte du peuple palestinien, tendre la main au camp de la paix israélien et faire appel à la solidarité internationale. Ce sont également les trois principes de Bil’in aujourd’hui.
VOUS POUVEZ - et même vous devez - demander : qu’a donc réalisé le mouvement de la paix israélien ?
A première vue, rien. Au contraire, depuis les accords d’Oslo, la situation des Palestiniens a empiré chaque année. La misère a encore plus augmenté. Chaque jour des gens sont tués. La construction du Mur monstrueux continue. Les colonies racistes s’étendent rapidement. Nous venons juste d’apprendre que la vallée du Jourdain - le tiers de la Cisjordanie - est coupée du reste du territoire palestinien et pratiquement annexée à Israël. La victoire du Hamas aux élections palestiniennes en est un résultat.
Tout cela est ce qui est apparent. Mais sous la surface, un processus contraire est à l’œuvre.
Il y a cinquante ans, seule une poignée de gens en Israël et dans le monde reconnaissait l’existence du peuple palestinien. Il y a 32 ans encore, Golda Meir pouvait déclarer : « Le peuple palestinien, ça n’existe pas ». Désormais, il n’y a aucune personne normale en Israël et dans le monde qui nie l’existence du peuple palestinien et son droit à un Etat. C’est une victoire de la lutte persévérante du peuple palestinien, mais aussi du mouvement de la paix israélien.
Il y a vingt ans, quand nous appelions à des négociations avec l’Organisation de libération de la Palestine, nous étions un petit groupe. On nous disait qu’Arafat était un assassin, que l’OLP était une organisation terroriste, que la Charte palestinienne prônait la destruction d’Israël - exactement les mêmes phrases qui sont utilisées aujourd’hui à propos du Hamas. Mais, quelques années plus tard, l’Etat d’Israël reconnaissait l’OLP, négociait avec elle et signait un accord avec elle. C’était une victoire de la lutte persévérante du peuple palestinien, mais aussi du mouvement de la paix israélien.
CHERS AMIS, il est très facile de désespérer. Chacun de nous a des moments de dépression. Mais je suis convaincu que la paix gagnera, la justice gagnera.
Il y a quelques semaines, j’étais à Berlin. Dans les boutiques, des morceaux du mur de Berlin sont en vente. J’ai payé 2,50 euros pour l’un d’eux. Le jour viendra où, à Bil’in, dans l’Etat libre de Palestine, on pourra acheter des morceaux du mur contre lequel nous nous battons aujourd’hui.
Chaque fois que je suis à Bil’in et ailleurs en Palestine occupée, je ne puis m’empêcher de penser au paradis que serait ce pays s’il y avait la paix, une paix basée sur la justice et le respect mutuel.
Cette paix viendra. Et quand elle viendra, le dernier souhait de Yasser Arafat, dont le portrait est suspendu ici, sera exaucé : sa dépouille sera enterrée à Jérusalem.