Henri Eichholtzer, AFPS - Pal Sol n°73
Ce jour-là, à l’appel du Collectif Palestine 68, une action de boycott des produits israéliens a été décidée dans un supermarché de la banlieue de Mulhouse. Nous portons des tee-shirts verts avec la formule « Boycott Israël, Palestine vivra » et proposons aux clients des tracts « Acheter les produits d’Israël, c’est légitimer les crimes de Gaza, c’est approuver la politique menée par le gouvernement israélien ». Cette action s’inscrit dans la campagne BDS et se déroule dans de nombreux autres lieux en France et dans le monde. Elle agace au plus haut point le gouvernement israélien. En France, des organisations et groupuscules pro israéliens vont utiliser le droit pour attaquer les militants. Sur la base de l’article 24 de la loi sur la presse, ils estiment qu’il y a provocation à la haine nationale, raciale et religieuse. La plupart de ces plaintes, une centaine, n’aboutissent pas. Notre affaire commence bien : les 12 militants sont relaxés par le tribunal correctionnel de Mulhouse. Mais le parquet fait appel. Cet appel est le signe d’une écoute très attentive du gouvernement français aux sollicitations des partisans de la politique israélienne. Résultat : en 2010, la ministre de la justice, Mme Alliot-Marie, demande par une circulaire aux procureurs généraux de poursuivre systématiquement les appels au boycott des produits israéliens.
En 2013, la Cour d’appel de Colmar nous condamne à de lourdes amendes pour provocation à la discrimination raciale et religieuse. En 2015, la Cour de Cassation (qui n’intervient plus sur le fond mais sur d’éventuels vices de procédure) confirme cette condamnation qui devient donc définitive en droit français. C’est une claque et une amère déception. Que faire ? Il y a la fatigue d’une affaire qui traîne depuis six ans mais aussi la forte conviction que cette décision est injuste et qu’il faut continuer le combat. La grande majorité des militants décident donc de porter l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH).
À 10 heures, ce jeudi 11 juin, l’arrêt apparaît sur le site de la Cour. Il faut quelques minutes de lecture pour en déchiffrer l’essentiel : la France est condamnée pour violation de l’article 10 de la Convention des droits de l’Homme. La Cour rappelle que les manifestations de boycott relèvent de la liberté d’expression légitime qu’il convient de protéger sous réserve qu’elles soient menées sans violence et excluent tous comportements ou discours intolérants.
Le premier ressenti est une grande joie. Une joie d’avoir mené à son terme un combat de 11 ans avec le soutien de nombreux amis et de nombreuses organisations.
Cette longue bagarre a rassemblé des personnes et des organisations très différentes : il y avait des chrétiens et des communistes, des musulmans et des athées, des citoyens engagés ou pas dans de petites ou grandes organisations. Tous étaient unis autour d’une idée simple : la défense des droits du peuple palestinien sous occupation depuis 70 ans et la dénonciation de la politique brutale du gouvernement israélien qui piétine le droit international.
Les coups de téléphone s’enchaînent et la nouvelle se diffuse vite. Au-delà du partage des émotions, il y a la satisfaction que la liberté d’expression en France se trouve confortée par cette décision de justice qui se résume très simplement : il est parfaitement légal de boycotter et d’appeler au boycott de produits israéliens pour interpeller et faire réfléchir les consommateurs français sur la politique du gouvernement israélien.
Comme citoyen, je suis heureux que la justice européenne rappelle à notre pays et à son système judiciaire de ne pas se laisser manipuler par des groupes et groupuscules pro israéliens dont la principale activité est de faire passer la critique d’une politique, celle du gouvernement israélien, pour de l’antisémitisme. Cet amalgame est dangereux et malhonnête. Il n’aide en rien la vraie lutte contre l’antisémitisme qui est un combat important et essentiel dans notre pays et ailleurs.
Comme personne, c’est aussi la satisfaction d’un poids qui disparaît et d’une accusation infamante qui est levée. La justice de mon pays, justice que je respecte et en qui j’ai confiance m’a déclaré coupable de provocation à la haine raciale et religieuse. Les convictions que je défends sont à l’exact opposé de ces accusations. Jusqu’à l’an passé, j’étais professeur d’histoire dans un lycée de Mulhouse. En terminale, je traitais le conflit israélo-palestinien devant des élèves dont certains appartenaient à la communauté juive et d’autres étaient musulmans. J’essayais de leur apporter les éléments d’information avec honnêteté et dans le respect des convictions de chacun.
Tout au long de ces onze années, le soutien de l’AFPS a été sans failles : soutien humain, organisation d’une caisse de solidarité pour faire face aux frais importants de la procédure et soutien juridique.
Au soir du 11 juin, les militantes et militants disponibles se sont retrouvés à Mulhouse avec leurs soutiens. Dommage qu’embrassades et poignées de main chaleureuses n’étaient pas possibles. Nous avons évoqué la mémoire de l’un des douze qui est décédé pendant cette longue procédure. Il s’appelait Jacques Ballouey et était un des moteurs de notre groupe. Le travail efficace et déterminé de nos avocats a été évoqué, ceux de Paris, Me Comte et Me Thuan, ceux de Mulhouse aussi, MeWetterer et Me Chamy qui nous ont soutenus dès le début.
Au-delà de la satisfaction d’avoir gagné un long marathon judiciaire et de l’organisation d’un temps de fête quand les contraintes sanitaires le permettront, une question s’impose : que faire de cette victoire si ce n’est de donner un dynamisme nouveau à notre volonté intacte de lutter pour la justice et la dignité auxquelles ont droit tous les peuples de notre terre, le peuple palestinien comme les autres. Une piste qui me semble essentielle à l’échelle française, est d’approfondir le travail en commun qui caractérisait notre action en 2009. La défense des droits du peuple palestinien doit dépasser les frictions qui s’observent parfois entre nos groupes de solidarité et permettre à toutes les sensibilités de participer à un combat qui va encore durer.
Pour retrouver témoignages et analyses d’Henri Eichholtzer, d’ONG palestiniennes, de personnalités politiques israéliennes et européennes sur la chaîne YouTube de l’AFPS Alsace, vous pouvez cliquer ici.
Ils ont été recueillis lors de la conférence sur Internet organisée par le Groupe local le 27 juin.
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