Cependant, alors que, dans les médias étrangers surtout, le problème est focalisé sur le président Arafat, sur sa manière de diriger -particulièrement sa tendance à nommer qui il veut, tendance qui s’était manifestée bien avant l’avènement de l’Autorité palestinienne- la crise concerne avant tout l’administration de l’ANP, plus spécialement des finances publiques, et donc celle du Fatah, ainsi que sa direction et son avenir.
Depuis l’avènement de l’Autorité palestinienne le Fatah ne s’en est pas distingué, au point que pour nombre de gens ils sont virtuellement synonymes. Ainsi, quand des réformes étaient demandées à l’Autorité palestinienne, elles l’étaient aussi au Fatah. Ces demandes ont eu leur effet sur la base du Fatah.
Ces dernières années, on a vu les signes d’un mécontentement sans précédent dans les rangs du Fatah à propos de la situation actuelle et de l’Autorité palestinienne. Des tracts distribués au nom des " Membres honorables du Fatah " ont attaqué un certain nombre de dirigeants de l’AP et du Fatah, les accusant de corruption et leur promettant des mesures punitives.
Au conseil législatif, des membres du Fatah ont poussé à ne pas voter la confiance au gouvernement de Mahmud Abbas, ce qui a aggravé les divergences dans le mouvement jusqu’à ce que deux tendances émergent. La première critique globalement la politique d’Arafat, considérant qu’elle n’est plus efficace et qu’elle a contribué à la crise chez les Palestiniens. En font partie Mohammad Dahlan, Mahmud Abbas, Nabil Amer et des dirigeants du Fatah comme Samir Masharawi et Hussein El Sheikh. L’autre tendance est restée loyale à Arafat et défend sa politique. Elle comprend des gens comme Hani Hassan, Shaker Habash, Jibril Rajoub et Ahmad Hillis, le secrétaire du Fatah dans la bande de Gaza.
Des critiques explicites d’Arafat ont commencé à apparaÓtre dans les rangs du Fatah, surtout quand le mouvement a vu qu’il perdait du soutien populaire, qui se détournait vers le Hamas. Ces critiques révèlent dans quel dilemme se trouve le Fatah. D’un côté, il considère Arafat comme le symbole de la cause palestinienne et un exemple de sa persévérance. De plus, alors que le président était soumis à une tentative de liquidation politique, à l’isolement et à l’emprisonnement de fait à la Muqata’a aux mains d’Israëm et des Etats-Unis, personne ne voulait paraître complice. D’un autre côté, l’accord sur l’église de la Nativité [en avril 2002], qui a entraîné l’emprisonnement de Palestiniens sous contrôle international, de même que les rapports Mitchell, Tenet et Zinni ont été extrêmement impopulaires et ont donné l’image d’une Autorité palestinienne incapable de résister à la pression des Etats-Unis et d’Israël.
Le double problème du Fatah
Les divisions internes du Fatah ont commencé il y a longtemps mais elles ne se sont apparues au grand jour que depuis l’Intifada, avec l’isolement et l’enfermement d’Arafat et l’affaiblissement de l’AP, de ses institutions et de ses structures.
Comme d’autres épisodes de révolte dans les années d’Oslo, l’Intifada Al Aqsa a d’abord semblé ne pas devoir durer. Mais une fois qu’elle s’est transformée d’abord en résistance armée puis, quand les attaques-suicides ont commencé, des divergences d’opinion se sont manifestées entre la direction du Fatah sur le terrain et la direction politique. Les dirigeants sur le terrain considéraient qu’ils ne pouvaient pas renoncer à la résistance armée et qu’elle seule permettait à la capacité de négociation du Fatah de s’améliorer. La direction politique pensait quant à elle qu’il fallait mettre fin à la lutte armée et revenir aux négociations politiques et au processus de paix.
C’est alors que les Brigades des martyrs d’Al Aqsa sont apparues, qui disaient appartenir au Fatah bien qu’aucune déclaration officielle de la direction du mouvement n’ait été formulée à l’égard de ces groupes. Il était pourtant évident que les Brigades des Martyrs d’Al Aqsa étaient le facteur principal de la remontée du Fatah dans l’opinion, d’après les sondages. Pris entre la dureté de la situation politique et la dureté plus grande de l’occupation militaire, les Brigades en sont venues à être considérées comme un atout par tout le monde et tous ont commencé à se faire concurrence pour se les approprier.
Ainsi, pendant l’Intifada, le Fatah est-il apparu comme un mouvement divisé à différents niveaux. Il est divisé entre ceux qui veulent la réforme et ceux qui la rejettent. Il est divisé entre ceux qui appellent à continuer la lutte armée, ceux qui appellent à la résistance pacifique et ceux qui veulent arrÍter de résister.
Les récentes manifestations et protestations montrent le mécontentement qui existe dans le Fatah à propos du contrôle des services de sécurité et sur le front politique, la démission - puis le retrait - du premier ministre Ahmad Qurei révèle la crise de confiance dans la direction politique. Ce gouvernement, comme d’autres avant lui, n’a jamais reçu de large soutien de la population, même pas de l’intérieur du Fatah lui mÍme.
