Quelques minutes avant qu’un juge militaire israélien n’approuve la semaine dernière la négociation de la peine de Ahed Tamimi, quelque chose d’inattendu s’est produit à l’intérieur du Tribunal Militaire israélien d’Ofer. Une militante israélienne juive s’est levée des banquettes arrière, s’est approchée du procureur militaire, l’a giflé, et a crié, « qui êtes-vous pour la juger ? »
Si jamais il y avait un exemple approprié des disparités flagrantes entre la façon dont la le système judiciaire israélien traite ses propres citoyens par rapport à ses sujets palestiniens, il était en pleine évidence aux yeux du monde ce soir-là au tribunal Militaire d’Ofer.
Ahed, la fille palestinienne de 17 ans de Nabi Saleh, qu’Israël a arrêtée pour avoir giflé un de ses soldats l’année dernière, a passé les trois mois précédents en prison - sa mise en liberté sous caution ayant été à maintes reprises refusée par les juges militaires qui ont estimé qu’elle constituait un danger pour la sécurité publique. Un Israélien juif aurait libéré dans un délai de quelques jours, et un mineur israélien dans un délai de quelques heures, ont soutenu des militants.
Maintenant nous pouvons dire sans incertitude qu’ils ont raison.
C’était à la fin de l’audience de détermination de la peine de Nariman Tamimi, la mère de Ahed qui a été arrêtée en même temps que celle-ci, que la militante israélienne Yifat Doron s’est levé et a giflé le procureur militaire en uniforme — un soldat. Juste comme l’a fait Ahed.
Elle a été rapidement arrêtée.
Le lendemain, la police a amené Doron devant un juge civil, dans un tribunal civil, et a demandé qu’elle soit mise en détention provisoire pendant cinq autres jours, en argumentant du fait qu’elle avait besoin de davantage de temps pour terminer l’enquête.
Doron, qui a insisté sur le fait qu’elle voulait assurer sa propre défense, a dit au juge qu’elle ne s’opposait pas à son maintien en prison et qu’elle était réellement d’accord avec la police. “Quiconque ne se conforme pas à votre régime d’apartheid ou ose penser de façon indépendante représente effectivement une menace pour la police,” a-t-elle déclaré.
Le juge n’a pas été d’accord. Il a ordonné que Doron soit libérée.
La police a demandé du temps pour faire appel de la décision de la libérer, et Doron a passé une autre nuit en prison. Le lendemain, Doron a ét amenée devant le Tribunal de District de Jérusalem, où elle a répété qu’elle ne s’opposerait pas à la demande de la police de la maintenir en prison.
“Au-delà de cela,” a-t-elle ajouté, “je ne suis pas désireuse de jouer à votre jeu de la démocratie pour les seuls Juifs. Vous pouvez faire ce que voulez.”
Une fois encore, malgré la préconisation de la police — et malgré la volonté de Doron de subir les conséquences de son acte — le juge a ordonné qu’elle soit libérée.
Pour Doron, la décision de gifler le procureur militaire était principalement une action de solidarité. « Nariman est une de mes meilleures amies” a-t-elle dit au téléphone au Magazine +972 quelques jours après sa libération. « Elle est une des plus courageuses personnes que je connaisse. Pour moi, elle est le symbole des souffrances et de l’injustice auxquelles les gens font face sous ce régime. J’ai fait ceci pour montrer que je la soutiens. »
Mais Doron voulait aussi prouver une chose — c’est que les israéliens et les Palestiniens qui commettent les même crimes font face à des conséquences radicalement différentes.
« C’est dingue que je puisse faire quelque chose comme cela et être libérée deux jours plus tard, » a-t-elle déclaré. « Il y a tant de gens de Nabi Saleh qui sont en prison, tous parce qu’ils ont décidé d’agir. »
Ce qui s’ajoute à l’absurdité révélée par la gifle de Doron c’est que cela a eu lieu en Cisjordanie, où le droit militaire israélien règne en maître. Si un-e Palestinien-ne avait simultanément giflé le procureur sur l’autre joue exactement au même moment que Doron, il ou elle aurait été arrêté-e par l’armée et amené-e devant le tribunal militaire, où la mise en liberté sous caution est une rareté et la détention provisoire la norme.
Mais Doron est une citoyenne israélienne juive d’Israël, et donc malgré le fait qu’elle ait giflé un soldat dans une zone régie par le droit militaire — à l’intérieur d’un tribunal militaire, pas moins — elle a été amenée devant un tribunal civil israélien et libérée.
Traduit de l’anglais par Yves Jardin, membre du GT de l’AFPS sur les prisonniers
Photo de couverture : Ahed Tamimi au tribunal militaire de la prison d’Ofer. 20 décembre 2017. (Oren Ziv/Activestills)