Photo : L’armée israélienne a attaché un prisonnier palestinien sur le capot d’un véhicule militaire et l’a utilisé comme bouclier humain à Jénine, le 22 juin 2024 © Mustafa Barghouti
La ruse des « boucliers humains » est l’une des armes les plus fréquemment déployées dans l’arsenal de la hasbara israélienne.
Depuis des décennies, Israël utilise systématiquement ce dispositif de propagande pour justifier ses crimes de guerre, rejeter la responsabilité de ses crimes sur d’autres, contourner le principe de distinction du droit humanitaire, déshumaniser les victimes palestiniennes et armer ses mandataires occidentaux et les médias complices de munitions pour protéger l’impunité israélienne.
Mais une série d’enquêtes internationales révèle deux conclusions claires sur ces accusations : Premièrement, les groupes armés palestiniens n’utilisent généralement pas de boucliers humains. Et, deuxièmement, Israël le fait.
Le droit international
L’expression « boucliers humains » désigne une violation particulière du droit international humanitaire et des droits de l’homme. Cette pratique est strictement interdite en toutes circonstances.
Comme le résume le commentaire du CICR, qui fait autorité en la matière, il s’agit du « regroupement intentionnel d’objectifs militaires et de civils ou de personnes hors de combat dans l’intention spécifique de tenter d’empêcher que ces objectifs militaires soient pris pour cible ». (« Les personnes hors de combat » comprennent les combattants qui ont déposé les armes, les prisonniers, les malades et les blessés, etc.)
Le cas classique est celui où un groupe de soldats force des civils de l’autre camp à marcher devant eux dans une zone de combat ou dans une structure non sécurisée, dans l’espoir que l’ennemi ne tirera pas sur les soldats de peur d’atteindre les civils.
Mais Israël, dans sa revendication automatique de « boucliers humains » chaque fois qu’il tue un grand nombre de civils et détruit des infrastructures civiles protégées, ne tient pas compte de cette définition. Au lieu de cela, il étend simplement la phrase à tous les décès de civils. Sans preuve, les politiciens occidentaux complices, leurs porte-parole officiels et les médias répètent alors consciencieusement le mantra du bouclier humain d’Israël, encore et encore.
Pour Israël, les réfugiés qui vaquent à leurs occupations quotidiennes dans les camps de réfugiés, les patients et les médecins dans les hôpitaux, les personnes qui prient dans les églises et les mosquées, et les travailleurs humanitaires qui distribuent de la nourriture aux affamés sont tous des boucliers humains.
Peu importe qu’ils n’aient pas été contraints par le Hamas et qu’ils ne se soient pas portés volontaires pour protéger qui que ce soit ou quoi que ce soit. Et peu importe qu’il n’y ait souvent aucun objectif militaire légitime (ou proportionné) dans les situations où Israël invoque les boucliers humains.
Si ces civils sont tués par des bombes ou des balles israéliennes, selon le récit israélien, c’est de leur propre faute ou de celle du Hamas, parce qu’ils vivent tous deux dans les mêmes endroits densément peuplés.
Mais la simple présence de forces armées ou de membres de l’ennemi dans des zones civiles peuplées ne constitue pas l’utilisation de boucliers humains. D’ailleurs, Israël devrait examiner attentivement les implications de ses affirmations répétées à ce sujet, étant donné qu’il maintient son quartier général militaire dans un quartier animé de la ville de Tel-Aviv.
La présence de combattants dans un lieu civil protégé ne supprime pas non plus le statut de protection de ce lieu. On peut voir des soldats israéliens dans tous les hôpitaux israéliens. Cela fait-il de ces hôpitaux une cible militaire légitime ? Bien sûr que non. Refuser la même protection aux Palestiniens constituerait à la fois une grave violation du droit humanitaire et (que les journalistes occidentaux prennent note) un acte de racisme flagrant.
Il va sans dire que ce n’est pas ainsi que fonctionne le concept de bouclier humain dans le droit international.
En prétendant que c’est le cas, Israël et ses mandataires occidentaux ignorent volontairement trois éléments gênants : La logique, les faits et le droit.
La pratique d’Israël de cibler les civils
Tout d’abord, l’acceptation de ces affirmations exige que les mandataires souples d’Israël en Occident ignorent des décennies d’expérience et des volumes de preuves rassemblées selon lesquelles Israël ne fait souvent aucune distinction entre les civils et les combattants dans ses activités militaires et, dans de nombreux autres cas, prend directement pour cible les civils et les infrastructures civiles.