Le déficit de confiance dans les gouvernements palestiniens remonte à la décision énergique du président Arafat en 1997 quand il ordonna la publication du rapport de la Commission palestinienne de surveillance sur la corruption dans cinq ministères palestiniens. Un an après la sortie du rapport, Arafat décida d’opérer des changements dans les ministères. Mais, au lieu de faire sortir les cinq ministres du gouvernement, il décida d’y faire entrer les membres de la commission qui avaient découvert la corruption. Dans une démarche sans précédent, Arafat fit entrer un tiers du Conseil législatif dans le gouvernement. Le Conseil a ainsi perdu la crédibilité qu’il avait en tant que mécanisme de contrôle. Au lieu d’un rôle de surveillance, ses réunions se sont transformées en réunions ministérielles élargies.
Dahlan, le joueur invisible
Il n’est pas juste d’attribuer à Arafat seul les faiblesses internes du Fatah. Des milliers de gens ont fait et font partie du système. Il reste pourtant une partie significative du Fatah - d’anciens militants de terrain et d’anciens prisonniers sortis des geôles israéliennes - qui tentent encore de se libérer de la tradition d’autocratie en place depuis des années et de la paralysie interne apparue au vu de l’occupation israélienne et de la force grandissante du Hamas. Ce secteur pense qu’il est temps d’arrêter d’accuser l’occupation israélienne de toutes nos faiblesses. Ces gens n’attaquent pas directement Arafat mais parlent de son entourage, de ses conseillers et de la vielle garde, qui ont conservé leurs postes depuis des années, sans élections, et qui sont les plus rétifs au changement.
Nombre d’analystes ont attribué la responsabilité des récents événements à Mohammad Dahlan, l’ancien ministre de l’Intérieur, sans qu’il y ait suffisamment de preuves. Ces analystes pensent que les gens qui appellent à des réformes internes à Gaza sont affiliés à Dahlan et aux secteurs de la sécurité préventive. Ces quatre dernières années, Dahlan s’est construit une force solide dans le Fatah et à Gaza. Il a réussi à contrer les accusations portées contre lui. Celles-ci proviennent de ses contacts et relations en Israël et à l’étranger ainsi que du fait qu’il n’est pas sur la liste des " personnes les plus recherchées " par Israël, alors qu’Israël continue d’affirmer que les armes du Fatah dans la bande de Gaza viennent des services de sécurité préventive.
Dahlan semble croire que son lieu d’expression principal est l’organisation du Fatah. Selon le quotidien israélien Maariv, certains cercles politiques palestiniens pensent que les récents événements sont un message clair de Dahlan, que c’est lui qui détient le plus de pouvoir à Gaza. Selon des sources du Fatah, 70% des membres du Fatah à Gaza seraient loyaux à Dahlan, dont la majorité sont des dirigeants politiques et de la sécurité, en plus des Brigades Al Aqsa et des comités de résistance populaire.
Il semble que la plupart des partisans des réformes les plus en vue au Fatah et dans l’OLP aient donné leur confiance à Dahlan. Ceux-ci semblent convaincus qu’on ne peut s’opposer à la force de la vieille garde qu’avec la force de quelqu’un comme Dahlan. Ils assurent que, contrairement à la vieille garde, Dahlan tient compte des critiques, qu’il montre de l’intérêt pour ceux qui le soutiennent et qu’il n’est pas éloigné de la base comme la direction qui vient de Tunis.
Jusqu’à maintenant pourtant, Dahlan ne dispose pas d’autant de soutien en Cisjordanie qu’à Gaza. Cependant, des voix à l’intérieur du Fatah sont favorables à ce qu’il accède au pouvoir si cela peut faire partir ou au moins affaiblir la vieille garde.
Une porte de sortie
Si le remplacement de quelques personnalités dans l’Autorité palestinienne peut servir à détendre la situation pour le moment, il semble que, sur le long terme, l’AP n’ait d’autre choix qu’un programme de réforme général. Le Fatah, où s’expriment ceux qui appellent à des réformes de l’Autorité, manque pourtant d’un programme clair à cet effet et, tant qu’un tel programme n’émergera pas, il risque de n’y avoir que peu de changement. Les cadres du Fatah en sont conscients. Ils savent que, tant qu’il en sera ainsi, les appels à un gouvernement d’unité nationale comprenant toutes les factions prendront plus d’ampleur. A ce propos, les opinions divergent à l’intérieur du Fatah. Cette idée a été reçue avec plus d’empressement dans la bande de Gaza qu’en Cisjordanie où Arafat y a prêté peu d’attention.
De nombreux analystes jugent qu’Arafat tire traditionnellement sa force des divisions de ceux qu’il dirige, tirant l’un puis l’autre dans son camp avant de s’en éloigner , conservant ainsi la loyauté de beaucoup d’entre eux, l’incertitude de la plupart, et se donnant ainsi les moyens de rester le centre du pouvoir. La question que posent les récents événements est de savoir si les divisions internes du Fatah sont maintenant si graves que même le génie d’Arafat pour toujours ramener les gens à lui ne pourra pas en venir à bout.
Texte écrit le 28 juillet 2004.