PLP : A partir de quels éléments
et de quelles informations
avez-vous été alertés
sur ce dossier du tramway ?
Amnesty International France :
En 2005, nous avons été alertés
pratiquement en même temps
par trois sources : la commission
« Entreprises » d’Amnesty,
la Plateforme des ONG françaises
pour la Palestine, la section
suédoise d’Amnesty qui,
après avoir été alertée par l’Eglise
luthérienne de Jérusalem, en a
informé le secrétariat international.
C’est à partir de ces données
qu’AIF s’est emparée du
dossier et a décidé de prendre
contact avec les parties prenantes
(entreprises et gouvernement).
L’objet de ces consultations
portait sur le respect du
droit international et ses enjeux.
Nous avons été reçus par Alstom,
Connex/Veolia et le ministère
des Affaires étrangères.
PLP : Commençons par Alstom...
AIF : Nous avons été reçus
par un haut responsable. Celuici
a montré un
véritable embarras,
reconnaissant
le caractère
juridiquement
« précaire » -
c’est le terme utilisé- du dossier.
Il a semblé
découvrir au
cours de l’entretien
l’ampleur du
problème ainsi
que les enjeux juridiques et
éthiques attachés à ce contrat.
Il a admis que si le contrat était
jugé « illégal » par une instance
juridique, Alstom se retirerait.
Cependant Alstom ne se considère
pas jusqu’ici en situation
illégale et ne voit pas dans le
projet de violations des droits
humains. Par ailleurs, en tant
que fournisseur à court terme
(des rames), Alstom estime son
engagement moins important
que celui de Veolia qui est à long
terme. Cependant, Alstom reconnaît
l’importance stratégique de
ce projet pour l’ouverture des
marchés dans la zone, en particulier
pour le métro de Tel-Aviv.
Alstom se dit ouvert à un dialogue
politique, y compris avec
les Palestiniens. Faire quelque
chose avec les Palestiniens,
disent-ils, pourrait être une
manière de résoudre ce problème
bien que se pose la question
du financement.
PLP : Passons à Veolia-Connex.
AIF : Après une lettre demandant
un rendez-vous, Véolia en
a reporté la date car elle voulait
faire appel à un expert en droit
international pour une consultation
juridique
avant de nous
rencontrer.
Après cette
consultation,
nous avons
été reçus par
une délégation
importante
composée
des
directeurs juridique,
du projet,
du développement durable
et de la stratégie. Dès le début,
le directeur juridique a reconnu que le dossier était effectivement « fragile
» et que le professeur de droit international
consulté avait remis des conclusions
qui pouvaient aller dans le sens des
nôtres... Cependant la direction de Veolia
considère le projet comme un moyen
de développement pour la zone, Palestine
comprise. Veolia, étant désormais
engagée, entend assumer ses responsabilités
et espère bien trouver des solutions.
L’entreprise, qui commencera à
opérer en 2009 pour exploiter le tramway,
souhaite que le dialogue se poursuive
jusque là et espère ne pas être
l’objet d’une campagne militante d’ici là.
PLP : Quelles conclusions tirez-vous de ces
entretiens avec les deux entreprises ?
AIF : D’abord, il faut différencier Alstom
et Veolia car leur implication, leurs motivations
financières et leur volonté de
dialogue sont très différentes. Pour
Alstom, la production est en cours, la
phase de livraison proche, il semblerait
qu’un échec de ce projet représenterait
une perte financière importante,
ce qui a pas été évoqué
par Veolia. Dans les deux
cas cependant, ce projet est
perçu comme pouvant ouvrir
le marché local et régional. En
conclusion, il est certain que nous
devons maintenir notre travail de dialogue
et de dénonciation, c’est un projet
aux enjeux juridiques et géopolitiques
complexes sur lequel AIF est engagée
sur le long terme.
PLP : Et les rapports avec le ministère des
Affaires étrangères ?
AIF : Nous avons été reçus par le sousdirecteur
d’« Egypte-Levant ». En fait, le
gouvernement campe sur ses positions.
Il renvoie à la déclaration du porte-parole
du Quai d’Orsay d’octobre 2005 selon
laquelle le contrat est de droit privé et
relève d’une logique commerciale, ce
qui ne change rien à la position du gouvernement
français qui considère toujours
la colonisation comme illégale et qui
condamne l’annexion de territoires occupés.
Notre interlocuteur s’est montré
ferme sur le fait que la France n’est pas
responsable de ce contrat et de ses
conséquences ; et il a fait référence à
une étude juridique produite par le Quai
d’Orsay sur le sujet.