Israël attaque régulièrement des hôpitaux, des écoles, des abris et des camps de réfugiés. Ses tireurs d’élite et ses drones traquent et exécutent les civils. Ses armes guidées par l’intelligence artificielle, qui portent des noms cruels tels que « Où est papa », sont conçues pour attendre que les cibles soient à la maison avec leur famille avant de les bombarder. Elles abattent même des civils, y compris des enfants et des femmes, qui brandissent des drapeaux blancs. Ces pratiques criminelles sont bien connues et bien documentées par les enquêtes successives des Nations unies et des organisations internationales, israéliennes et palestiniennes de défense des droits de l’homme.
Mais la logique même des boucliers humains repose sur l’idée de dissuasion, c’est-à-dire que les soldats hésiteront à tirer si des civils sont en danger. Une telle logique n’existe pas avec une force militaire comme celle d’Israël qui ne fait pas de distinction entre les civils et les combattants et qui pratique couramment le ciblage direct des civils.
En effet, la doctrine israélienne Dahiya, sur la base de laquelle Israël procède depuis longtemps à la destruction massive et intentionnelle de zones civiles afin de terroriser les populations civiles, est la preuve qu’Israël ne peut être dissuadé par l’utilisation de boucliers humains palestiniens ou libanais. La vague actuelle de génocide perpétrée par Israël à Gaza ne laisse aucun doute sur sa volonté de tuer intentionnellement et sans hésitation des civils palestiniens. La directive Hannibal, en vertu de laquelle Israël tue ses propres citoyens (soldats et civils) pour les empêcher d’entraver ses objectifs militaires, signifie qu’il ne sera peut-être même pas dissuadé par l’utilisation d’un bouclier humain composé de ses propres citoyens.
Étant donné que les forces de résistance qui contestent Israël en sont parfaitement conscientes, pourquoi essaieraient-elles d’utiliser une tactique qu’elles savent futile ? La réponse est qu’elles ne le font pas. Ainsi, l’accusation de boucliers humains échoue au test de la logique.
Mais elle échoue également au test de la loi.
Tout d’abord, les situations dans lesquelles Israël prétend que des boucliers humains sont utilisés ne peuvent pas être considérées comme des cas de boucliers humains selon la définition juridique internationale décrite ci-dessus. En clair, et comme cette définition l’indique clairement, la simple présence de combattants à proximité ne transforme pas magiquement les civils en boucliers humains.
Par conséquent, l’accusation d’Israël concernant les boucliers humains n’a généralement aucun fondement juridique.
Deuxièmement, Israël allègue l’existence de boucliers humains pour tenter de rejeter la faute et d’exonérer ses forces de toute responsabilité juridique. Mais ce qui leur échappe, c’est que même si des boucliers humains étaient utilisés, cela ne réduirait pas les obligations légales des attaquants.
En fait, les allégations d’utilisation de boucliers humains ne justifient pas une attaque contre des civils sans les contraintes imposées par le droit international humanitaire et le droit international des droits de l’homme, et l’attaquant reste responsable, même si l’utilisateur des boucliers humains l’est également.
L’attaquant doit toujours respecter les principes de précaution, de distinction et de proportionnalité pour éviter de blesser des non-combattants. En d’autres termes, la déclaration de boucliers humains n’est pas une « carte de sortie de prison » en vertu du droit international.
Par conséquent, en droit, même en présence de boucliers humains, la tentative de rejeter la faute sur le tireur et de l’exonérer de toute responsabilité échoue.
Les Palestiniens n’utilisent pas de « boucliers humains », mais Israël, si
Et puis, il y a l’épineux problème des faits.
Israël n’a produit aucune preuve crédible de l’utilisation de boucliers humains par les groupes de résistance palestiniens dans le cadre des attaques israéliennes actuelles contre Gaza. Il s’appuie au contraire sur la répétition par cœur et sans esprit critique de l’accusation par ses sponsors et mandataires occidentaux et par les sociétés de médias favorables à Israël.
Cette accusation est dépourvue de preuves et n’est pas brandie pour demander des comptes aux contrevenants, mais pour justifier les crimes de guerre israéliens.
Il ne s’agit pas de suggérer qu’aucun combattant palestinien n’a jamais utilisé de boucliers humains dans l’histoire. Mais l’accusation selon laquelle ils le font régulièrement ou systématiquement est une accusation sans preuve, et une accusation régulièrement brandie non pas pour demander des comptes aux contrevenants, mais plutôt pour justifier la perpétration de crimes de guerre israéliens.
