Les habitants palestiniens de Sheikh Jarrah ont eu très peu de raisons de se réjouir ces dernières années. Les mauvaises nouvelles ont continué à tomber en une série de coups consécutifs : une autre famille se voit signifier un avis d’expulsion ; un autre juge statue contre elle ; les colons ou la ville soumettent un autre plan de construction au profit des résidents juifs ; la police invente un nouveau moyen de disperser les protestations.
Lundi soir, le quartier de Jérusalem-Est a semblé différent pendant un instant, rempli de sourires, d’accolades et d’un sentiment de soulagement. Les habitants ont chanté et célébré avec des drapeaux palestiniens. Quelqu’un a distribué des baklavas, un autre a apporté un haut-parleur.
La bataille pour Sheikh Jarrah a été un long et épuisant conflit mené sur plusieurs fronts : les tribunaux, l’arène publique et diplomatique, et dans la rue contre les activistes de droite et la police.
Lundi, Sheikh Jarrah a bénéficié d’un léger répit. Mais ce répit ne profite pas seulement à Sheikh Jarrah. Avec la décision essentiellement technique du juge Gad Arenberg du tribunal de première instance de Jérusalem, c’est tout Jérusalem qui a obtenu un répit. On pouvait presque entendre le soupir de soulagement collectif des policiers de toute la ville, qui s’étaient préparés à une nouvelle série de violences et d’affrontements.
Le compte à rebours pour l’expulsion de la famille Salem devait commencer dans huit jours. De manière inquiétante, leur expulsion devait coïncider avec le mois sacré du Ramadan, qui commence début avril. Le Ramadan 2022 ressemblait beaucoup au Ramadan 2021.
De nouveau, des menaces d’expulsion ont été proférées à Sheikh Jarrah, de nouveau le législateur d’extrême droite Itamar Ben Gvir est arrivé dans le quartier pour semer le trouble, de nouveau le Hamas a proféré des menaces, et de nouveau les fêtes juives et musulmanes se sont alignées (l’année dernière, le ramadan a coïncidé avec le jour de l’indépendance, cette année avec la Pâque).
Tous les ingrédients d’un conflit avaient été versés dans le bol et n’attendaient que d’être remués. Au cours des dernières semaines, tous ceux qui connaissent un tant soit peu Jérusalem, à l’est comme à l’ouest, ont déploré l’arrivée du Ramadan et le risque d’une explosion de violence.
Si tout se passe comme prévu, la décision de lundi retardera l’expulsion au moins jusqu’après le Ramadan. Au moins un élément de tension a été supprimé. La police ayant annoncé qu’elle n’érigerait pas de postes de contrôle sur la place de la porte de Damas, comme elle l’avait fait l’année dernière, on peut espérer que Jérusalem a été épargnée d’un nouvel épisode de violence. Pour la Jérusalem de ces dernières années, cela ne va pas de soi.
Cependant, il est encore trop tôt pour se réjouir. À Jérusalem, selon la loi de Murphy, tout ce qui peut mal tourner tournera mal, et les motifs d’inquiétude sont nombreux. Le bureau parlementaire improvisé mis en place par Ben Gvir est une bombe qui n’a pas encore été désamorcée. Le bureau est toujours debout et la police a créé une sorte de zone stérile autour de lui, ne permettant l’entrée qu’aux résidents locaux, aux membres de la Knesset et aux journalistes.
Près du checkpoint, les frictions sont constantes entre les militants juifs de droite, les Palestiniens et la police. La situation pourrait se détériorer en un clin d’œil, et tout incident faisant des victimes pourrait la changer radicalement.
L’autre jour encore, des policiers ont été filmés en train de traîner de force Muhammad Ejloni, un jeune homme de 22 ans atteint de trisomie 21, qui comprenait à peine ce que les agents voulaient de lui. De l’autre côté de la vieille ville, dans les quartiers de Jabal Mukkaber et de Silwan, la tension monte rapidement alors que la ville prévoit de détruire des dizaines de structures construites sans permis. Sheikh Jarrah attend toujours la décision de la Cour suprême concernant l’expulsion de trois autres familles.
Personne n’a vidé le baril de poudre, mais l’allumette a été retirée de la scène, pour le moment. Nous la prenons.
Traduction : AFPS