Pour se rendre à la maison de Hashim Salaymeh, il faut d’abord franchir un contrôle de police établi à l’entrée du quartier de Cheikh Jarrah.
Des policiers lourdement armés, installés derrière d’énormes blocs de béton. Puis on remarque au passage d’autres membres des forces de l’ordre en faction devant certaines maisons. Hashim les croise chaque fois qu’il sort de chez lui. Et chaque fois, il ressent un pincement au cœur. Car ces policiers israéliens ont été déployés pour protéger les nouveaux arrivants dans le quartier.
Leur maison est ornée d’une énorme étoile de David en néon et d’une multitude de drapeaux israéliens. Dans ce quartier palestinien de Jérusalem-Est, l’affichage si ostentatoire des couleurs israéliennes apparaît clairement comme une affirmation, voire une provocation.
Hashim montre du doigt la maison et explique qu’une famille palestinienne y vivait auparavant. Elle a été évincée au profit de colons juifs. « C’est extrêmement triste, dit-il. Une famille entière jetée dans la rue. » Il raconte que, longtemps, les Palestiniens ont campé dans la rue devant chez eux, ne sachant pas où aller. « C’est ce qu’ils veulent faire à tous les Palestiniens vivant ici », ajoute-t-il, une forte pointe d’amertume dans la voix.
Mais Hashim a décidé de se battre et de contester son éviction devant les tribunaux. Il affirme que la maison qu’il habite depuis sa naissance, comme beaucoup d’autres dans le quartier, a été construite en 1956 par les autorités jordaniennes. L’initiative visait à offrir un logis à 28 familles de réfugiés palestiniens en échange de leur renoncement aux prestations payées par l’UNRWA, l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient.
La procédure judiciaire dure depuis des années et est maintenant devant la Cour suprême d’Israël. Hashim est convaincu d’être dans son bon droit et il en veut pour preuve la valise de documents historiques récupérés auprès des autorités turques et jordaniennes et les lettres émises par l’UNRWA qui confirment sa version.
Nous avons tenté sans succès d’obtenir la version des faits de la partie adverse. Le cabinet d’avocats à l’origine de la mise en demeure n’a jamais donné suite à nos appels. Les colons israéliens de Cheikh Jarrah ont, eux aussi, refusé de nous parler.
Hashim ne peut s’empêcher d’être pessimiste, car son expérience face à la justice n’a été jusqu’ici qu’une cascade de déceptions. « Les tribunaux israéliens ne sont pas neutres », lance sa fille Alaa. « Et la loi n’est pas neutre, poursuit-elle. Les Israéliens ont le droit de réclamer des propriétés qui leur appartenaient avant 1948, mais nous, nous n’avons pas le droit de réclamer des propriétés dont nous avons été chassés en 1967. »
Hashim donne en exemple la terre agricole de son grand-père près de Beer-Sheva, aujourd’hui en territoire israélien, donc inaccessible.
« C’est une loi discriminatoire ; une injustice totale, » confirme l’Israélienne Hagrit Ofran, de l’organisation La paix maintenant.« Il y a une loi pour les Juifs qui permet le retour et une autre loi pour les Palestiniens qui ne permet pas le retour. »
Ces Palestiniens ne sont pas des squatters. Ils se sont installés ici légalement avant que l’État d’Israël ne conquière la région. Ils ont le droit de rester dans leurs maisons. Et les colons basent leurs prétentions sur une loi discriminatoire, totalement immorale.
Hagrit Ofran, La paix maintenant
Chaque vendredi après-midi depuis des années, des centaines d’Israéliens se rassemblent à Cheikh Jarrah en solidarité avec les familles palestiniennes et pour protester contre la colonisation juive de Jérusalem-Est.
Les pancartes en hébreu, en arabe et en anglais somment les autorités israéliennes de mettre un terme à l’occupation. Hagrit y participe presque chaque semaine.« Je suis en colère et j’ai honte, » dit-elle. Elle en veut à son gouvernement de soutenir l’installation de colons juifs dans des quartiers palestiniens à Jérusalem-Est. « L’objectif des colons est d’"israéliser" cette partie de la ville pour rendre plus difficile tout compromis et toute solution de partage de la ville avec les Palestiniens. »
Irena Steinfeldt ressent de la colère, elle aussi, de voir ainsi la police israélienne instrumentalisée à des fins politiques. L’État, pense-t-elle, ne devrait pas cautionner cela. Elle s’insurge contre ce qu’elle perçoit comme de l’extrémisme de la part des colons juifs, car cela représente, à ses yeux, un obstacle majeur à la paix avec les Palestiniens. Les colons sont violents, ils sont extrémistes et ne sont pas venus ici pour vivre en paix avec leurs voisins palestiniens.
Aux yeux des Nations unies, l’affaire est claire. Les évictions de Palestiniens au profit de colons juifs constituent une violation des obligations d’Israël au regard du droit international. Car Jérusalem-Est est considéré comme faisant partie intégrante du territoire palestinien. La communauté internationale ne reconnaît pas son annexion par Israël après la guerre de 1967. En tant que puissance occupante, Israël n’a donc pas le droit de confisquer des propriétés privées. Pas le droit non plus d’y imposer sa loi.
Jérusalem, la Ville sainte, tant pour les juifs que pour les musulmans, est depuis toujours au cœur du conflit israélo-palestinien. La lutte pour son contrôle et pour l’accès aux lieux saints que sont la mosquée Al-Aqsa pour les musulmans et le mur des Lamentations pour les juifs revêt un caractère existentiel pour les deux camps.
Des accrochages avec la police israélienne aux abords et à l’intérieur de la mosquée Al-Aqsa sont d’ailleurs à l’origine du plus récent conflit armé entre le Hamas et Israël. Une étincelle dans un baril de poudre alors que la tension était déjà à son comble en raison de l’éviction imminente des six familles palestiniennes de Jérusalem-Est. Cette histoire a touché une corde sensible collective, chaque Palestinien s’identifiant aux difficultés vécues par ces familles.
Car la lutte pour le contrôle de Jérusalem se fait bien souvent au détriment de simples citoyens.
Iyad Dan’a, par exemple, ressent une profonde amertume en regardant les gravats de béton qui s’entassent pêle-mêle devant lui. Loin d’être anodins, ils représentent les vestiges de la maison qu’il avait construite sur un terrain qu’il dit avoir reçu de son père.
Une maison qu’il a été forcé de détruire de ses propres mains.
« J’ai essayé pendant plus de 8 ans d’obtenir un permis de construction auprès de la Ville, dit-il. Je n’ai jamais reçu de réponse. » Et lorsque, lassé et pressé par la nécessité de loger sa famille grandissante, il se décide à lancer quand même le chantier, des policiers se présentent à lui avec un ordre de la Ville et un choix cornélien. Démolir lui-même sa maison ou payer les autorités pour sa destruction. Il s’est finalement exécuté, la rage au cœur et la mort dans l’âme. Et pour cause. Il y avait investi toutes ses économies et même vendu l’or de sa femme pour la financer. Il se retrouve aujourd’hui sans logis et alourdi d’une dette de 150 000 $, l’équivalent de 8 ans de travail.
Mais il refuse de quitter les lieux. Il y revient régulièrement pour montrer à ses enfants les vestiges de la maison qu’ils n’ont jamais pu habiter.
Comme Hashim Salaymeh et des douzaines d’autres Palestiniens de Jérusalem-Est, Iyad Dan’a est convaincu que si la loi israélienne ne leur est pas favorable, la justice, elle, est de leur côté.