Ils crieraient au scandale, bien sûr.
Comment réagissent les États-Unis à une déclaration israélienne qu’Israël ne négociera pas avec un gouvernement palestinien qui comprend le Hamas ?
Ils approuvent sans réserve, naturellement.
POUR QUICONQUE est intéressé à la paix israélo-palestinienne, la perspective d’une réconciliation nationale palestinienne est une bonne nouvelle.
Cela fait maintenant des années que nous entendons des porte-paroles israéliens déclarer qu’il ne sert à rien de faire la paix avec la moitié du peuple palestinien en poursuivant la guerre avec l’autre moitié. Mahmoud Abbas est un poulet déplumé comme l’a dit avec délicatesse Ariel Sharon. C’est le Hamas qui compte. Et le Hamas projette un second Holocauste.
Selon le récent accord de réconciliation palestinien, le Hamas s’est maintenant engagé à soutenir un gouvernement composé d’experts, commun à tous les Palestiniens, agréé par les deux parties. Le gouvernement israélien d’extrême droite est furieux. Il ne négociera jamais, jamais, jamais avec un gouvernement palestinien soutenu par le Hamas.
Le Hamas doit d’abord reconnaître Israël, arrêter toutes ses actions terroristes et s’engager à respecter tous les accords signés par l’OLP.
C’est d’accord, déclare Abbas. Le prochain gouvernement sera désigné par moi et il remplira l’ensemble de ces trois conditions.
Ce n’est pas suffisant, déclare le porte-parole de Nétanyahou. Le Hamas lui-même doit accepter les trois conditions, avant que nous traitions avec un gouvernement soutenu par le Hamas.
Abbas pourrait répondre sur le même ton. Avant de traiter avec le gouvernement de Nétanyahou, pourrait-il dire, toutes les factions du gouvernement israélien doivent déclarer leur soutien à la Solution à deux États, comme l’a fait Nétanyahou (une fois, dans son discours dit de Bar-Ilan). Au moins deux partis, le “Foyer Juif” de Naftali Bennett et “Israël notre Foyer” d’Avigdor Lieberman, comme une grande partie du Likoud refuseraient de le faire.
On peut imaginer une cérémonie à la Knesset au cours de laquelle chaque membre du gouvernement se lèverait pour déclarer : “Je jure ici solennellement d’apporter mon soutien total et sincère à la création de l’État de Palestine à côté de l’État d’Israël !” Le Messie arrivera avant cela.
Naturellement, tout cela n’est que théorie. La position particulière de partis ou de ministres est sans importance. C’est la politique du gouvernement qui compte. Si le prochain gouvernement palestinien reconnaît Israël, renonce à la violence et respecte tous les accords précédents cela devrait suffire.
POURQUOI l’accord de réconciliation palestinien est-il une bonne nouvelle pour la paix ?
Avant tout, parce que l’on fait la paix avec l’ensemble d’une nation, pas avec une seule moitié. Une paix avec l’OLP, sans le Hamas, serait inefficace dès le départ. Le Hamas pourrait la saboter à tout moment par des actes de violence (qualifiés aussi de terrorisme).
Ensuite, parce qu’en rejoignant l’OLP et en fin de compte le gouvernement palestinien, le Hamas accepte en pratique la politique de l’OLP qui a depuis longtemps reconnu l’État d’Israël et le partage de la Palestine historique.
On devrait se rappeler qu’avant les Accords d’Oslo l’OLP elle-même était officiellement qualifiée par Israël (et les États-Unis) d’organisation terroriste. À l’époque de la signature sur la pelouse de la Maison Blanche, la charte de l’OLP était encore en vigueur. Elle appelait à la destruction de l’État illégal d’Israël et au retour de pratiquement tous ses citoyens dans leurs pays d’origine.
Pendant de nombreuses années, cette charte fut dénoncée par les politiciens et les intellectuels israéliens comme un obstacle insurmontable à la paix.
Ce n’est qu’après l’entrée en vigueur des Accords d’Oslo que le Conseil National de l’OLP abolit ces clauses au cours d’une cérémonie festive à laquelle assista le Président Bill Clinton.
Le Hamas a une charte semblable. Elle aussi sera modifiée lorsque le Hamas aura rejoint le gouvernement.
L’une des ironies de l’histoire se trouve dans le fait que, dans le passé, Israël a secrètement soutenu le Hamas contre l’OLP. Alors que toute activité politique palestinienne dans les territoires occupés était interdite, les activités du Hamas dans les mosquées étaient autorisées.
J’avais demandé un jour à un ancien chef du Shin Bet s’il avait créé le Hamas. Sa réponse fut : “Nous ne l’avons pas créé, nous l’avons toléré.”