Dans le même temps, nous avons tous vu les vidéos montrant des soldats israéliens utilisant des Palestiniens comme boucliers humains à Gaza (et en Cisjordanie). Nous avons vu de nos propres yeux des images de Palestiniens (souvent des enfants) attachés au capot de jeeps militaires israéliennes, forcés de marcher devant une colonne de soldats d’occupation israéliens ou de conduire les soldats dans des bâtiments ou d’autres structures. Cette pratique est aussi ancienne que l’État d’Israël lui-même.
Lors de chaque attaque israélienne successive contre des communautés palestiniennes, le schéma est le même : Israël accuse les Palestiniens d’utiliser des boucliers humains, les organisations internationales et les groupes de défense des droits de l’homme enquêtent, et les enquêtes révèlent que la partie qui utilise systématiquement des boucliers humains n’est pas la Palestine, mais plutôt Israël.
En effet, le groupe israélien de défense des droits de l’homme B’Tselem a documenté l’utilisation répétée par Israël de boucliers humains au moins depuis 1967. Les enquêtes menées par Amnesty International et Human Rights Watch sur les attaques menées par Israël dans le cadre de l’opération « Plomb durci » à Gaza ont montré qu’Israël avait utilisé des boucliers humains (y compris des enfants), mais n’ont trouvé aucune preuve que des groupes palestiniens l’avaient fait.
De même, les commissions d’enquête des Nations unies qui ont enquêté sur les attaques israéliennes massives contre Gaza en 2008-2009 et en 2014 ont examiné les affirmations d’Israël et n’ont trouvé aucune preuve de l’utilisation de boucliers humains par les Palestiniens. Le Comité des droits de l’enfant des Nations unies a constaté « l’utilisation continue (par Israël) d’enfants palestiniens comme boucliers humains » entre 2010 et 2013. Le rapporteur spécial des Nations unies sur le terrorisme a fait le même constat.
L’enquête d’Amnesty International sur les attaques israéliennes « Plomb durci » fait état d’une constatation typique :
« Dans plusieurs cas, les soldats israéliens ont également utilisé des civils, y compris des enfants, comme « boucliers humains ». Cependant, contrairement aux allégations répétées des responsables israéliens concernant l’utilisation de « boucliers humains », Amnesty International n’a trouvé aucune preuve que le Hamas ou d’autres combattants palestiniens aient agi de la sorte.
Et dans le rapport sur les « meurtres sous drapeau blanc » de civils palestiniens, Human Rights Watch a confirmé qu’« Israël affirme que le Hamas a combattu à partir de zones peuplées et a utilisé des civils comme “boucliers humains” - c’est-à-dire qu’il a délibérément utilisé des civils pour dissuader les attaques contre les forces palestiniennes... Human Rights Watch n’a trouvé aucune preuve que les victimes civiles (dans son enquête) ont été utilisées par les combattants palestiniens comme boucliers humains ».
Mais la pratique israélienne de l’utilisation de boucliers humains est de notoriété publique en Israël et fait depuis longtemps l’objet d’un débat public. Des soldats israéliens, s’adressant à l’organisation israélienne Breaking the Silence, ont eux-mêmes avoué cette pratique répandue. Les médias israéliens en ont fait état, notamment dans un article paru le mois dernier dans Haaretz. L’armée israélienne a même défendu publiquement son « droit » à utiliser des boucliers humains dans des procès israéliens successifs. Bien entendu, les cas où elle a perdu l’argument n’ont eu que peu d’impact sur l’armée, qui continue la pratique jusqu’à aujourd’hui.
Ainsi, les tactiques de désinformation de la hasbara israélienne ont constitué un pilier important de sa stratégie de destruction de Gaza depuis le début de la vague actuelle de génocide à Gaza, il y a près d’un an. Les fausses accusations de bouclier humain ont été la clé de ces tactiques.
Mais cette tromperie s’effondre même après un examen superficiel. Si les hommes politiques et les journalistes occidentaux faisaient preuve d’un minimum de diligence avant de répéter les affirmations israéliennes, s’ils les soumettaient à l’épreuve du droit, des faits et de la logique, la vérité serait rapidement révélée. La partie qui utilise régulièrement des boucliers humains est Israël, pas la Palestine.
Un refrain courant dans le discours public sur la Palestine est que « chaque accusation israélienne est un aveu ». Le double mensonge des boucliers humains en est un exemple.