COLUM LYNCH, ROBBIE GRAMER | 3 août 2018
Selon des messages électroniques internes obtenus par Foreign Policy, Jared Kushner, gendre et principal conseiller du Président des E.U. Donald Trump, s’est tranquillement efforcé de supprimer l’organisme d’aide de l’O.N.U. qui a, pendant des décennies, fourni à des millions de réfugiés palestiniens nourriture et services essentiels.
Son initiative fait partie, selon les responsables américains et palestiniens à la fois, d’une campagne plus large menée par l’administration Trump et ses alliés au Congrès pour dépouiller ces Palestiniens dans la région de leur statut de réfugié et retirer le problème de ceux-ci de la table des négociations entre Israël et les Palestiniens. Au moins deux propositions de lois faisant leur chemin à travers le Congrès abordent cette question.
Kushner, que Trump a chargé de résoudre le conflit israélo-palestinien, a été réticent à faire état publiquement de tout aspect de sa diplomatie au Moyen-Orient. Un plan de paix sur lequel il a travaillé avec d’autres responsables des E.U. depuis quelque 18 mois a été l’un des documents de Washington les plus étroitement gardés.
Mais sa position sur le problème des réfugiés et son animosité envers l’Office de Secours et de Travaux des Nations Unies pour les Réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) est manifeste dans les messages électroniques internes rédigés au début de cette année par Kushner et d’autres.
“Il est important d’avoir une volonté franche et réelle de se débarrasser de l’UNRWA,” a écrit Kushner au sujet de l’office dans un de ces messages électroniques, daté du 11 janvier et adressé à plusieurs autres hauts responsables, parmi lesquels l’envoyé de Trump pour la paix au Moyen-Orient, Jason Greenblatt.
“Cet (office) perpétue le statu quo, est corrompu, inefficace et ne contribue pas à la paix.”
Les Etats-Unis ont contribué au financement de l’UNRWA depuis qu’il a été créé en 1949 pour apporter des secours aux Palestiniens déplacés de chez eux à la suite de la fondation de l’Etat d’Israël et de la guerre internationale qui en a résulté. Les administrations précédentes ont considéré l’office comme un contributeur essentiel à la stabilité dans la région.
Mais beaucoup de partisans d’Israël aux Etats-Unis considère l’UNRWA comme une partie de l’infrastructure internationale qui a artificiellement gardé au premier plan la question des réfugiés et qui a suscité l’espoir parmi les Palestiniens exilés qu’ils pourraient un jour retourner chez eux - une éventualité qu’Israël a catégoriquement rejetée.
Les détracteurs de l’office mettent notamment l’accent sur la politique de celle-ci qui accorde le statut de réfugiés non seulement à ceux qui ont fui la Palestine Mandataire il y a 70 ans mais également à leurs descendants — en estimant que cela porte le nombre total des réfugiés à environ 5 millions, dont près du tiers vit dans des camps en Jordanie, au Liban, en Syrie, en Cisjordanie, et à Gaza.
En s’efforçant de débobiner l’UNRWA, l’administration Trump semble prête à remettre à zéro en faveur d’Israël les termes de la question des réfugiés palestiniens — comme elle l’a fait en décembre à propos d’une autre question fondamentale, quand Trump a reconnu Jérusalem comme la capitale d’Israël.
Dans le même message de janvier, Kushner écrivait : “Notre but ne peut pas être de garder les choses en l’état et telles qu’elles sont …Parfois vous devez prendre le risque d’importance stratégique de briser les choses afin d’y arriver.”
Kushner a soulevé la question des réfugiés avec des fonctionnaires de Jordanie pendant une visite en juin dans la région, accompagné par le Représentant Spécial pour les Négociations Internationales, Jason Greenblatt. Selon des responsables palestiniens, il a fait pression sur la Jordanie pour dépouiller en fait plus de 2 millions de Palestiniens enregistrés de leur statut de façon que l’UNRWA n’ait plus besoin d’intervenir là.