La raison en était qu’à l’époque l’OLP de Yasser Arafat était considérée comme l’ennemi. Arafat lui-même était constamment diabolisé comme le “Second Hitler”. Quiconque combattait Arafat était considéré comme un allié. Cette attitude a continué à prévaloir encore une année après l’explosion de la première intifada, jusqu’à ce que le Shin Bet réalise que le Hamas était beaucoup plus dangereux que l’OLP et qu’il commence à emprisonner (et plus tard à assassiner) ses dirigeants.
A présent, une situation de cessez-le-feu tacite (tahdiya ou “tranquillité”) prévaut entre Israël et le Hamas. Il est clair que le Hamas estime que son ambition d’être l’un des deux principaux partis politiques palestiniens est plus importante que la “lutte violente” contre Israël. Son objectif principal est d’accéder au pouvoir dans le futur État palestinien en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Comme tant d’anciennes organisations de libération dans le monde, dont le Likoud de Begin, il est en train de se transformer, d’une organisation terroriste en un parti politique.
COMME ON POUVAIT le prévoir, les États-Unis ont emboité le pas et pleinement adopté la ligne israélienne. Ils ont menacé l’Autorité Palestinienne de ce qui revient à une déclaration de guerre si l’accord de réconciliation était mis à exécution.
L’initiative de paix américaine est arrivée dans un cul-de-sac. Toute la vérité sur la question peut et doit maintenant être dite.
Elle était vouée à l’échec avant même de commencer. Il n’y avait pas la moindre chance qu’elle porte ses fruits.
Avant que les faits ne disparaissent sous une avalanche de propagande, établissons clairement la façon dont cela s’est terminé : pas du fait de l’adhésion de Abbas à des organisations internationales, pas du fait de la réconciliation palestinienne, mais du fait du refus de Nétanyahou de tenir un engagement solennel et catégorique : la libération de certains prisonniers palestiniens à une date donnée.
La libération de prisonniers est une affaire extrêmement sensible pour les Palestiniens. Il s’agit d’êtres humains et de leurs familles. Ces prisonniers là, dont certains sont citoyens israéliens, sont en prison depuis au moins 21 ans. Nétanyahou n’a tout simplement pas eu la force de caractère de tenir sa promesse et d’affronter une campagne sauvage de provocation lancée par l’extrême droite.
Il a préféré mettre fin aux “négociations”.
LA PRESTATION de John Kerry ne peut être qualifiée que de pitoyable.
Elle a commencé par la désignation de Martin Indyck comme manager des négociations. Indyck a travaillé comme employé de l’AIPAC, principal lobby de la droite israélienne aux États-Unis. La tâche principale de l’AIPAC consiste à terroriser le Congrès américain, dont les membres – sénateurs et députés à la Chambre des Représentants – tremblent à la seule vue de ses agents.
Placer ce genre de personne en position de médiateur impartial entre Israël et les Palestiniens était de la pure provocation. C’était dire d’entrée aux Palestiniens ce qu’il y avait au programme.
La seconde action de provocation consistait à engager les pourparlers sans avoir d’abord obtenu de Nétanyahou une liste des concessions qu’il était disposé à faire. D’un bout à l’autre, la partie israélienne a refusé de présenter une carte des frontières qu’elle proposait, même après que la partie palestinienne a présenté sa propre carte.
Ce jeu s’est poursuivi pendant neuf mois, au cours desquels on n’a pas avancé d’un pouce. Les parties se rencontraient et parlaient, parlaient et se rencontraient. À part l’exigence ridicule de Nétanyahou que les Palestiniens reconnaissent Israël comme “l’État-Nation du Peuple Juif”, il n’y avait rien sur la table.
Tzipi Livni, une politicienne d’importance tout à fait mineure, s’est prélassée sous les feux de la scène internationale, et aurait aimé continuer éternellement sans aboutir à quoi que ce soit.
Les représentants palestiniens souhaitaient aussi poursuivre, même sans objectif, afin de faire passer le temps sans explosion interne.
Tout l’exercice tournait autour d’une seule et simple question : le Président Obama était-il prêt à faire face à l’assaut des forces réunies de l’AIPAC, du Sénat, de la Chambre des Représentants, des Républicains, des Évangéliques, de l’establishment juif de droite et de la machine de propagande israélienne ?
Si la réponse était non, Kerry n’aurait même pas dû commencer.
CETTE SEMAINE, lors d’une rencontre privée, Kerry a affirmé une évidence : si Israël poursuit dans sa politique actuelle, il deviendra un État d’apartheid.
Il n’y a là rien de révolutionnaire. L’ancien président Carter utilisa le terme dans le titre de son livre. En Israël, les commentateurs indépendants et de gauche le font tous les jours. Mais à Washington DC cela a déclenché une tempête.
L’infortuné Kerry a couru présenter ses excuses. Ce n’était pas ce qu’il voulait dire, bien évidemment ! Le Secrétaire d’État des puissants États-Unis a imploré le pardon du petit Israël.
Et c’est ainsi que la pièce atteignit son dénouement honteux au son d’un accord lugubre s’estompant lentement.