Fadi Deeb a 40 ans. Il est originaire de la bande de Gaza qu’il a quittée il y a 8 ans.
« Si la souffrance du peuple palestinien remonte à 76 ans, les 16 dernières années ont été les plus dures et les plus contrôlées par le blocus. Ce moyen par lequel les Israéliens essayent de détruire nos rêves, nos ambitions, notre avenir et de nous faire fuir Gaza ».
Pouvez-vous nous décrire comment vous viviez à Gaza ?
Fadi Deeb : Je suis originaire de Shujaiyya. J’y ai passé ma vie scolaire et universitaire.
Depuis mon enfance, je vivais sous blocus, sous les bombardements et les guerres incessantes.
Économiquement, géographiquement comme au niveau sécuritaire, tout Gazaoui est sous la menace des tueries puisqu’il n’y a jamais d’endroit sûr. Depuis toujours on savait que notre vie était menacée, qu’on pouvait être tué à n’importe quel moment, être la cible de tirs susceptibles de nous rendre infirme. Les divergences politiques internes compliquent aussi la vie.
Dans ma famille, les conditions de vie étaient moyennes. Le travail est la façon d’avoir une vie digne. Mes parents étaient couturiers. Pendant les vacances scolaires, avant mon handicap, je travaillais dans le bâtiment.
Aujourd’hui, j’ai toujours de la famille à Gaza : frères et sœurs, tantes et oncles, cousins… Mais j’ai perdu mon frère, quatre cousins et en plus 17 membres. Deux, trois fois par semaine j’arrive difficilement à avoir des nouvelles pendant quelques minutes.
Du fait de la guerre les familles qui vivent sous les tentes, sans hygiène, sans eau, avec peu de nourriture, se séparent afin qu’elles ne soient pas entièrement décimées dans l’espoir qu’une partie puisse la prolonger. À n’importe quel moment on peut être bombardé.
Vous vivez actuellement en France. Comment s’est passé votre parcours depuis Gaza ?
F. D. : J’ai quitté Gaza en 2016. Après de nombreuses difficultés j’ai pu obtenir un visa touristique, à la recherche d’un endroit sûr, pour essayer de penser à l’avenir.
Je suis parti par Rafah, coté égyptien. Ce fut un périple très dur et éprouvant. Finalement il s’est écoulé un an et demi entre l’obtention de mon visa et la traversée du passage de Rafah.
J’ai quitté Gaza à cause du blocus, de l’insécurité, mais aussi à la suite de la destruction de ma maison en 2014. Entre 2008 et 2014 les bombardements et les tirs étaient incessants, s’ajoutant au manque de nourriture et d’horizon.
Ma quête d’une vie stable et sûre a débuté par l’Égypte et m’a mené à vivre six ans en Turquie, puis un an en Grèce, pour finir je suis depuis deux ans en France.
En Turquie, j’ai pratiqué un sport dans différents endroits. C’est le début de mon parcours professionnel. Pendant six ans j’ai pu évoluer dans les meilleurs clubs. Mais que ce soit ma situation économique, ou le racisme, cela m’a poussé à quitter la Turquie. D’autant plus qu’il était impossible d’obtenir la citoyenneté, ou des droits analogues.
J’ai pu obtenir un contrat en Grèce où je suis resté pour jouer une année avant de partir pour la France. La première année j’ai joué au sein du club Lillois, puis j’ai intégré celui de Gennevilliers.
Je compte rester en France. J’aspire à la stabilité, je suis fatigué du déracinement. Cependant, il m’est impossible d’oublier Gaza, mon pays et mes souvenirs.
Je veux être depuis la France le porte-parole des Palestiniens et je parlerai toujours et encore de Gaza.
Depuis quand pratiquez-vous un sport ?
F. D. : Je pratique depuis l’âge de 8 ans. Ma passion pour le sport a évolué durant mes études secondaires. À 16 ans j’ai commencé le basket professionnel et rejoint l’équipe nationale palestinienne. Mais après ma blessure mes rêves et mes ambitions ont malheureusement dû changer.
J’avais déjà fait du football, du basket et du tennis de table avant, après j’ai continué le basket en plus de l’athlétisme.
Les débuts ont été difficiles mais ma foi m’a permis de surmonter cette épreuve. J’ai décidé de jouer au tennis de table et j’ai été champion à Gaza pendant 3 ans. Je joue au basket depuis 2004. Je suis le meilleur joueur palestinien et le seul professionnel exerçant en Europe. Mais je voulais aller encore plus loin. Et j’ai rejoint l’athlétisme en 2007, que j’ai dû abandonner en 2012 après avoir obtenu 6 médailles.
L’athlétisme était une porte d’entrée dans le monde professionnel sur le plan international. La participation aux sports individuels est plus facile et on a plus de chance de partir de Gaza.
Sportif de haut niveau, vous étiez le seul dans la délégation palestinienne pour les JO Paris 2024 paralympiques. Comment avez-vous été accueilli ?
