Reportage / Aïn el-Héloué
Ils ont tous répondu à l’appel du « Jour de la colère », vieillards et enfants, femmes et hommes, miliciens armés jusqu’aux dents et civils. Tous étaient là pour scander « Jérusalem, capitale de la Palestine », au son de chants patriotiques tonitruants. Les minuscules rues tortueuses et cahoteuses du camp de Aïn el-Héloué, à Saïda, le plus grand camp de réfugiés palestiniens du Liban, étaient si bondées de monde, dans l’heure qui a suivi la prière de midi à la mosquée al-Nour, qu’il devenait quasiment impossible de s’y tenir debout.
Comme tous les autres camps du Liban, et dans une bonne partie des mosquées et des quartiers des grandes villes, Aïn el-Héloué s’est mobilisé pour crier son refus de la décision prise, mercredi dernier, par le président des États-Unis Donald Trump de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël, et d’y emménager l’ambassade de son pays. La profonde peine causée par ce énième choc subi par les Palestiniens était lisible sur tous les visages.
Les fusils en carton
Le plus frappant, c’est que ce camp connu pour être une poudrière et qui, il y a quelques semaines seulement, vivait au rythme de féroces combats entre ses différentes composantes, faisait hier front uni contre ce nouvel assaut diplomatique venu d’au-delà des mers. Cela était visible par les drapeaux des différentes factions flottant côte à côte, les portraits de Yasser Arafat (omniprésents dans les rues et sur les façades des boutiques) avoisinant les étendards des islamistes. La « folle » décision de Donald Trump, comme la qualifie un des responsables du camp, a gommé les antagonismes et recentré l’attention sur l’essentiel : la cause elle-même.
Le danger potentiel que représente ce camp, le plus explosif du Liban, avait rendu extrêmement difficile la perspective de dépasser les barrages de l’armée à l’entrée, vu le degré de prudence affiché par le commandement militaire. Mais force est de constater qu’à l’intérieur, et malgré les armes individuelles et de guerre omniprésentes, la colère a été exprimée dans un calme relatif, sans incidents et sans les débordements tant redoutés.
« Jérusalem est à nous », nous lance, imperturbable, une jeune femme qui a noué un keffieh sur son voile, portant son petit dans les bras. Comme elle, beaucoup de femmes participent au mouvement, la plupart avec leurs enfants. La foule est d’ailleurs incroyablement jeune. Parmi les manifestants, beaucoup d’enfants portant ce même keffieh, l’habit militaire, et même la cagoule de leurs aînés militarisés. Si beaucoup d’adultes affichaient leurs armes bien réelles, on avait donné aux enfants des fusils en carton, certes, mais si symboliques... Une image, s’il en faut, de la transmission du relais de la lutte de génération en génération... jusqu’aux plus jeunes. Même leurs regards en disent long sur leur détermination à poursuivre le combat pour cette Palestine rêvée où ils n’ont jamais mis les pieds.
« Au cœur de notre doctrine »
C’est peu avant 13 heures que les manifestants, qui déambulaient dans les rues du camp, se sont rassemblés dans le « stade », certainement l’un des seuls espaces ouverts du camp. Ils hissent une banderole sur laquelle est inscrit « Jérusalem capitale de la Palestine » avec, en fond, la photo de la mosquée al-Aqsa. Ils sont des milliers à brûler une effigie de Donald Trump et le drapeau américain, à scander des slogans hostiles à la politique des USA...
« Cette décision de Donald Trump nous ramène brutalement à la déclaration Balfour (1917), à la Nakba de 1948 ou encore à la Naksa de 1967. » Par ces mots, le secrétaire général des factions de l’Organisation de libération de Palestine (OLP), Maher Chbayta, résume à L’Orient-Le Jour le sentiment général. Il insiste cependant sur l’union des différentes factions politiques palestiniennes dans un même refus. Il explique que des directives ont été données à tous les camps pour organiser des activités qui devront durer au moins une semaine, notamment des sit-in successifs effectués par différentes catégories de la population comme les élèves, les femmes...
« Il n’y a pas de mots pour exprimer notre peine et notre colère à l’encontre de cette décision injuste, lance pour sa part à L’OLJ Khaled Ibrahim Zeaïter, cadre du Hamas. Donald Trump s’est moqué du monde, il a bafoué les droits des musulmans comme des chrétiens, ainsi que leurs lieux sacrés respectifs. Or nous ne pouvons nous taire ni accepter le fait accompli, Jérusalem est au cœur de notre doctrine. »
7 000 ans d’histoire...
Pour Abdel Rahman Abou Saleh, secrétaire général des Comités populaires à Saïda, « il ne peut y avoir d’État palestinien sans Jérusalem comme capitale ». « Cette décision date d’au moins vingt ans, mais aucun président américain n’avait pris la responsabilité de l’entériner jusque-là, parce que tous savent à quel point elle peut être dangereuse, poursuit-il. Il faut dès à présent tout faire pour provoquer l’annulation de cette décision, et pour arrêter toute normalisation avec Israël. »
« Jérusalem est le dernier rempart dans la lutte contre le mouvement sioniste, indique à L’OLJ Imad Bleibel, cadre du Fateh à Aïn el-Héloué. Comment Donald Trump se permet-il de faire un tel cadeau avec ce qui n’est pas à lui ? Jérusalem, c’est 7 000 ans d’histoire, et ce n’est pas le président américain qui en décidera autrement. »
Priés de commenter les réactions arabes et internationales, les réponses des cadres palestiniens les qualifient de « tièdes » au mieux, de « pas à la hauteur de la gravité de l’événement ». Khaled Zeaïter espère quand même un « réveil » des peuples et des gouvernements. Maher Chbayta se montre plus optimiste quand il estime que « Donald Trump a rassemblé le monde contre sa folle décision ». « Nous ferons échouer cette démarche comme nous avons fait échouer bien d’autres plans », assène-t-il.
Interrogé sur ses espoirs, Abdel Rahman Abou Saleh affirme : « Nous ne vivons pas d’espoir, mais de notre action. Nous appelons la communauté internationale à faire en sorte que cette décision soit annulée. »