Il aura fallu attendre l’approche des travaux pour que l’affaire s’ébruite. C’était en octobre 2005, associations et médias révélaient un contrat " honteux " entre un consortium d’entreprises françaises (Alstom et Connex pour 25 %) et israéliennes. Le quotidien Le Monde titrait alors " Le tramway de Jérusalem enchante le business et gêne le Quai d’Orsay ". Les contrats, eux, étaient signés depuis le mois de juillet.
Une grande discrétion avait entouré ces négociations et pour cause. La première ligne de ce tramway doit relier le centre de Jérusalem-Ouest à deux colonies de l’Est, Pisgat Ze’ev et French Hill, installées depuis plus de trente ans sur des terres confisquées aux Palestiniens et dont l’annexion par Israël n’a jamais été reconnue par la communauté internationale.
Lors de sa visite en France, en octobre 2005, le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, s’en était ému auprès de Jacques Chirac qui s’était engagé à se pencher sur la question. En guise de réponse, le Quai d’Orsay, bien embarrassé par cette affaire, fit alors cette déclaration laconique mais officielle : " La participation d’entreprises françaises à la construction du tramway de Jérusalem s’inscrit dans le cadre d’un marché international qui obéit à une logique commerciale. Leur participation à cette construction ne comporte à nos yeux aucune conséquence sur le statut de Jérusalem-Est. Notre position reste inchangée sur la colonisation en Cisjordanie et autour de Jérusalem-Est, qui est contraire au droit international ". Voilà qui est botté en touche.
Or, c’est justement en se saisissant de cette notion de droit international qu’Amnesty a décidé d’intervenir dans le débat. Jugeant que le tramway va entériner " des mesures illégales d’annexion et de colonisation adoptées préalablement par le gouvernement israélien ", l’organisation estime que la conclusion de ce contrat soulève des questions de violation du droit international. En décembre, la commission Entreprises d’Amnesty soutenue par la coordination Israël/Territoires occupés et le Secrétariat international, demande audience aux deux entreprises françaises concernées. Alstom accepte de recevoir une délégation mais le groupe Véolia (dont Connex est une filiale) préfère différer l’appel. " Tout en reconnaissant leur embarras, les dirigeants de Véolia nous ont fait savoir qu’ils avaient nommé un expert juridique indépendant pour étudier le dossier et qu’ils en attendaient les conclusions pour nous recevoir ", confie Lisa Tassi, responsable de la commission Entreprises.
Plus de huit mois après la signature des contrats, ces entreprises se préoccupent de déterminer la légalité ou non d’un chantier amorcé afin de pouvoir répondre aux nombreuses accusations portées contre elles, comme celle " de porter assistance à la pérennisation d’une situation illégale, créée en contravention de la quatrième Convention de Genève ". On les accuse aussi de " complicité de violation du droit international " ou encore de " business cynique ". Certaines associations comme France Palestine Solidarité ont demandé l’intervention du président de la République française, parlant d’une " réelle menace sur les perspectives de paix entre Israéliens et Palestiniens ". Rappelons qu’aux yeux de la justice internationale, Jérusalem-Est est toujours considérée comme " un territoire sous occupation étrangère ". Pour le ministre palestinien des Affaires étrangères, Nasser al-Qidwa, le fait qu’il s’agisse d’entreprises privées n’enlève rien à la responsabilité des autorités françaises, " La construction de cette ligne viole la législation humanitaire internationale mais aussi plusieurs résolutions du Conseil de sécurité, ce que le gouvernement français ne peut ignorer. Paris a l’obligation légale de s’assurer que ses citoyens respectent la loi internationale. "
Les craintes sont d’autant plus vives que les travaux de la ligne peuvent entraîner de nouvelles confiscations de terres palestiniennes. Pour Amnesty, le caractère illégal de cette construction ne fait aucun doute et c’est pourquoi la section française se mobilise. Le 3 février dernier, elle rencontrait le vice-président d’Alstom pour entamer le dialogue, s’appuyant notamment sur les principes du Global Impact, cette charte éthique initiée par les Nations unies à Davos en 1999 et qui demande aux entreprises de s’engager, entre autres, à respecter les droits humains.
D’autres sections européennes d’Amnesty se sont engagées à faire pression sur les filiales des deux groupes français dans leurs pays respectifs. L’affaire est désormais sur la place publique. Gageons que les deux entreprises françaises redouteront la sanction de cette opinion publique informée ; sans oublier celle des actionnaires, puisque toutes deux sont cotées en bourse.
Aurine Crémieu
Informations sur le projet
Un accord sur un projet de tramway a été signé le 17 juillet 2005 entre le gouvernement israélien et les entreprises ALSTOM et CONNEX (filiale de VEOLIA). Cet accord vise la réalisation et l’exploitation à Jérusalem d’une ligne de tramway dont le tracé a été dessiné dans le but de renforcer les liens existant entre Jérusalem-Ouest et les colonies israéliennes établies dans et autour de la ville.
Une partie de son trajet traverse Jérusalem Est, dont le statut est celui de « territoire sous occupation étrangère » et dont l’annexion par Israël n’est pas reconnue par la communauté internationale. Les colonies qui y ont été implantées par Israël sont illégales en droit international.
En renforçant la stabilité et l’attractivité des colonies dans et autour de Jérusalem-Est, la participation des 2 entreprises apporterait une assistance à la pérennisation d’une situation illégale, créée en contravention de la 4ème Convention de Genève, dont l’article 49 prohibe le transfert de la population de l’occupant en territoire occupé. De plus, un tel contrat, passé avec le gouvernement israélien pour un tronçon concernant Jérusalem-Est, aboutit à une reconnaissance de facto de l’annexion par Israël de cette partie de la ville.
Position du gouvernement français
Alors que l’accord signé le 17 juillet avait bénéficié d’un fort appui diplomatique français accordé aux deux entreprises, le gouvernement considère qu’il s’agit d’un contrat de droit privé obéissant à une logique commerciale et ne modifiant en rien la position bien connue de la France qui consiste à condamner la politique israélienne de colonisation et d’annexion.
A cet égard, on peut citer notamment :
L’interview donnée le 7 juin 2005 au Jérusalem Post par le Chef de la Mission Economique de l’Ambassade de France à Tel-Aviv : « Lorsque je suis arrivé fin 1999, je m’étais donné, en accord avec le ministère des Finances et le ministère des Affaires étrangères français, un certain nombre d’objectifs. [...] Je souhaitais surtout que les entreprises françaises soient présentes sur les grands projets d’infrastructures. [...] Pour s’en tenir au tangible et à ce qui est signé, on peut citer [...] la construction et l’exploitation du tramway de Jérusalem par ALSTOM et Connex. »
Les déclarations faites le 26 octobre 2005 par le porte parole du Ministère des affaires étrangères : « La participation d’entreprises françaises à la construction du tramway de Jérusalem s’inscrit dans le cadre d’un marché international qui obéit à une logique commerciale. Leur participation à cette construction n’emporte à nos yeux aucune conséquence sur le statut de Jérusalem-Est. Notre position reste inchangée sur la colonisation en Cisjordanie et autour de Jérusalem-Est, qui est contraire au droit international. »
Agissez
Ecrivez au Président de la République, Monsieur Jacques Chirac.
Vous pouvez recopier cette lettre et la déposer directement (copier-coller le texte) dans la messagerie du président de la République sur son site internet http://www.elysee.fr/ecrire/mail.htm .