Photo : La démolition de la mosquée d’Umm Al-Hiran, le 14 novembre 2024 © Oren Ziv
La semaine dernière, l’État d’Israël a accroché à sa ceinture le scalp d’une autre communauté palestinienne après avoir achevé la démolition d’Umm Al-Hiran. Le matin du 14 novembre, des centaines de policiers ont pris d’assaut le village bédouin - situé dans le désert du Néguev/Naqab, dans le sud d’Israël - accompagnés d’officiers des forces spéciales et d’hélicoptères. Les habitants, des citoyens israéliens qui craignaient depuis longtemps que ce jour arrive, avaient déjà démoli eux-mêmes la plupart des structures du village pour éviter d’avoir à payer de lourdes amendes. Il ne restait plus à la police qu’à détruire la mosquée.
C’est ainsi que deux décennies et demie de lutte juridique pour sauver le village ont pris fin et que les habitants se sont retrouvés sans abri. Si vous voulez comprendre toute l’histoire des injustices du sionisme à l’égard des Palestiniens - avec toute la discrimination, le racisme, la dépossession et la violence, fondés sur une vision de la suprématie juive et une obsession concomitante de l’ingénierie démographique - vous n’avez pas besoin de chercher plus loin qu’Umm Al-Hiran.
Dans le discours israélo-juif, la destruction d’une communauté bédouine fait à peine sourciller, et encore moins la une des journaux. Après tout, il s’agissait d’un « village non reconnu » - un artifice linguistique qu’Israël déploie pour dépeindre les citoyens bédouins comme des envahisseurs sur leurs propres terres. Le public israélien perçoit la destruction systématique de ces communautés comme une simple mesure de répression à l’encontre des contrevenants. Or, non seulement les habitants d’Umm Al-Hiran n’étaient pas des envahisseurs, mais ils ont été déplacés par l’État lui-même.
Avant la création d’Israël, la communauté qui est devenue Umm Al-Hiran vivait dans le nord-ouest du Néguev. En 1952, le gouvernement militaire israélien les a déplacés de force plus à l’est afin de les exproprier de leurs terres pour la construction du kibboutz Shoval. Quatre ans plus tard, l’État a décidé de les déraciner à nouveau, les poussant vers une zone située juste à l’intérieur de la ligne verte, près de l’extrémité sud-ouest de la Cisjordanie, où ils sont restés jusqu’à la semaine dernière.
Pendant toutes ces décennies, l’État n’a pas pris la peine de réglementer le statut du village. Il n’a pas fourni aux habitants des infrastructures ou des services de base tels que l’électricité, l’eau, l’éducation ou l’assainissement. C’est là toute la sournoiserie du sionisme : priver les habitants palestiniens du Néguev des conditions de vie les plus élémentaires pendant des générations, avant de les remplacer un jour par une communauté juive au nom de la « floraison du désert ».
Le Néguev constitue plus de la moitié du territoire de l’État d’Israël, et de vastes zones sont vides. Pourtant, l’État s’obstine à détruire des villages arabes « non reconnus » pour en construire de nouveaux, juifs. Dans le cas d’Umm Al-Hiran, la nouvelle communauté devait à l’origine porter une version judaïsée du nom du village qu’elle remplaçait : Hiran. Quelqu’un a eu une meilleure idée et elle s’appellera désormais Dror - « liberté ».
Il ne s’agit bien sûr pas d’une nouveauté. Depuis sa création, Israël détruit des communautés palestiniennes et installe des Juifs à leur place. Il a dépeuplé des centaines de villes et de villages palestiniens rien que pendant la Nakba de 1948. Mais l’histoire d’Umm Al-Hiran contient un autre aspect de l’attitude d’Israël à l’égard des Palestiniens, qui est essentiel pour comprendre le modus operandi du sionisme : la perception de la présence des Palestiniens comme temporaire.
C’est l’une des expressions les plus violentes de la suprématie juive. Les Palestiniens sont considérés comme de la poussière humaine que l’on peut simplement balayer, ou comme des pièces d’échecs que l’on peut déplacer d’une case à l’autre conformément au projet interminable d’ingénierie démographique d’Israël entre le fleuve et la mer. C’est un élément essentiel de la déshumanisation de ceux dont l’État lorgne les terres : la conviction profonde que ces personnes n’ont pas de racines et que, par conséquent, les déplacer d’un endroit à l’autre ne peut être considéré comme un déplacement.
De cette manière, il est possible de continuer à ignorer les demandes des habitants des villages d’Iqrit et de Bir’em en Galilée, plus d’un demi-siècle après que la Haute Cour a statué qu’ils devraient être autorisés à retourner sur leurs terres après avoir été expulsés pendant la Nakba ; il est possible de procéder à un nettoyage ethnique généralisé en Cisjordanie sous le prétexte de la sécurité et de l’État de droit ; et il est possible d’ordonner à des centaines de milliers d’habitants de Gaza d’évacuer encore et encore, les transformant en éternels nomades comme le voulait le sionisme - et, pour couronner le tout, de considérer qu’il s’agit d’un acte humanitaire.
L’ingénierie démographique du sionisme ne se limite pas aux Palestiniens. L’histoire de Givat Amal, un quartier mizrahi de Tel Aviv qui a été expulsé de force et démoli en 2021, présente de nombreux parallèles avec l’histoire d’Umm al-Hiran ; là aussi, l’État a contraint une communauté marginalisée à s’installer dans une zone frontalière, sans jamais réglementer son statut ou ses droits sur la terre, et dès que la valeur de cette terre a augmenté, il en a expulsé les résidents par cupidité. Pendant ce temps, des « comités d’admission » approuvés par l’État continuent de faire respecter l’apartheid dans des centaines de communautés juives à travers le Néguev et la Galilée, en veillant à ce que les « bonnes personnes » vivent aux bons endroits.
Mais ce sont les Palestiniens que le sionisme a transformés en un peuple temporaire à l’identité éphémère. C’est l’hypothèse qui est au cœur du plan d’échange de terres défendu il y a dix ans par Avigdor Liberman, qui verrait plusieurs communautés palestiniennes à l’intérieur d’Israël délocalisées en Cisjordanie tandis qu’Israël annexerait certaines colonies : aujourd’hui, les Palestiniens peuvent être citoyens d’Israël, mais demain, d’un simple geste du doigt, ils peuvent cesser de l’être. (M. Liberman, autrefois considéré comme étant à l’extrême droite de la politique israélienne, est récemment devenu une sorte de héros du centre gauche).
Cette détermination sioniste à arracher les Palestiniens à leur place repose peut-être sur une peur intériorisée de leur lien profond avec la terre. C’est peut-être l’illusion que s’ils sont déracinés et jetés d’un endroit à l’autre suffisamment de fois - que ce soit par les marches de la mort à Gaza, le nettoyage ethnique en Cisjordanie, ou la destruction et l’expulsion dans le Néguev - ils finiront par abandonner et partir.
Il y a huit ans, le leader de l’opposition israélienne Yair Lapid écrivait une ode au mouvement Hashomer Hachadash, dans laquelle il disait avec humour qu’« un homme qui plante un arbre ne va nulle part ». Il y a quelque chose de remarquable dans la manière dont le subconscient jaillit parfois du stylo, en dépit de la personne qui le tient. Après tout, l’État sait exactement qui a planté les oliviers que l’armée bombarde à Gaza et que les colons incendient en Cisjordanie. Mais même après des décennies de destruction, d’expulsion et de carnage, le sionisme refuse d’accepter qu’ils ne vont nulle part.
Traduction : AFPS