Le 21 janvier, les forces d’occupation israéliennes nous donnent huit heures pour évacuer le camp. Après quoi Israël commence la destruction du camp. Les chars rentrent, les bulldozers arrachent les routes et bloquent les entrées.
Le 24 janvier ils bombardent les maisons des résistants. « Ils sont près de mon quartier. Ils ont pris une famille, ils sont entrés dans une maison avec un petit magasin et ils surveillent s’il y a des résistants ».
Le 2 février, comme à Gaza, ils bombardent 4 carrés – combien de maisons sont détruites, alors qu’un carré en contient une trentaine ? On ne peut pas voir. On ne connaît pas les critères qui déterminent les maisons visées. Est-ce des résistants restés dedans ?
« Aujourd’hui les forces israéliennes nous ont permis d’inhumer 16 martyrs. Mais un sniper a tué un homme âgé qui essayait de récupérer des vêtements et des médicaments ».
Certains tentent de rentrer, mais les soldats les en empêchent. Une coordination palestino-israélienne nous dit : « à midi vous pouvez aller chercher des affaires chez vous », mais les soldats sur place refusent, arrêtent et blessent des jeunes. Malgré tout, quelques personnes arrivent à passer. « Puis ils ont attaqué chaque maison en les bombardant ou en les brûlant. On peut le voir d’en haut des collines ».
Ils ont aussi attaqué des hôpitaux, blessé des centaines d’habitant·es du camp et de la ville, ainsi que des infirmier·es, des médecins qui travaillent dans l’hôpital gouvernemental ou l’hôpital privé. Iels ont été visé·es alors que les soldats savent pertinemment que ce ne sont pas des résistant·es.
Une fois le camp vidé, ne s’y trouve plus que des malades ou handicapé·es. Iels bénéficient de l’intervention du Croissant-Rouge qui apporte vivres et médicaments. Mais ce sont plus de 4 500 familles qui ont été expulsées en quelques heures (plus de 20 000 personnes). Celles-ci sont parties dans la précipitation sans pouvoir prendre leurs affaires, leurs précieux souvenirs, des médicaments… Depuis, ils vivent à l’extérieur du camp, accueillis dans leur famille, des ami·es, hébergé·es dans des centres, ou dans les villages alentour. Le centre de l’UNRWA et le centre des femmes sont fermés. « C’est tellement dur, imaginez leurs conditions de vie. Ici c’est l’hiver. Il fait très froid… »
Nous vivons un cauchemar
Cette attaque n’est pas de même nature que celles que nous avons déjà connues quand les forces d’occupation israéliennes restaient quelques jours dans le camp, puis repartaient. Là, ils peuvent rester tant qu’ils veulent… Tentant de nous humilier en disant faire le ramadan avec nous…
« Israël tente de faire disparaître le mot “camp” de notre répertoire en transformant ce dernier en quartier de Jénine. Ils ont essayé de renommer des rues et quartiers par des noms israéliens ».
Dans la ville les soldats n’arrêtent pas d’attaquer, ils ont tué deux personnes. « C’est une Nabka qu’ils recommencent. Malgré tous les crimes et le génocide à Gaza ils n’ont pas gagné. En ce moment en Cisjordanie, à Jénine, ils veulent nous expulser. Les gens doivent partir. Mais pour aller où ? Cet État barbare ne veut pas que les Palestiniens vivent dans leur terre et continuent de revendiquer leur droit de retour dans les terres de 48. Ils veulent faciliter l’émigration, que nous quittions la Palestine pour qu’ils puissent la prendre entièrement ».
Même si leurs maisons sont détruites, les gens veulent retourner dans le camp. « Nous n’oublions pas ce qui s’est passé à Gaza. Nous n’oublions pas ce qui se passe en même temps à Tulkarem et Nur Chams. Nous savons que ce nettoyage ethnique est pour rayer le droit des réfugié·es ».
Mais sur nos papiers, sur notre carte nous n’avons pas le terme de réfugié.es. Et l’UNRWA n’a plus la capacité de jouer un rôle essentiel. L’Agence semble vivre ses derniers jours.
« C’est le 6e jour du ramadan (6 mars) et les gens ne sont pas heureux ». Les familles, souvent nombreuses sont dispersées. Pour beaucoup, il est impossible de se réunir autour d’une même table. Près de 18 000 personnes sont en situation de grands besoins (colis alimentaires, vêtements, matelas, couvertures…) Les conditions de vie sont misérables. « La situation a déjà été vécue, mais aujourd’hui elle est plus grave qu’en 2002 ».
Après plus de 45 jours, les forces d’occupation israéliennes disent rester après l’Aïd… Pour au moins un an ?
La ville est ouverte, les magasins également, mais la situation économique et la vie quotidienne sont difficiles. Jénine comme les autres villages traversent des conditions économiques dégradées depuis le 7 octobre 2023. De nombreux Palestiniens ont perdu leur travail. « Le niveau de vie est descendu très bas et les commerçants n’arrivent pas à vendre à des personnes qui n’ont plus les moyens d’acheter ».
Il est impossible de circuler sur les routes qui partent du camp. Les écoles sont fermées, celles de l’UNRWA, mais aussi celles du gouvernement. Chaque maison risque d’être transformée en camp militaire… Utilisée pour la surveillance d’autres points de la ville.
On essaie de maintenir des cours pour les enfants par visioconférence. Mais sans électricité, sans internet, sans ordinateur portable… Il ne reste que les téléphones autour desquels on se regroupe ! « Il est difficile de poursuivre les études.
Comment demander de suivre des cours quand on n’a rien ? » A quelqu’un.es nous essayons de choisir des routes un peu plus calmes, au jour le jour, pour faire l’école aux enfants. Impossible de les laisser comme ça !
L’Autorité palestinienne ne peut rien donner aux réfugié·es, à part quelques aides, nettement insuffisantes face aux besoins. Des familles sont relogées dans des logements pour les étudiants, c’est-à-dire des studios inadaptés aux familles nombreuses.
Devant un monde muet
Nous savons que certain·es nous soutiennent. En France, nous remercions le mouvement de solidarité avec notre cause noble et juste. Sachez que nous voulons juste vivre en paix.
« C’est Israël qui ne veut pas deux États. Israël ne veut qu’un seul État, éliminer les Palestiniens et l’UNRWA en tant que témoin parce que nous sommes des réfugié.es. Cette situation nous terrifie. Mais on doit être là, debout. Et nous sommes un peuple obstiné à demander l’indépendance de notre pays et la liberté ».
Propos de Najet, recueillis par Mireille
Photo : le camp de réfugiés de Jénine