F. D. : J’ai été très bien accueilli par les Français qui prônent les valeurs de la liberté.
J’ai aussi connu un très bon accueil, pendant ma préparation physique, de la mairie de Gennevilliers, et par le club dans lequel je joue. Les journalistes de presse et télévision aussi. Tous m’ont beaucoup soutenu.
Les délégations arabes, africaines et françaises m’ont témoigné leur soutien. Dans le village olympique, beaucoup d’athlètes sont venus me voir pour dire leur soutien pour la Palestine, cela m’a donné de la force. Des Américains, des Français, Irlandais, Arabes, Canadiens, ou des Australiens ont exprimé leur soutien de la cause palestinienne et pour la liberté de son peuple.
J’étais le seul athlète dans la délégation palestinienne paralympique. J’avais reçu un appel deux mois avant annonçant que les sportifs de la bande de Gaza étaient empêchés de venir. Ce fut une période difficile. Mais j’ai choisi de participer bien que seul. Parler de la Palestine, être le porte-parole des onze millions de Palestiniens était plus important.
Quels sentiments avez-vous ressentis d’être porteur des couleurs et du drapeau de la Palestine ?
F. D. : C’est un sentiment difficile à décrire, lorsque la cérémonie d’ouverture des paralympiques a eu lieu, sur près d’un kilomètre, alors que nous marchions parmi les spectateurs, ceux-ci n’arrêtaient pas de crier le nom de la Palestine.
Nous sommes venus tout en faisant face à la guerre, aux meurtres et au sang. Nous portons la responsabilité de dire la douleur et le message de notre peuple, celui de notre droit à la vie et à la liberté, surtout en ce temps de génocide que traverse le peuple palestinien.
Lever le drapeau palestinien est le message le plus fort face à ceux qui ignorent nos droits et notre existence. J’ai eu un sentiment de force et de défi, l’affirmation de notre droit d’existence, de notre droit à la terre et à la patrie. J’ai été cette personne, en ce moment critique j’ai hissé le drapeau palestinien. Une responsabilité indescriptible et notre histoire montrée au monde entier.
Mon souhait est de transmettre un message au monde d’autant plus que j’étais le seul palestinien originaire de la bande de Gaza présent malgré le génocide. Dire que nous nous accrochons à la vie et qu’on revendique le droit d’appartenir à ce territoire. Mon but en soulevant le drapeau palestinien devant le monde entier est de montrer le vrai visage du peuple palestinien. Ce peuple qui a des rêves et des ambitions ; qui a besoin de liberté ; qui veut montrer au monde ce dont il est capable.
Le manque d’équipements, de ressources, du moral ne m’a pas permis la meilleure préparation physique. Mais je suis fier de mon résultat, digne de la ténacité et des rêves qui caractérisent mon peuple.
Aujourd’hui je représente onze millions de Palestiniens. La meilleure chose est d’avoir été là pendant les jeux et de transmettre leurs messages, de parler en leur nom. Je le mesure dans les regards de ceux qui ont quitté Gaza.
Dans les conditions de colonisation, d’occupation, de régime d’apartheid et de blocus… Quelle est la place du sport en Palestine et particulièrement à Gaza ?
F. D. : Le sport représente une étape importante dans l’histoire palestinienne. Nous, joueurs internationaux et professionnels palestiniens, transmettons au monde le message que nous avons de l’ambition, des rêves et de la volonté, et que ce dont nous avons besoin est le respect, la dignité, l’égalité et la justice.
À Gaza il y a de nombreux handicapés en raison de l’occupation. Il existe environ 45 clubs pour les handicapés : Basket-ball, athlétisme, tennis de table, football pour amputés ou pour aveugles, natation. Nous avons des entraîneurs, mais l’occupation détruit sans cesse les endroits dans lesquels on pratique. Elle tue délibérément la vie et le sport à Gaza en nous empêchant de voyager, en ciblant et détruisant les équipements, alors que de nombreux athlètes rêvent d’un avenir meilleur.
Les programmes communautaires d’intégration à travers le sport sont là pour le loisir, ou une professionnalisation. De nombreux joueurs attendent l’opportunité de l’ouverture les frontières pour participer à l’international. Je suis un exemple de ces joueurs qui aspirent à sortir et à mettre en valeur leur talent.
Depuis que j’ai quitté Gaza, je contribue au travers des programmes en ligne et des retransmissions à élargir l’horizon des joueurs et à développer leurs compétences.
Je forme également les joueurs en France, je les initie à handisport pour forcer le respect et améliorer leur vie.
Avez-vous un message ?
F. D. : Mon message au monde est qu’il est temps de se réveiller, qu’il faut arrêter de tuer, d’exterminer.
Le peuple palestinien doit obtenir sa liberté et son indépendance. Il doit obtenir la même justice que les autres peuples.
Être aux côtés du peuple palestinien est un droit. Défendez vos opinions et faites entendre votre voix, votre humanité, votre croyance en la justice.
Aux lecteurs de PalSol je dis n’arrêtez jamais de parler de la Palestine, de son peuple et de sa détermination. Aujourd’hui plus que jamais il a besoin de vous, d’une position ferme pour une cause juste.
Propos recueillis par Mireille Sève