Entretien avec Elias Atallah (*)
“Un conflit fondamental entre la légitimité élue et le fait accompli sur le terrain”
Pour Elias Atallah, le paysage politique libanais
est marqué par la division entre le « Mouvement
du 14 mars », issu du « printemps libanais » et
le « Mouvement du 8 mars », qu’il décrit comme composé
des amis du régime syrien. Autour de Fouad
Siniora, le gouvernement se compose en majorité
des principales forces issues du « Mouvement du 14
mars » ; il comporte deux ministres du Hezbollah.
Elias Atallah rappelle le conflit opposant le régime
syrien (et les forces qui le soutiennent) à ceux qui
défendent le projet de formation d’un tribunal international
pour juger les responsables (non identifiés)
de l’assassinat de Rafic Hariri ; la gauche démocratique
considère qu’il s’agit du régime syrien mais
aussi du président libanais Emile Lahoud, ainsi que
de quatre officiers actuellement emprisonnés. « Le
régime syrien a très peur du tribunal, sur lequel un
protocole devrait être signé en décembre entre le
gouvernement et le Conseil de sécurité. »
Les enjeux du dialogue national
Le « Dialogue national » s’est interrompu depuis
l’enlèvement des deux soldats israéliens. Il avait
abouti, dit-il, à un consensus sur le principe du « Tribunal
international », sur les « relations naturelles »
avec la Syrie et sur les fermes de Cheba’a. Un consensus
existe aussi, poursuit-il, pour éliminer les armements
palestiniens hors des camps de réfugiés (trois
à quatre bases militaires dépendant, précise-t-il, de
forces palestiniennes pro-syriennes, comme celle de
Jibril Abou Moussa). Concernant les camps de réfugiés,
il se prononce en faveur d’une solution à définir
avec le représentant palestinien Abbas Kassis,
susceptible de garantir les droits civiques à l’exception
du droit de vote et de la nationalité. Elias Atallah
estime que les liens du Hezbollah avec les forces
palestiniennes sont surtout idéologiques. Pour la
Gauche démocratique, « il ne faut pas isoler le pouvoir
palestinien, le Hamas de l’intérieur peut se développer
dans une direction positive, en lien avec Abu
Mazen. »
Un conflit de légitimité
Elias Atallah met en exergue deux points de divergence
avec le Mouvement du 8 mars : le sort du président,
que la Gauche démocratique considère comme
« non légitime », et le dossier des armes du Hezbollah.
Selon lui, « il s’agit d’un parti politique, une force
politique disposant d’une milice armée qui refuse de
s’intégrer dans le tissu de l’Etat ».
Des points d’accord existent entre les deux camps,
mais leurs comportements sont différents, assure-til.
Pour lui, l’opération militaire du Hezbollah à ce
moment précis a renforcé ses objectifs spécifiques
et ceux de ses alliés. Il évoque « une sorte de schizophrénie
» entre le “dialogue national” et ce qui se
passe sur le terrain. Pour des raisons à la fois idéologiques,
militaires et financières, le Hezbollah est très
conditionné par ses alliés, en particulier l’Iran. Nous
avons été méfiants sur cette opération militaire -en
rupture avec le passé- car elle est dangereuse. Le
Hezbollah souhaite une situation déstabilisée pour
conserver son potentiel d’armes, éviter la mise en place
du Tribunal international et donner du temps à l’Iran
face au mécontentement de la communauté internationale
sur le nucléaire », ajoute-t-il. Selon lui, « les
masses de Gaza, de leur côté, ne considèrent pas
cette action comme une aide. La guerre menée par
Hezbollah l’est pour la “nation” mais laquelle : la
nation “arabe”, “musulmane” ou “chi’ite” ? Pas forcément
la nation libanaise, encore moins palestinienne.
»
Il souligne que la Résistance libanaise est née avant
le Hezbollah et que, de 1982 à 1988, celui-ci ne
jouait encore qu’un petit rôle. « Après 1988, ajoutet-
il, la Syrie a perpétré des massacres alors qu’on nous
avait demandé d’être liés à la direction syrienne. A
ce moment-là, les Syriens ont décidé de renforcer la
résistance islamique dans le milieu chi’ite. Depuis, le
Hezbollah refuse de céder ses armes. Quant aux
fermes de Cheba’a, elles étaient depuis 1963 sous
souveraineté syrienne sans que personne ne demande
la souveraineté libanaise. Mais nous voulons qu’elles
soient sous souveraineté libanaise. Notamment pour
ses habitants libanais. Pour le moment les Syriens refusent
de prendre position. C’est un « ni oui ni non ».
Quelle résistance face à Israël ? « En fait, commentet-
il, nous sommes face à un conflit fondamental entre
la légitimité élue et le fait accompli sur le terrain. On
connaît la criminalité d’Israël depuis 1969. Et c’est
un ennemi dans notre Constitution. Le problème
consiste à savoir qui prend les décisions d’action dans
un conflit militaire avec l’ennemi : un parti ou un gouvernement
légitime ? Or nous n’avons pas la force
d’empêcher le Hezbollah de jouer un rôle à la place
du pouvoir. » Pour autant, poursuit-il, « il faut tout
faire pour éviter la guerre civile. »
Les exigences de la Gauche démocratique
Elias Atallah, tandis que le Liban était encore sous le
feu israélien, résumait les exigences de la Gauche démocratique
en quatre points : un cessez-le-feu immédiat,
le retrait du Liban des troupes israéliennes, la
libération des prisonniers, la mise en place d’une
force internationale de sécurité selon le chapitre VII
des Nations unies.
Beyrouth, le 1er août 2006
Propos recueillis par Bernard Ravenel.