"[Kushner a déclaré] que la réinstallation devait avoir lieu dans les pays d’accueil et que leur gouvernement peuvent faire le travail effectué par l’UNRWA," a déclaré Hanan Ashrawi, membre du Comité Exécutif de l’Organisation de Libération de la Palestine.
Elle a déclaré que l’administration Trump voulait que les riches états du Golfe assument les coûts que la Jordanie pourrait encourir dans ce processus.
« Ils veulent prendre une décision vraiment irresponsable et dangereuse et toute la région va en pâtir, » a dit Ashrawi.
Saeb Erekat, le négociateur en chef palestinien, a dit en juin aux journalistes que la délégation dirigée par Kushner avait déclaré qu’elle était prête à arrêter tout à fait de financer l’UNRWA et au lieu de cela à adresser l’argent - 300 millions de $ par an (environ 258 millions d’euros) - à la Jordanie et aux autres pays qui accueillent les réfugiés palestiniens.
« Tout ceci a en fait pour but de liquider la question des réfugiés palestiniens, » a-t-il déclaré.
La Maison Blanche a refusé de commenter le compte-rendu à ce sujet. Un haut fonctionnaire du pouvoir exécutif, parlant sous le sceau de l’anonymat, a déclaré que la politique des E.U en ce qui concerne le programme des réfugiés palestiniens de l’O.N.U. « a fait l’objet de fréquentes évaluations et de discussions internes. L’administration fera connaître sa politique en temps voulu. »
Les fonctionnaires jordaniens à New York et à Washington n’ont pas répondu aux questions sur l’initiative.
Kushner et Nikki Haley, l’ambassadrice des E.U aux Nations Unies, ont tous deux proposé en janvier de mettre fin au financement de l’UNRWA. Mais le Département d’Etat, le Pentagone, et le monde des services de renseignement se sont tous opposés à cette idée, craignant en partie que cela alimente la violence dans la région.
La semaine suivante, le Département d’Etat a annoncé que les Etats-Unis réduiraient de plus de la moitié la première tranche de leur versement annuel de 125 millions de $ (108 millions d’€), à 60 millions de $ (52 millions d’€).
« L’UNRWA nous a menacés pendant six mois de fermer des écoles s’ils ne recevaient pas un chèque » a écrit Kushner dans le même message électronique.
Le porte-parole du Département d’Etat, Heather Nauert, a déclaré à l’époque que les E.U n’aient aucune intention de supprimer le financement pour les réfugiés palestiniens , et que cela prendrait du temps pour étudier les moyens de réformer l’UNRWA et de convaincre d’autres pays d’aider Washington à endosser le fardeau financier de l’aide aux Palestiniens.
Mais le lendemain, Victoria Coates, importante conseillère de Greenblatt, a envoyé un message électronique à l’équipe en charge de la sécurité nationale à la Maison Blanche spécifiant que la Maison Blanche réfléchissait à la façon de supprimer l’office de l’O.N.U. pour les réfugiés palestiniens.
« L’UNRWA doit proposer un plan pour se ressourcer elle-même et pour faire partie du UNHCR (Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés) au moment où sa charte sera à nouveau examinée en 2019 » a écrit Coates.
Elle a remarqué que la proposition était une parmi d’autres des « idées lancées que j’ai eu et qui sont aussi au fait de certaines pensées que j’ai reprises à Jared, Jason et Nikki. »
D’autres idées comprenait aussi la suggestion qu’il soit demandé à l’office de secours de l’O.N.U. de fonctionner sur la base d’un budget mensuel et de concevoir « un projet pour supprimer tout antisémitisme du matériel pédagogique. »
Ces idées semblent suivre de près des propositions qu’Israël a faites depuis un certain temps.
« Nous pensons que l’UNRWA doit disparaître du monde étant donné qu’elle est une organisation qui plaide politiquement contre Israël et qui perpétue le problème des réfugiés palestiniens « a déclaré Elad Strohmayer, porte-parole de l’ Ambassade israélienne à Washington.
Strohmayer a déclaré que les Palestiniens sont la seule population qui est capable de transférer en aval le statut de réfugiés à travers les générations. L’affirmation, bien que longtemps mise en avant par Israël, n’est pas entièrement fondée.
