Photo : Novembre 2023, opération de recherche et de sauvetage dans les décombres d’un bâtiment effondré © UNRWA photo
"Plus d’un million de personnes sont concentrées à Rafah, après avoir fui d’autres parties de Gaza. Elles manquent cruellement des nécessités de base de la vie, qu’il s’agisse de nourriture, d’eau ou d’assainissement, et la menace de maladies dépasse tout ce que nous avons vu dans les conflits des dernières décennies dans le monde, aussi graves qu’aient été ces conflits", a expliqué Balakrishnan Rajagopal, rapporteur spécial de l’ONU sur le droit au logement. "Il n’y a jamais eu de situation où une population n’a même pas été autorisée à fuir."
M. Rajagopal a souligné que même Israël ne sait pas où ces personnes sont censées aller, rappelant de nombreuses déclarations de sources israéliennes indiquant "un désir de les expulser entièrement de Gaza".
Faisant état d’allégations sérieuses selon lesquelles de hauts fonctionnaires israéliens et d’autres dirigeants prévoient d’éliminer la population palestinienne de Gaza, M. Rajagopal a souligné que ces allégations, considérées par certains comme des "divagations de personnes aléatoires en Israël", ne peuvent être ignorées.
"Malheureusement, tout ce que nous pensions impossible devient de plus en plus possible. Nous devons juger les actions d’Israël non pas en fonction de ce qu’ils disent, mais en fonction de ce qui se passe réellement. Ce qui se passe, c’est que les gens ont été déplacés à plusieurs reprises et qu’ils ont été concentrés à Rafah. Ils sont bombardés maintenant".
Soulignant que les rapporteurs de l’ONU ont rédigé de nombreux rapports sur la dimension "génocidaire" des attaques israéliennes à Gaza, M. Rajagopal a fait remarquer qu’ils avaient mentionné un "risque sérieux de génocide" dans leur rapport initial. Il a ajouté qu’ils avaient publié un autre rapport qui incluait la possibilité d’actes génocidaires en cours, déclarant : "Depuis lors, nous avons confirmé ce fait. Ce qui se passe à Gaza constitue un génocide".
Commentant l’affaire de génocide portée contre Israël devant la Cour internationale de justice (CIJ), M. Rajagopal a déclaré que la décision provisoire de la plus haute juridiction des Nations unies était que l’Afrique du Sud, qui avait porté plainte, avait "largement raison" dans sa requête. "Les actions entreprises par Israël pour créer les conditions dans lesquelles Gaza devient inhabitable pour la population qui y vit constituent, à mon avis, des actes de génocide, sans aucun doute.
Comparant la situation à Gaza à la guerre de Bosnie des années 1990, M. Rajagopal a souligné que la CIJ avait également jugé que le massacre de Bosniaques musulmans par les forces serbes à Srebrenica avait également constitué un génocide. "Pendant la guerre de Bosnie, dans l’ex-Yougoslavie, et dans ce conflit, environ 8 000 à 9 000 personnes ont été tuées. S’il s’agit d’un génocide, j’ai du mal à croire que ce qui se passe à Gaza n’est pas un génocide".
Les attaques israéliennes ont tué plus de 28 000 Palestiniens dans la bande de Gaza, principalement des femmes et des enfants.
Le fait de mettre l’accent sur la question de Gaza, a déclaré le rapporteur spécial, représente un "échec complet" de la communauté internationale. Le mécanisme d’action collective est complètement gelé et la communauté internationale n’a rien fait.
"Le Conseil de sécurité ou l’Assemblée générale des Nations unies ont adopté des résolutions très faibles qui n’ont pas été mises en œuvre. Même de manière formelle, l’arrêt de la Cour internationale de justice, bien que moralement et symboliquement important, n’a rien ordonné de concret qui ait conduit à des actions ou à des inactions spécifiques de la part d’Israël.
"Fondamentalement, sur le plan institutionnel, je pense que le monde a échoué. Il a échoué à Gaza. Et une fois de plus, Israël a montré qu’il était protégé par ce que j’appelle une impunité institutionnalisée. Israël semble être protégé quelle que soit la transgression.
Soulignant que de nombreux bâtiments ont été détruits à Gaza à la suite des attaques, M. Rajagopal a déclaré que les évaluations basées sur des données satellitaires et des rapports de terrain montrent que plus de 70 % des maisons à Gaza ont été détruites ou gravement endommagées, et rendues inutilisables. Il a ajouté que les données concernant des zones telles que Khan Younis, dans le sud de la bande de Gaza, indiquent que 82 à 84 % de ces zones pourraient avoir été complètement anéanties.
"Nous parlons d’un très vaste niveau de destruction, du genre de ceux que nous n’avons pas vus dans d’autres conflits, comme par exemple à Mariupol, qui a été la ville la plus gravement détruite par les bombardements russes en Ukraine, ou par les conflits en Syrie."
M. Rajagopal a souligné que les maisons à Gaza n’ont pas seulement été détruites par des bombardements ou des attaques à l’artillerie lourde, mais aussi par les forces israéliennes qui se sont déplacées dans les zones bombardées et ont détruit des maisons et des bâtiments publics.
Il a souligné que la reconstruction de Gaza sera extrêmement difficile et nécessitera des années d’efforts soutenus, établissant un parallèle avec la reconstruction d’autres pays détruits lors de conflits.
"Je me demande combien de temps il faudra pour déblayer les décombres à Gaza. La reconstruction de Rotterdam a pris près de vingt ans. Soit dit en passant, c’était dans des conditions idéales, c’est-à-dire que nous étions prêts à investir beaucoup, beaucoup de ressources et de temps pour reconstruire la ville.
"La deuxième chose est plus importante : il faut s’assurer que les conditions d’une paix durable dans la région sont réunies avant que la reconstruction puisse réellement avoir lieu. Sinon, il n’est pas possible de s’attendre à ce que la reconstruction progresse de manière significative", a-t-il conclu.
Traduction : AFPS