PLP : Avez-vous pris contact avec les syndicats ?
AIF : Du côté syndical, nous savions
la CGT déjà engagée et nous l’avons
rencontrée au cours de la conférence
de presse du Collectif national Palestine.
Par ailleurs, nous avons sollicité la
CFDT à plusieurs reprises. La réponse
a été dilatoire pour ne pas dire négative.
PLP : Et du côté d’Israël ?
AIF : Nous avons informé l’ambassade
d’Israël en France de nos démarches, en
lui faisant tenir copie de nos lettres aux
sociétés et au Quai d’Orsay. Nous n’avons
pas eu la moindre réaction de ce côté.
PLP : Normalement, les entreprises disposent
le plus souvent d’une sorte de code éthique
pour légitimer leurs investissements, en
particulier à l’extérieur de la France. Qu’en
est-il pour ces deux entreprises ? Leur avezvous
posé la question ?
AIF : Effectivement, nous avons interpellé
les entreprises au vu de leurs engagements
énoncés dans leur charte
éthique. Ainsi, Alstom stipule qu’« un
des traits marquants de la réputation
d’intégrité de la compagnie Alstom est
son respect, dans l’exercice de ses activités,
des lois, des réglementations et
autres obligations en vigueur, quel que
soit le pays où elle est implantée ». Au-delà
des chartes éthiques, nous avons,
auprès de Veolia, mis en avant leurs
engagements découlant de leur adhésion
au Global Compact (Pacte mondial) : en
1999, durant le Forum économique mondial
de Davos, Kofi Annan a proposé un
« pacte mondial » entre l’ONU et les
entreprises, ayant pour objectif d’ancrer
les marchés mondiaux à des valeurs et pratiques
indispensables
pour
répondre aux
besoins socioéconomiques.
Les entreprises
signataires
s’engagent à
respecter dix
principes, dont
deux spécifiques
aux droits humains ;
nous appelons donc Veolia à
respecter les principes 1 et 2 relatifs aux
droits humains. Enfin, même si ce texte
n’a pas de valeur juridiquement contraignante,
le projet de normes des Nations
unies sur la responsabilité juridique des
entreprises transnationales nous offre
une lecture tout à fait pertinente de ce
projet : « Les sociétés transnationales et
autres entreprises font preuve de la diligence
voulue pour veiller à ce que leurs
activités ne contribuent ni directement
ni indirectement à des violations des
droits humains et pour veiller à ne tirer
profit ni directement ni indirectement
des violations dont elles avaient ou
auraient dû avoir connaissance. » C’est
donc avant tout au regard du droit international
que se situe notre action, mais
elle se situe aussi sur la base des engagements
éthiques
pris par ces entreprises.
PLP : Comment qualifiez-vous l’enjeu juridique ?
AIF : Pour nous
le contrat en question équivaut à une
reconnaissance de facto de l’annexion ;
comme toute colonie est illégale, toute
infrastructure la renforçant est de ce fait
illégale. Les deux entreprises françaises
renforcent la stabilité et l’attractivité des
colonies, ce qui constitue une violation
caractérisée du droit. S’agissant du droit
applicable, nous nous référons particulièrement,
dans notre campagne, à la
quatrième convention de Genève qui
interdit le transfert et l’installation de
populations de la puissance occupante
dans les territoires occupés, à l’article
premier commun aux quatre conventions
qui invite fermement les Etats
signataires à respecter et faire respecter
leurs dispositions et aussi à la résolution
465 adoptée en 1980 par le Conseil
de sécurité des Nations unies, à l’unanimité
de ses membres, pour condamner
une fois de plus la colonisation des
territoires palestiniens occupés, Jérusalem
compris.
PLP : Quelles sont les modalités de votre
campagne ?
AIF : Cent trente groupes (soit un peu
plus d’un tiers) d’AIF travaillent en permanence
sur la crise du Proche-Orient.
Nous avons édité pour eux des cartes
postales à envoyer au président Chirac
et aux deux sociétés. Pour les trente
groupes qui sont affiliés à la commission
« Entreprises », une lettre spéciale
est destinée aux deux entreprises ainsi
qu’à la mairie de Jérusalem. Nous invitons
tous les groupes à entrer en contact
avec leurs parlementaires pour leur
demander d’interpeller le gouvernement.
Ils se chargent aussi d’informer la presse
locale.
Propos recueillis par Bernard
Ravenel et Christiane Gillmann