Dans un rapport interne de 2015, le Département d’Etat remarquait que le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés « reconnaît les descendants de réfugiés comme des réfugiés pour les objectifs de ses interventions ». Le rapport , qui a été récemment rendu accessible, a indiqué que les descendants des réfugiés afghans, bhoutanais, birmans, somaliens et tibétains sont tous reconnus par l’O.N.U comme réfugiés eux-mêmes.
Des réfugiés palestiniens originels au nombre d’à peu près 700.000, seuls quelques dizaines de milliers sont encore en vie, selon les estimations.
L’offensive pour refuser le statut à la plupart des réfugiés palestiniens fait aussi son chemin au Congrès.
La semaine dernière, le Représentant Doug Lamborn, Républicain du Colorado, a déposé une proposition de loi qui limiterait l’assistance des E.U. uniquement aux réfugiés originels. La majeure partie des économies faites pour les contributions à l’O.N.U. serait destinée à l’Office des E.U pour le Développement International (USAID), le principal office des EtatsUnis de développement international . Mais l’USAID est actuellement entravé par la Loi Taylor Force [1] qui restreint la fourniture d’une aide humanitaire à l’Autorité Palestinienne jusqu’à ce qu’elle mette un terme à la politique d’aide aux familles des terroristes tombés en action.
« Au lieu de réinstaller les réfugiés palestiniens déplacés à la suite du conflit arabe-israélien de 1948, l’UNRWA fournit une aide à ceux qu’il définit comme réfugiés palestiniens jusqu’à ce qu’il y ait une solution au conflit israélo-palestinien considérée comme acceptable par l’office », remarque la proposition de loi de Lamborn. « Cette politique ne contribue pas à la réinstallation des réfugiés de 1948, mais au lieu de cela maintient une population de réfugiés à perpétuité. »
Un assistant parlementaire bon connaisseur de la proposition de loi a déclaré que l’intention de celle-ci n’est pas de vider de son sens le financement de l’UNRWA, mais de réorienter l’aide vers les descendants par l’intermédiaire de l’USAID.
« Les personnes qui souffrent doivent continuer à toujours recevoir de l’aide, mais par des voies humanitaires définies de manière appropriée et par des programmes d’aide » à déclaré l’assistant.
De la même façon, le Sénateur James Langford (Républicain - Oklahoma) a rédigé une proposition de loi qui réorienterait le financement des E.U en l’enlevant à l’UNRWA vers des offices régionaux ou internationaux.
La proposition de loi, qui n’a pas encore été déposée officiellement, demanderait au Secrétaire d’Etat des E.U. de certifier d’ici 2020 que les Nations Unies en ont fini avec la reconnaissance des descendants palestiniens comme réfugiés.
« Les Nations Unies doivent fournir de l’aide aux Palestiniens d’une façon qui précise que les Nations Unies ne reconnaissent pas la grande majorité des Palestiniens actuellement enregistrés par l’UNRWA comme réfugiés méritant le statut de réfugié, » peut-on lire dans une ébauche obtenue par Foreign Policy.
Les précédentes administrations des E.U. ont maintenu que la grande majorité des réfugiés palestiniens devront en définitive être absorbés dans un état palestinien nouveau ou naturalisés dans les pays qui les ont accueillis pendant des générations.
Mais il était prévu que le sort de la question des réfugiés soit fixé par un accord en tant que partie d’un pacte de paix complet ayant pour conséquence la création d’un état palestinien.
« Il est évident que le but essentiel est ici de supprimer les réfugiés palestiniens en tant que problème en déterminant qu’ils n’ont pas d’existence, » a déclaré Lara Friedman, la présidente de la Fondation pour la Paix au Moyen-Orient.
« Ceci ne va en rien rendre plus facile de faire la paix. Cela va la rendre plus difficile à faire. »
Colum Lynch est un journaliste diplomatique confirmé et primé de Foreign Policy, basé à l’O.N.U.
Robbie Gramer est un journaliste en matière de diplomatie et de sécurité nationale de Foreign Policy.
Traduit de l’anglais par Yves Jardin, du GT de l’AFPS sur les prisonniers