Plus d’une vingtaine de réfugiés palestiniens, pour la plupart originaires du camp de Nahr al-Bared, dans le nord du Liban, figurent parmi la centaine de personnes décédées après qu’un bateau rempli de demandeurs d’asile se dirigeant vers l’Italie a chaviré au large des côtes syriennes la semaine dernière.
Alors qu’un passeur aurait été arrêté par les autorités libanaises pour son rôle dans cette tragédie, les responsables de la création de la situation désastreuse à laquelle les réfugiés palestiniens et les autres passagers cherchaient à échapper sont nombreux.
Parmi les 24 enfants qui auraient péri se trouvaient deux étudiants qui fréquentaient des écoles gérées par l’UNRWA, l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens, selon un porte-parole de cette agence.
Entre 120 et 170 personnes se trouvaient à bord du bateau, qui a pris la mer depuis Tripoli, dans le nord du Liban. La plupart d’entre elles étaient syriennes, libanaises et palestiniennes.
Vingt personnes ont survécu et d’autres sont toujours portées disparues, selon les médias d’État syriens.
"L’enfer"
"La situation des réfugiés palestiniens au Liban atteint un tel niveau de désespoir qu’ils sont prêts à risquer leur vie sur ces routes périlleuses s’il y a de l’espoir de l’autre côté", a déclaré à Al Jazeera Tamara Alrifai, porte-parole de l’UNRWA.
"Et l’autre côté semble toujours meilleur que ce que beaucoup d’entre eux décrivent comme l’enfer", a ajouté Alrifai.
Les réfugiés palestiniens au Liban sont "marginalisés, privés de leurs droits, empêchés de posséder des biens, empêchés d’exercer une profession et l’effondrement économique et financier du Liban, en particulier l’année dernière, a touché en premier lieu les plus vulnérables", a-t-elle déclaré.
"Les réfugiés palestiniens sont parmi les plus vulnérables, d’autant plus qu’à part l’UNRWA, ils n’ont personne pour s’occuper d’eux", selon Mme Alrifai.
Or, l’UNRWA connaît une crise financière aiguë depuis une dizaine d’années. Sans l’UNRWA, qui assure la scolarisation et les services de santé essentiels, les réfugiés palestiniens perdront un dernier vestige de stabilité et de normalité, a averti M. Alrifai.
Des millions de Palestiniens, y compris ceux qui vivent au Liban, sont restés réfugiés pendant des décennies après la dépossession de la Palestine en 1948.
La loi israélienne accorde aux Juifs un droit exclusif d’entrer dans le pays et de recevoir la citoyenneté. Dans le même temps, Israël refuse aux réfugiés palestiniens et aux personnes déplacées à l’intérieur du pays le droit au retour, pourtant prévu par le droit international.
#Palestinian refugees in #Lebanon face discrimination in almost every aspect of their lives, including access to health, education and employment.
They are living in forced exile and denied their right to return to their homelands by Israel : https://t.co/ovNjc4pNAK pic.twitter.com/s4XomwjFzZ
— Medical Aid for Palestinians (@MedicalAidPal) September 26, 2022
Comme l’explique Amnesty International, "depuis sa création en 1948, Israël a poursuivi une politique visant à établir puis à maintenir une majorité démographique juive, et à maximiser le contrôle des terres et des ressources au profit des Israéliens juifs."
Ainsi, dans la poursuite du système d’apartheid d’Israël au service de sa colonisation des terres palestiniennes, les réfugiés palestiniens sont abandonnés aux "limbes perpétuelles du déplacement forcé", selon Amnesty.
"Poussés au bord du gouffre"
Quelque 27 000 Palestiniens ont été déplacés de force de Nahr al-Bared lorsque celui-ci a été détruit pendant et après les combats entre l’armée libanaise et un groupe salafiste qui avait infiltré le camp en 2007.
Environ 20 % des personnes déplacées restent déracinées et les déplacements vers et depuis le camp sont contrôlés par l’armée libanaise, ce qui limite la reprise économique.
Le camp a également accueilli des réfugiés palestiniens déplacés pendant la guerre en Syrie, ainsi que quelques dizaines de familles syriennes, selon l’UNRWA.
En raison de la diminution du soutien des donateurs, cette agence a été contrainte de réduire ses services face à l’augmentation des besoins due à l’aggravation des crises à Gaza, en Syrie et au Liban.
"Nous appelons à la pleine solidarité de la communauté internationale pour aider à améliorer les conditions des personnes déplacées de force et des communautés d’accueil au Moyen-Orient, en particulier dans les pays voisins de la Syrie", a déclaré Filipo Grandi, le haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés, après le chavirement mortel de la semaine dernière.
"Trop de gens sont poussés au bord du gouffre", a-t-il ajouté.
La solidarité inconstante de la soi-disant communauté internationale n’est pas le seul facteur contribuant à la détérioration des conditions des réfugiés palestiniens.
En plus d’avoir interdit aux réfugiés palestiniens d’exercer leurs droits pendant des décennies, Israël et ses partisans aux États-Unis ont attaqué l’UNRWA et son mandat. Ce faisant, ils espèrent redéfinir le statut des réfugiés palestiniens afin que leur sort ne soit plus une question en suspens.
Si la crise économique au Liban a touché tous ceux qui vivent dans ce pays - le taux de pauvreté a presque doublé, passant de 42 % en 2019 à 81 % en 2021 - elle a frappé encore plus durement les réfugiés palestiniens, qui ne peuvent pas posséder de biens ni exercer de nombreuses professions.
"Les réfugiés que j’ai rencontrés sont totalement désespérés et luttent pour couvrir leurs besoins de base", a déclaré Phillippe Lazzarini, le chef de l’UNRWA, en décembre dernier après avoir visité le pays.
"J’ai rencontré de jeunes diplômés dont le seul espoir d’un avenir meilleur est d’émigrer. Ils connaissent les prix de chaque route migratoire", a-t-il ajouté.
Et sans la moindre lueur d’espoir d’un avenir sûr, le coût pour ceux qui cherchent une vie dans la dignité augmentera de manière insupportable.
Traduction et mise en page : AFPS / DD